livres qui vous ont fait | le Château de Kafka

les inamovibles de la bibliothèque malgré tous déménagements


C’est un livre par substitution.

Le premier Kafka que j’ai lu (mais je l’ai déjà raconté, les vrais événements d’une vie de lecteur sont rares) c’est le Procès, acquis en poche à la Maison de la presse de La Tranche-sur-Mer, vers la seconde, pour un dessin de Sempé dans Paris-Match où deux lourds bourgeois dans une pièce remplie de livres jusqu’au plafond (je crois que c’est ça surtout qui m’avait interloqué), disaient : — Nous vivons vraiment dans un monde kafkaïen.

Le Procès, suivi des récits accessibles, avait été un tel choc que je rêvais de ce Château que je n’avais jamais vu, en tout cas à Poitiers ou ailleurs. Ç’avait été lors de ma première venue seul à Paris, je savais qu’il y avait des librairies boulevard Saint-Germain, j’étais entré dans la première que j’y avais trouvée, donc la librairie Payot, du coup même pas vu les autres et là évidemment je l’avais trouvé, rapporté, lentement lu dans l’éblouissement, la fascination, difficile de mettre des qualificatifs. Mais tant de beauté, et notre humanité un vertige.

L’année suivante, je le prêtai à un de mes meilleurs amis depuis la cinquième, Philippe Chandernagor. Je ne me souviens plus si ensuite je le lui redemandai ou pas, mais je n’ai jamais revu le livre.

Bien sûr, j’ai lu plusieurs fois le Château ensuite. En poche, la traduction Vialatte, puis les traductions Goldschmidt et Lortholary. Mais on ne peut pas s’extraire de la première traduction lue, voire du toucher du premier livre lu – pour Dostoïesvki ça y est, suis irréversiblement passé à Markowicz, mais pour Kafka pas possible : cette lumière glauque de la phrase, son enveloppement, pour moi c’est définitivement Vialatte.

Il y a trois ou quatre ans j’ai retrouvé Philippe Chandernagor, et on a resympathisé comme si cinquante ans n’avaient pas passé – étrange ces fidélités qui s’ancrent sans bouger depuis l’adolescence. Un beau moment. Mais du prêt du Château, Chander ne se souvenait même pas, et pourtant moi c’était comme si je lui avais prêté d’hier et que je dusse le reprendre.

Je suis allé plusieurs fois à Düsseldorf dans cette petite et accueillante librairie, Müller et Thielmanns, du temps que Manholt Verlag me traduisait à Brême. Maintenant ils sont rares, les voyages en Allemagne. Bonheur de quelques stages d’écriture, à Heidelberg ou Kiel. J’avais voulu rapporter ce lourd exemplaire relié carton du Château,réédité selon le manuscrit original. Maintenant, c’est là que je le lis (j’ai le Pléiade de cette édition Gallimard ratée, découpant Kafka en genres, tome I les romans, tome 2 les récits, tome 3 le Journal moins les récits du Journal, tome 4 les lettres), alors que l’édition allemande est chronologique, toutes écritures croisées – j’ai donc bien le Pléiade « romans » mais je crois n’y avoir lu que l’Amérique). Je suis loin d’avoir une vraie maîtrise de l’allemand, mais la langue du Château est simple comme un mur dans la neige. Je me glisse au hasard dans un des chapitres et j’y reste un bon moment.

C’est mon rapport au souvenir de ma lecture du Château, infiniment précise, dès la première fois définitive.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 décembre 2013
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