#LedZep 5, story | Led Zeppelin : la légende noire

un portrait de Led Zeppelin


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Faire savoir les excès pour créer sous la musique une légende. Et puis se laisser soi-même prendre et aux excès, et à la légende ? Mais, des 10 ans d’activité de Led Zeppelin, la légende continue de se propager, voire même d’enfler, de grossir. Et du rôle adventice de Peter Cole... On entre peu à peu dans la matière.

 

5 – Led Zeppelin : la légende noire


La rumeur, les excès.

Eux, aujourd’hui, ils disent en avoir assez d’être ainsi catalogués : « Tout ce qui s’écrit sur nous, c’est toujours le sexe, les conneries, la drogue… », grogne Page. Ou bien : « Et nous, pendant ce temps-là, on lisait Nietzsche dans nos chambres d’hôtel », dit Plant. Sans rire.

En même temps, on concède y avoir laissé prise : Mild barbarians was how we were once described, and I can’t really deny it, dit Page aussi… « Des demi barbares, voilà comment on parlait de nous autrefois, mais je peux pas dire vraiment que non. » Sous-entendu : a-t-on vraiment été autre chose que ces demi barbares, mild barbarians ?

Dans le nom Led Zeppelin, d’abord cela : les filles, le saccage, l’alcool, le fouet ou baiser avec un chien, la cocaïne et le scandale, le nom même du groupe brûle ce qu’il touche. J’ai toujours écouté Led Zeppelin, sans finalement rien savoir sur eux que ce bruit. Et pas question qu’eux nous aident à rien démêler : ils en ont marre, légitimement. Il y a un tiers de siècle de tout cela, non ? A trente ans de distance, ce qu’il vous en reste, des titres, des images, des faits. Par exemple, sur la découpe carrée du premier disque, les quatre visages avec les cheveux longs et les traits de notre âge, comme de grosses moustaches rajoutées à des gosses. Du deuxième disque, maintenant le dirigeable en couleur, et eux en uniforme d’aviateur, et que la musique en était si brûlante. Du troisième, la couleur de mandoline, et qu’à notre surprise il s’établissait sur des musiques acoustiques, presque folk. Du quatrième, l’album sans nom, la suite implacable de rengaines et de riffs, Black dog et l’apostrophe qui le lance (Hey hey mama, said the way you move, gonna make you sweat, gonna make you groove) comme pour confirmer avec provocation ce qu’on disait de leurs orgies avec chiens, d’un avion fou dans le ciel rempli d’alcool, de fêtes et de drogues, d’une insolente richesse là encore livrée à des rêves de gosse s’achetant voitures, guitares et maisons pour aussitôt les quitter et retourner à ces déluges de foules, ces assemblées rituelles du bruit.

« On dit que je suis millionnaire, dit Robert Plant, ce n’est pas vrai : c’est juste que je dépense immensément d’argent. »

Ce sont pourtant des gens calmes, des artisans. Faire un disque demande patience et temps. Le groupe durera douze ans et laissera dix albums, horloge précise de leur histoire : Led Zeppelin I, Led Zeppelin II puis III, le IV avant qu’on se décide à ce que les disques aient un nom : Houses of the Holy, Presence, et ce Physical Graffiti qui est l’héritage rassemblé, sombre et compact, leur souterrain, avant la porte de sortie vaguement prématurée : In through the outdoor.

Les journaux que nous lisions, Rock’n Folk le premier, n’auraient jamais eu droit d’évoquer directement la drogue, ni les orgies : régime des publications destinées à la jeunesse. Mais on nous les laissait entendre, et l’exagération devenait légende. Qu’ils fassent des grosses bêtises : ils en avaient le droit, c’est ce qui justifiait nos bêtises à nous, nos bêtises minuscules. Sous l’enseigne Led Zeppelin, d’étranges et douteuses pratiques allant, se racontait-on, jusqu’à la magie noire : on ne joue pas si vite sans pacte avec le diable, est-ce que Robert Johnson n’avait pas le premier vendu son âme au diable ? Est-ce qu’on n’entend pas vaguement Satan, Satan en passant lentement les paroles de Stairway to heaven à l’envers ? Et les petites feuilles spécialisées se recopiaient très sérieusement les uns les autres pour s’interroger sur Jimmy Page mage par héritage, ressuscitant la figure d’Aleister Crowley, quand bien même nous n’aurions jamais entendu parler sinon d’Aleister Crowley. Mais ce n’était pas cela, drogues, diable et orgies qui nous liait à leur musique : quadruple obsession jointe, sur fond de batterie et guitare comme jamais on n’avait entendu de batterie et guitare.

