livres perdus, détruits, oubliés, jamais eus | màj 5

établir progressivement liste de livres qui n’appartiennent plus à ceux qu’on a dans la bibliothèque


Article complémentaire de série livres qui vous ont fait : ceux qu’il m’est impossible de photographier, parce que je n’en dispose pas, ou plus. Donc, au-delà de la seule catégorie des livres perdus. Sera progressivement étendu et complété. Photographie ci-dessus : bibliothèque, Baltimore.

 

perdus _ jamais eus _ détruits _ oubliés

 

 Méthode pour la langue russe

Je me l’étais procurée en 1978 un peu avant le voyage pour Moscou, mais c’est surtout sur place, là-bas, que je l’avais pratiquée. On avait avec nous en permanence une traductrice et un « accompagnateur » puisque l’usine dans laquelle on installait notre machine était zone militaire, mais au bout des 3 mois j’arrivais à baragouiner à peu près avec les gars, et je commençais de découvrir et d’apprécier le fonctionnement de la langue russe. Au retour j’avais continué un peu. Aujourd’hui je serais bien en peine d’apprendre une langue étrangère, et j’ai durement régressé sur l’italien et l’allemand. Mais cette méthode de russe était bien faite, un bon souvenir.

 

 La pêche en rivière

Je n’ai jamais fait grand mal aux poissons, sauf aux vairons sous le pont de Civray, juste dans l’égoût de l’hôtel du Commerce où ils pullulaient, et une fois un grand congre pêché à la main à la Grière. Trop maladroit, le fil de nylon s’embrouillait, l’hameçon se détachait, la canne se prenait dans les branches. Mais ce temps de patience vide ressemblait à celui de la lecture, et surtout l’expérience même je préférais la vivre dans les livres : ce gros livre de poche décrivait les poissons un par un, couleur des écailles, forme des nageoires, habitat et moeurs. C’était cela, la révélation.

 

 Pliages en papier

J’en parle dans Autobiographie des objets. Je penche à croire maintenant que ce livre appartenait à l’école maternelle, et que ma mère, simplement, un jour l’y avait rapporté. Mais, tous ces mois, ouvrant le livre, j’y trouvais ces schémas pour essayer des avions, des grenouilles sauteuses, des paradis-enfer pour jouer avec ses doigts. Le livre disparu, il ne m’en est rien resté. En ai trouvé d’équivalents plus tard, mais le goût avait passé.

 

 Jacques Laurent, Les bêtises

Ce ne serait sans doute pas difficile de le retrouver, mais j’en ferais quoi ? Quelqu’un avait prêté ce livre à mes parents, dont ce n’était pourtant pas le genre de lecture (mon père ne lisait pratiquement que ce qui concernait la guerre qu’il avait traversée, l’histoire du Débarquement, les sous-marins qu’ils accueillaient au fusil de chasse). Tout à coup un monde acide et érotisé, la vie de surface d’un Paris difficilement imaginable à nous qui avions vu une fois la Tour Eiffel. Après j’ai lu Balzac et tout ça, et plus jamais entendu parler de Jacques Laurent quasiment jusqu’à ce qu’il meure et le souvenir se fasse. Je l’avais lu en entier, un gros livre. La littérature ne parlait pas que du passé.

 

 Vassili Axionov, Les oranges du Maroc

À Moscou, l’été 1978, avec Roland Barbier (l’ingénieur responsable du chantier, mais qui était marié à une Russe et vivait dans sa belle-famille, tandis que j’étais à l’hôtel Oktobrskaya Plochad) on passait une fois par semaine à la bibliothèque de l’ambassade (ça ne s’appelait pas encore Institut français, ni même Alliance française) et dans les travées sombres et surchargées nous empruntions des livres. Pour ça, avec Barbier, c’était bien. C’est là que la bibliothécaire m’avait dit d’un air perspicace qu’à lire autant et aussi vite, je devais faire beaucoup de fautes d’orthographe : m’en souviens encore. Donc, parmi les livres empruntés, découvrir les Russes contemporains, du moins ceux qui étaient traduits. Des Oranges du Maroc d’Axionov, plutôt la fascination à la ville, dans ces confins de Sibérie, et qu’un simple paysage pouvait évoquer autant. L’ai relu plus tard, mais en bibliothèque aussi. Dans ces tout premiers moments où je m’autorisais d’écrire dans des cahiers, ça avait compté.

