1 _ COMPRESSION

On découvrait donc cette « Société de préservation des animaux les plus laids », et qu’elle décernait via un show télévisé annuel son prix du plus laid des animaux en danger. Peut-être que ça participait d’une bonne intention : signaler, protéger. Sauf que le gloppy blobfish vivait par plus de 600 mètres de fond, le plus souvent à 1000 mètres de fond et pas nous, qu’on n’avait donc qu’à le laisser en paix chez lui – sa masse gélatineuse d’une densité très proche de celle de l’eau de mer, les filets des navires de pêche profonde en nettoyaient littéralement la mer. Et dans les animaux sélectionnés par l’association, il y avait aussi le célèbre axolotl : qu’est-ce donc qu’on définissait comme laideur, ou assignait comme laideur, sinon cette projection maladroite qu’on faisait sur eux d’une image de nous-mêmes ? « Dans ses yeux, j’ai vu de la tristesse », disait le bonimenteur de la télévision mais dans ses yeux à lui on ne voyait pas grand-chose en fait. Et sur les journaux qui relayaient et l’image et l’information paradaient les mariages et défilés des êtres normalisés aux fortunes populaires.

2 _ RENVERSE

Lorsque l’humanité même fut en danger et eut besoin d’être protégée, on se souvint de comment on n’avait pas réussi à sauver le gloppy blobfish, simplement pour être allé le débusquer dans ses profondeurs : en aquarium, pauvre clown triste, il faisait rire et cela nous rassurait. Il fut donc décidé, en leur propre intérêt, d’installer dans les fonds marins à mille mètres tous les échantillons de l’humanité belle et normée. On garderait à la surface exposée et apauvrie les autres, les clowns tristes, les gros nez, et ceux qui souffraient. Ainsi fut fait. Puis le monde dura. Finalement, on vivait plutôt mieux. On n’avait plus de nouvelles de ceux d’en bas. On se disait que peut-être il serait temps de redescendre explorer, et de savoir s’ils nous ressemblaient encore.

3 _ SOURCE

• L.A. TIMES