La musique, donc, et purement.

On nous les montrait dans leur vie tranquille et honorable, on les savait (sauf Page), pères de famille, collectionneurs de voiture, et occupés à dépenser la monstrueuse masse d’argent qui allait aussi avec la légende.

Le côté noir, nous disait-on, c’était la vie en tournée, les heures d’après la scène. Jour après jour ces gamins par milliers, puis dizaines de milliers, et qu’on leur donne selon ce qu’ils veulent. Trois heures s’il faut, et tant pis pour les acouphènes, tant pis pour la fatigue à en tomber, et ce qu’on en compense par la cocaïne à doses qu’on augmente : qui faisait autrement, à cette époque et dans ce métier ? Une folie dans les mains et la voix, folie contrôlée puisqu’il s’agit de la musique qu’on délivre, mais le mental condamné à se projeter en avant dans la zone d’excès et que la bouteille de whisky circule, parce que pas de meilleur moyen de s’assommer enfin.

Et particulièrement à Los Angeles qui est une ville de folie, et ne les accepte qu’à condition de devenir les emblèmes de cette folie même. A quelques centaines de mètres de leur hôtel, il y a Chris Burden, qui se fait crucifier sur le toit de métal de sa voiture, ou se fait filmer tandis qu’un proche, à cinq mètres, lui tire au pistolet une balle dans la peau : mais ils ne rencontreront pas Chris Burden ni aucun de ceux qui, au même lieu, et du même âge qu’eux,, réinventent les codes de l’art plastique. Alors ces récits se propagent, et circuleront aussi longtemps que leurs disques se vendront, anecdotes dont on ne cherche même plus à savoir l’origine ni la validité, et qu’on collectionne aussi religieusement qu’on découpe les posters de Rock’n Folk ou de Best pour les afficher dans nos chambres.

Et les voilà, ces ombres : Jimmy Page et son fouet pour petites filles, Plant choisissant de loin et d’un geste, par deux, les filles pour la nuit parmi celles qui assaillent l’hôtel, Bonham soûl qu’il a une fois de plus fallu maîtriser avant qu’il s’en prenne à un quidam et même le sage John Paul Jones trouvé une fois nu dans une baignoire qu’il aurait fait remplir de confitures, et dans laquelle baigne avec lui un travesti, et bien sûr la scène de la fille au eu chien, bien sûr la scène des requins comme si tout cela leur était arrivé tous les jours de toutes leurs tournées, et la tâche ici d’examiner comment cela se propage et se cumule, distordant ses propres éléments source.

Ainsi de cette fille dite The Dog Act, qui a fait sa réputation de ses relations avec son énorme danois au poil ras, queue coupée et bas de pattes rouges, un grand sexe noir là-dessous pendant : attesté. On fait venir la fille, on s’amuse avec elle, avec le chien, avec elle et le chien. Il paraît que le chien se refuse à l’exercice demandé, auquel pourtant sa patronne l’a dressé pour plaire : trop de spectateurs, ou trop d’alcool et de cocaïne déjà, qui fait qu’on parle et rit trop fort, et bande mou ? De toute façon, on est dans un autre monde et, de toute façon aussi, ce chien est fêlé, qui bande comme un excité dès que sa maîtresse le manipule (à moins, précise Richard Cole, mais précisant aussi qu’aucun d’entre eux n’est en état de tout se souvenir avec précision, qu’au chien aussi, pour rire, on ait fait ingérer un peu de cocaïne). John Paul Jones, le bassiste, n’assiste pas, les trois autres confirment. La fille est connue à Los Angeles, elle a produit son numéro pour d’autres. The Dog Act, elle est fière de son surnom, et fière de son numéro de cirque, qui est sa marque de fabrique, et lui permet accès aux chambres de ces messieurs célèbres, pas seulement Led Zeppelin. Même si, finalement, quoi, ou si peu : le chien n’accomplira pas devant ces excités ce que la fille promet qu’il lui fait. Alors Richard Cole continue de branler le chien qui s’en fiche pendant que Bonzo, émoustillé, enfile la fille à la traditionnelle, rétribuée probablement d’une poignée de billets par Cole qui tient la caisse de route (non pour ce qu’on lui a fait subir, mais simplement pour qu’elle soit discrète), mais à ce moment-là Page et Plant sont repartis depuis longtemps dans leurs piaules respectives, puisque Page réécoute chaque soir l’enregistrement du concert, et que Plant, paraît-il, lit Nietzsche.

