fiction dans un paysage | souvenirs du temps que j’étais mort

il s’agissait juste d’un chemin


Quand j’étais mort, j’habitais là. Dans le bout de ce chemin. Quand tu es mort, tu n’as pas de besoin. Tu ne dors pas non plus, ni tu n’as faim, ou froid. Juste, tu restes là – il te reste la pensée, alors tu penses.

Le cours des saisons est beau, et beau aussi le cours du jour, puis le cours des jours. Tu apprends à considérer les plantes, et les nuages et leur eau, et le bruissement de ce qui vit, ce qui vit dans la terre. Toi aussi tu t’y mettais, dans la terre, c’est là qu’on t’avait mis, bien plus loin. Mais ta pensée, elle, était là, au bout de ce chemin.

Quand tu es mort, tu ne voyages pas. Tu peux t’éloigner tout au long du chemin, mais seulement en pensée, la même pensée qui ici regardait l’eau, les plantes, le vent, et le chemin.

Dans le pays où tu penses quand tu es mort, tu n’aperçois que des chemins comme cela, des chemins qui s’en vont très loin, des chemins pour un seul mort, des chemins qui ne se croisent pas.

Parfois, tes pensées forment des rêves, ou des lettres, ou bien – selon – tu places la suite de tes rêves dans une suite de lettres. Et puis d’autres fois, sur un chemin très loin, tu aperçois une silhouette seule qui va, suit son chemin – ou bien rejoint, là-bas sur son chemin, sa place tranquille de mort.

Tu aimais bien ce pays. Les pays qu’on trouve en rêve, ou les pays qu’on trouve en mort, te sont toujours inconnus. Ils ont un petit peu de tes paysages d’enfance. Ils ont un petit peu de ces mondes de peur, où tout est calme, tout est tranquille, et pourtant tu sais la menace, tu sais la renverse ou le basculement possible.

On dit que les morts finissent, eux aussi. Qu’un jour le chemin se résorbe en eau lourde, en eau bourbeuse, qui t’emporte. Qu’alors tu n’as même plus pensée, et encore moins les plantes, les nuages, et le vent, ni ce rêve que quelqu’un vienne, sur le chemin.

Une fois tu l’avais eu, ce rêve : le chemin s’était fait droit, comme jamais chemin ne fut droit. Et tu avais revu des maisons. Les maisons des hommes, des gens que tu ne connaissais pas. Les gens qui s’assemblaient pour faire des villes (mais tu ne connaissais ni les gens, ni les villes, et tu n’avais vu aucun visage).

On dit que c’est ce rêve, avec les maisons, qui souvent précède le surgissement de l’eau où tout finit, tout finit enfin.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne 7 avril 2013 et dernière modification le 19 avril 2014
merci aux 1349 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page