livres qui vous ont fait | le Paris-Marseille de Julio Cortàzar

à peine l’autoroute existe qu’on la prend pendant un mois (le Volkswagen s’appelle Fafner)


Quand on parlait des bouquins à lire, tout à l’heure dans le RER, avec un des étudiants Cergy – il s’agissait de Nicolas Bouvier et de Julien Gracq –, c’était sur comment le rôle du prof peut être de susciter, et non prescrire. Qu’une rencontre qui se fait trop tôt n’est pas opérante.

Une vie de lecteur est associée à des rythmes indépendants de ces lectures. Il y a bien sûr des permanences et des noyaux (Balzac, mais c’est aussi une histoire), et des impasses ou des latences.

En 1983, à Marseille, le libraire de l’Odeur du Temps, et pas mal des auteurs qui gravitaient autour de la librairie étaient des mordus de Cortàzar. J’avais donc total accès à ces livres, et en avais lu plusieurs, dont certainement le fameux Cronopes et fameux, mais ça n’avait pas percuté, ou ça avait percuté dans la raison, sans déployer les vertiges et miroitements de Borges.

Si j’ai acheté Les autonautes de la cosmoroute, c’était clairement à cause des autoroutes et des voitures. Et, dès le livre avalé, cet immense silence qui fait qu’on reste avec le livre à la main refermé, les yeux dans le vide, et que cette immobilisation intérieure se prolonge même longtemps, des jours et des jours (ou même des années, ou même jusqu’à maintenant) alors qu’on a repris l’activité habituelle.

Ainsi, dans ces 34 jours que Julio Cortàzar et Carol Dunlop mettent à rejoindre Marseille depuis Paris, par l’autoroute juste ouverte dans son intégralité, avec la contrainte de s’arrêter à un parking pour y déjeuner, un autre pour y dormir, sans en passer aucun, et se faisant ravitailler une fois à mi-parcours, dans la lenteur des poses déployant sur table de camping la machine à écrire ou le carnet à dessin.

Mais pouvions-nous comprendre, sinon quelques mois plus tard, qu’eux deux se savaient malades, et que cet enfermement dans la trajectoire et le mouvement linéaire indéfini de l’autoroute était la façon la plus privilégiée de trouver un lieu hors du monde, sans signe, sans attache ? Passer au cimetière Montparnasse, où tant de jeunes sud-américains viennent poser un petit gravier blanc, et comparer les deux dates de décès à celle du dernier voyage.

C’est par les axolotls (le fabuleux texte de Cortàzar intitulé Axolotls) qu’il y a quelques années je suis revenu – ou simplement ou enfin venu – à Cortàzar. La découverte de comment l’invention fantastique la plus absolue pouvait passer par une simple manipulation de grammaire, en l’occurrence la position de sujet dans le paragraphe.

Alors je suis venu plus près aussi de la biographie de Cortàzar, l’apprentissage du métier d’enseignant loin de Buenos-Aires, et les traductions techniques quand on n’a pas encore le droit de proposer des traductions littéraires, et comment ses premiers travaux rémunérés (pour un télescope) font naître les premières fictions presque juste par léger décalage, bien avant les fameuses Instructions (pour monter un escalier, pour pleurer, pour tuer des fourmis à Rome).

Et cette maladie qui toute sa vie le condamne à grandir, grandir…

Très longtemps Les autonautes de la cosmoroute est resté indisponible, et je gardais précieusement le mien. Les mystères de la maison Gallimard ont permis qu’il soit enfin réédité l’an dernier (mais je garde précieusement le mien).

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 novembre 2013
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