livres qui vous ont fait | les Jules Verne

une grande pile immuable d’aventure intérieure


Ils sont toujours là, au sous-sol, en pile verticale sur tranche pour économiser de la place.

Pour d’aucuns, les favoris seront Les enfants du capitaine Grant ou L’île mystérieuse. Pour moi, ça aura plutôt été Voyage au centre de la Terre ou Cinq semaines en ballon. Mais Jules Verne, abordé dès la fin de l’école primaire, et jamais délu depuis (comme Balzac ou Simenon), c’est la première idée d’une lecture intégrale, et qu’il faut se construire l’appropriation. Qui ne sera parfois que tardive, quand nous rejoindrons Le Sphinx des glaces ou Le phare du bout du monde.

Alors progressivement, et probablement dès avant la fin du collège, j’y parviens. J’en trouve aussi dans l’armoire vitrée du grand-père à Damvix, et non pas les plus connus que je vénère (Vingt mille lieux sous les mers ou Deux ans de vacances), mais deux livres très étranges, liés à la rivière : pas eu le temps d’interroger le vieil Édouard sur leur provenance – La Jangada et Le superbe Orénoque.

Dès septembre 1996, le soir même de ma première connexion Internet, tant le paysage est limité, je tombe sur le site de ce monsieur israélien, dont la page d’accueil comporte une fausse bougie brûlant ses vingt pixels à l’infini, en hommage à son fils mort. Et parce que son fils aimait Jules Verne, il se consacre à leur transcription numérique. Depuis, je le relis moi aussi sur mes appareils.

Pour nos enfants, ou par simple goût, on a acheté des Jules Verne dans d’autres formats : et notamment les beaux reprint rouge chez Hachette, à échelle 1, de l’édition Hetzel et ses gravures. Mais l’enfermement imaginaire, je ne le trouve que dans ces livres de poche qui ont été ceux de la première lecture. Les gravures y sont, en noir et blanc, réduites et un peu floues, mais elles sont irréductiblement liées à ce déclenchement imaginaire.

Encore, à les feuilleter dans l’idée de cette chronique, je découvre soudain que comptait peut-être moins – ou alors au moins autant – que l’image, la légende dessous qui l’accompagne : juste un extrait de phrase.... Et si ces extraits séparés et flottants, suspendus, avaient été plus tard notre matériau d’écriture, en tant que lambeaux séparés du texte, et porteurs de toute cette iprojection intérieure qu’ils appellent ? De même, je suis surpris de la précision des en-tête de chapitre chez Jules Verne. Élément discret, presque invisible, et pourtant une sorte de clou qui fixe le récit en haut, sur le chemin même de l’échappée. Il faudrait même voir en quoi les titres de chapitre, très différents des titres des livres eux-mêmes, sont devenus pour moi l’école des titres.

Au moment d’en choisir un, j’hésite. Voyage au centre de la Terre, le souvenir est presque trop précis, et j’y associe désormais le livre-source, la Descente dans le Maesltrom de Poe, que Jules Verne cite presque explicitement à la fin (c’est aussi par là qu’échapperont à Nemo les prisonniers de Vingt mille lieux sous les mers.

Mais c’est entre Les cinq cents millions de la Begum et Le château des Carpathes que j’hésite. Le trouble qu’apporte à la ruine féodale des Carpathes, aperçue de loin, la reproduction mécanique de la voix, et l’apparition électrique.

Je me fixe sur Les cinq cents millions de la Begum. De quoi je me souviens ? Les deux villes, leur opposition. On a ça dans Dickens, ou chez Fourier, mais ici c’est l’utopie même de la ville qui devient enjeu du récit. Et ça ne m’était pas forcément apparu avant (du moins, pour l’enfant que j’étais, si lu à onze ou douze ans). Qu’on peut rêver de la forme d’une ville.

Et puis, alors que le garage était à la fois notre domicile et notre terrain de jeu, et que même si petit il était intérieurement territoire immense, que tout un livre peut se passer dans une usine, ses labos, ses forges et fonderies – et je suis bien conscient, au moment de faire mon sac pour deux jours de tournage à Fos-sur-Mer, que c’est dans Les cinq cents millions de la Begum que l’usine et l’acier me sont pour la première fois apparus comme spectacle total, et l’art ou l’excès des objets qu’on y fabrique une inscription ancestrale dans la constitution de notre propre origine.

Tout devrait mal finir, et tout finit bien. C’est ainsi chez Jules Verne. Mais quelles images au passage.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 novembre 2013
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