 

 Tristan Tzara, L’homme approximatif

Il me serait plus que facile de le racheter dans la collection Poésie/Gallimard qui donc existait déjà vers ces années 73-75, voire plus tôt. C’était mon presque seul livre de poésie avec un ou deux Éluard, et l collection Poésie 1. Mais il m’émerveiilait, un vers suffisait. Je me souviens de nuits à dormir dans mon Ami 8 break sur des parkings dans les dunes, et c’est lui qui était mon seul livre. Bien sûr j’ai les oeuvres complètes de Tzara et le relis régulièrement, Homme approximatif compris, de même que je traverse régulièrement le cimetière Montparnasse et salue sa tombe, mais je considère ce livre, qui a constitué pendant un temps toute ma bibliothèque, comme un de mes livres perdus.

 

 André Breton, Anthologie de l’humour noir

Je crois avoir acheté le livre de poche Anthologie de l’humour noir, d’André Breton, dès ma découverte des surréalistes, en fin de terminale. Plus tard je collectionnerai les anthologies de contes fantastiques (Castex chez Corti), ou celles du romantisme allemand, et je mets aussi Bachelard dans cette catégorie. Mais là c’était autre chose : série de proses brèves dont parfois le nom de l’auteur m’évoquait quelque chose, mais pas du tout le texte publié. Et bien sûr le Si tu as faim, mange une de tes mains de Xavier Forneret que je lirai plus tard in extenso. Je n’avais simplement pas pensé qu’un Forneret était possible [1]. Mais Nodier, Gautier, tant d’autres avaient donc foré de tels tunnels ? Je revois ce livre quelques années après, jauni, cassé, usé.

 

 Les Mahuzier, Voyages des Mahuzier

’était lié à ces séances de Connaissance du monde qui étaient, en gros, notre cinéma autorisé, ou bien ce qui nous parvenait du cinéma dans notre fond de Poitou, à 53 kilomètres exactement de la grande ville. Les Mahuzier partaient en Australie ou n’importe où et restaient une famille comme nous. En plus ils aimaient leur camion, racontaient comment on se débrouillait pour manger, faire ses courses, réparer les incidents mécaniques. Je n’ai pas souvenir d’aventures extraordinaires comme chez Henri de Monfreid ou Kessel. Juste comme si nous-mêmes on partait et voyageait. C’est pour cela que je lisais tous les livres accessibles des Mahuzier (ils étaient en vente lors des projections Connaissance du monde et pour cela aussi que je ne les ai pas gardés.

 

 Alfred Kubin, L’autre côté

Ce livre-ci je l’ai, et peut-être figurera-t-il dans la liste des livres photographiés, mais je n’en suis pas sûr. C’est un livre important, parce que livre de peintre qui invente une ville, et donc un fantastique sans graisse, tout aiguisé de visuel. Une utopie souterraine. Mais, à me remémorer L’autre côté de Kubin, lu 2 ou 3 fois, pas toujours intégralement à relecture, c’est un autre fantôme qui se dessine. Le premier goût du fantastique pur. Un récit où les décors auraient cette précision de monde inventé, les silhouettes une ténacité dont seuls les représentations prises à nous-mêmes disposent, et pourtant, ce récit fantastique inaugural, je n’ai ni titre, ni auteur, ni histoire. Je me souviens trop précisément de chacun de mes H.G. Wells, de ma découverte de Kafka : ce n’est pas un livre de ma bibliothèque que je cherche. Peut-être appartient-il à cette collection pour adolescents, dite Bibliothèque de l’Amitié, plus probablement un livre extrait lui aussi des curiosités de l’armoire aux livres de mon grand-père. Un jour j’aurai identifié ce récit fantastique qui me manque, et d’où tous les autres sont venus sourdre. Peut—être est-ce seulement celui que je cherche à écrire, et dont Lovecraft, à force d’années et de page, serait une sorte de chemin préalable et nécessaire.

