fiction dans un paysage | habiter seul

de pourquoi ces lieux d’habitation à l’écart


Dans ce pays, il y avait bien assez d’espace pour cela.

C’était une autre approche des villes, voilà. On prend la ville, et on la disperse là où on veut. Puisque c’est un morceau de ville, c’est toujours la ville, même là où on en a juste posé un morceau.

Habiter seul ne voulait pas dire être seul : on y était seul tout seul, mais aussi seul à plusieurs, ça commençait à deux, ou bien le nombre deux suffisait, mais on pouvait aussi s’assembler à plus, autant que le petit morceau de ville déposé dans l’espace en contenait, le principe restait le même.

Plutôt que cela témoignait encore de votre attachement, sinon de votre appartenance, à la ville, la ville ainsi dispersée dans l’espace.

Et la ville y gagnait. On disait : une ville soulagée. Les gens y gagnaient. On disait : une sérénité.

Tout était enfin plus calme, pouvait s’installer dans le temps.

On n’avait pas cependant de certitude concernant les wagons. Ceux qui habitaient les wagons en avaient aussi fait le choix. Mais, bien autrement que vivre sous une tente, ou vivre dans un de ces camps parfois à même la terre, et la surface rugueuse de la vieille terre, leur habitation de fer était mobile. La nuit, les locomotives les embarquaient, les poussaient, les détournaient.

Ils disaient que cela leur était de peu d’importance. Qu’ainsi, le matin au réveil, le paysage avait changé, et l’horizon de la ville n’était plus l’horizon de leur ville. Ils disaient qu’habiter seul était bien plus profitable, quand nul lien d’enracinement n’existait plus entre là où vous habitiez et son emplacement fixe sur la terre.

Les paces se réservaient longtemps à l’avance. On ne savait jamais exactement quand un des mondes où vivre seul, la maison, le camp, la tente, le wagon, disposait à nouveau d’une ou plusieurs places. Un jour, parce qu’on ne voyait plus rien dans le wagon, pas de porte ou de rideau qui s’ouvre, pas d’eau qui coule, aucun bruit ni lumière, un inspecteur venait et faisait le constat de vacance. C’était transmis à la ville, et un autre (ou deux, ou plus) venaient, qui s’installaient. Dès la nuit suivante on les poussait.

Pendant un temps, on avait pris ici les candidats au suicide, du moins ceux que le suicide menaçait le plus. Ceux qui, dans la masse de difficulté qui les assaillaient, se disaient arrivés à ce stade sans force, ni recours. Qui disaient que l’angoisse même devenait paralysante et empêchait de faire.

À ceux-là, la vie wagon était profitable, apaisante. On se défaisait des nécessités, des urgences. Les vrais besoins étaient si minimes.

Et puis on avait cessé de leur accorder priorité. Après tout, qu’ils se débrouillent. Et l’angoisse, disait-on, l’angoisse était une marchandise si commune, une même marchandise sur le dos de tous.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 10 avril 2013
merci aux 427 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page