 

 Alberto Manguel (& alii), Guide de nulle part et d’ailleurs

Ce n’est pas un livre que j’aie perdu : c’est un livre que j’ai lu trente fois en bibliothèques, chaque fois épaté des plans, des idées, des extraits, et puis en même temps déçu. C’était encore à inventer, tout cela. Il fallait une version plus noire, plus sombre, plus dangereuse. Je j’ai trouvée en partie chez Lovecraft, elle est ce qui me reste aussi de Jules Verne (oui, à même le monde réel mais qu’est-ce que ça change) et pourquoi pas dans les territoires d’imaginaire noir de grande étendu que sont ‘aussi) Balzac, Proust, Dickens. Ce qui fait que je n’ai jamais acheté pour moi ce Guide de nulle part et d’ailleurs. À noter que je l’ai toujours lu sans me préoccuper que c’était l’oeuvre (en collaboration) d’Alberto Manguel, dont j’ai lu tout le travail par ailleurs.

 

 Larousse, Encyclopédie du XIXe siècle

Dans cette énorme collection de reliures rouges, on ouvre et on trouve tout. À l’époque, une encyclopédie ça raconte, tant qu’on veut, tant qu’il faut. Et ça illustre : des tas de graveurs payés pour ça, qui n’ont jamais vu ce dont on parle mais qui l’imaginent. On a la politique, on surtout tous les faits divers et les affaires judiciaires. On a tout ce dont la littérature de l’époque – même la meilleure – avait négligé de traiter, et qui est paradoxalement la tâche que les mêmes nous ont laissée à faire. Je lisais ça chez des amis (qui se reconnaîtront peut-être), plus tard en bibliothèque, en tout cas dès que je l’aperçois. J’ai longtemps guetté une version sur CD-ROM, peut-être existe-t-telle cachée quelque part en ligne (je doute).

 

 revue Traverses sur la cartographie et l’histoire des cartes

C’est une expo qu’il y avait eu à Beaubourg, mais dans ce début des années 80. La revue Traverses était un de ces beaux repères disparus (vers le numéro 14 je crois, ou bien est-ce que je me souviens du n° 14 parce que j’y aurais publié moi ? Je me souviens avoir publié dans cette revue mais plus du tout ni quand ni quoi. Je reprenais cette revue consacrée à l’histoire des représentations cartographiques, et le cheminement mental qui l’accompagne, chaque fois que je pouvais, en tout cas à chaque passage à Beaubourg, mais sans savoir l’importance que ça prendrait pour moi plus tard, et encore plus avec le web. En 1993, je grand Dan Colson de Montpellier m’avait prêté la sienne, je l’avais relue intégralement, puis rendue. Ce qui fait que je n’ai jamais eue.

 

 Sartre, Jean-Paul, L’idiot de la famille

C’est la période où je lisais Flaubert tout entier, et venais de passer aux lettres. Pour prolonger, j’ai acheté le Sartre sur Flaubert, donc L’idiot de la famille. J’en ai lu 40 pages, ça m’a dégoûté : ce type était rigoureusement incapable de comprendre quoi que ce soit qui dépasse le bout de ses souliers. Je n’ai même pas voulu l’offrir à quelqu’un. Je suis descendu dans la rue (rue Rochechouart, Paris, IXème arrondissement), et je l’ai mis dans une bouche d’égout. Le livre de Bourdieu sur Flaubert est raté aussi, mais là je le lisais debout dans une librairie par petits bouts sans l’acheter. Dans les livres détruits, mais moins violemment, juste une poubelle, ai aussi mis dans cette période-là (y a 30 ans, quand même), Marthe Robert, Origine du roman ou dans le genre : des mauvais livres sur n’importe quoi ça m’est égal, mais sur la littérature non, faut que ça brûle. Si vous voulez lire quelque chose de digne sur Flaubert, lisez les 2 textes de Proust et basta cosi.


 livres oubliés

Là c’est difficile, comme je les ai oubliés je ne peux pas les insérer, et si je m’en souviens ils partent dans les autres catégories. Il y a une intersection avec la catégorie précédente parce que je me souviens d’un livre sur Lautréamont que j’avais trouvé tellement mauvais que je me vois le déchirer paquet de 20 pages par paquet de 20 pages, mais sans autre précision.

 

 will be continued

[1Dans une des extensions de ce site (Ouvert la nuit ? Oeil noir ? j’avais mis en ligne une version audio d’Un pauvre honteux mais elle a disparu, c’est à refaire.


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1ère mise en ligne 21 avril 2014 et dernière modification le 8 mai 2014
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