Vraiment pas un fait de gloire, sauf que voilà, ce soir ça s’en va dans les journaux, bientôt on assure que dans toutes les villes où ils passent ils demandent un chien noir et ainsi de suite : Bonzo n’a jamais eu l’amour heureux, et sans l’alcool lui non plus sans doute ne marcherait pas aux lubies vulgaires de Richard Cole, qui n’est finalement que leur employé, comme si, après chaque concert, partout au monde, il avait fallu aux quatre de Led Zeppelin une séance avec chien danois, au point paraît-il que c’est eux-mêmes qui demandaient aux organisateurs des concerts qu’on le leur fournisse. Et que leur chanson, Black dog, c’en est le retour ironique, réponse non au fait, mais à tout le bruit qu’on en a dressé…

Et bien sûr l’histoire plus ragoûtante si on peut du requin, parce qu’à Seattle on s’est procuré, et c’est la spécialité de hôtel que cet aquarium en plein air juste sous les chambres (les chambres de riche qu’ils occupent), un petit squale du Pacifique, et qu’avec le poisson on va sodomiser une fille elle aussi trop soûle pour ne pas être, ce sera leur mot ensuite, celui de tous les violeurs, « consentante ». Sauf que le copain des Vanilla Fudge vient d’acheter une petite caméra Super 8 qui l’émerveille et qu’il a filmé toute la scène : ces images-là ils n’ont pu les rattraper, elles circulent toujours et Bonzo en est, aussi sûr que la fille est rousse.

Et rien que Robert Plant, le chanteur, pour dire aujourd’hui qu’avant les concerts lui c’était miel et citron pour sa voix, et que le soir à l’hôtel ils mangeaient un plat de pâtes puis réécoutaient sur leur magnétophone Revox le concert donné deux heures plus tôt, en commentant les plantages ou les illuminations. Plus sérieux, l’argument de Plant prouvant qu’à leur passage à Seattle il était accompagné de Maureen, son épouse, et que l’histoire du requin, une fois de plus, ne concerne que Bonzo et Richard Cole. Plant et Page disant que c’est une telle exagération, ce qu’on a raconté sur eux, quand ils avaient tellement à faire pour composer leur musique : mais Plant comme Jones avaient aussi de sérieuses et très domestiques raisons de taire ces bruits, empêcher les photos, faire en sorte que ça ne complique pas encore plus la vie familiale. Quand on revient chez soi au bout de deux ou quatre mois, qu’on retrouve sa compagne et ses enfants, et qu’on sait bien ce que les rumeurs ont porté jusqu’ici.

Et pourquoi ou de quel droit, à cet âge et dans une telle vie, leur aurait-on demandé une monastique ascèse – et même : comment aurait-elle été possible ?

Il semble attesté, par telle et telle fille qui le rejoignaient dans la tournée, ou lui procuraient des copines, qu’il y a eu quelques séances avec sous-vêtements cuirs et fouet. Mais les récits sont biaisés, les mêmes filles associant cela à sa passion réelle des antiquités et des éditions rares de livres occultes, ne manquant pas une vente aux enchères etc. Alors Page de protester : dans tous ces livres parus sur Led Zeppelin on s’occupe beaucoup trop de ces bêtises, et pas assez de la musique, dit-il. Dont acte.
« I’ll admit the first year or two that I became a star I was very young and was on a sort of trip. But we’ve all gotten over that now and we’re mostly concerned with our music, dit Plant en 1974 : Je veux bien concéder que la première année, ou les deux, om on est devenu star, j’étais vraiment jeune et sur un genre de nuage. Mais on a dépassé ça vite fait, on avait assez à s’occuper de notre musique… »

Et John Paul Jones : Nothing exciting ever happens to me, « il ne m’est jamais rien arrivé de vraiment excitant… » Facile ? On peut juste attester que, pour lui, jouer sur scène c’était comme aller au bureau : un travail, payé selon prestation et au revoir. Et pas n’importe quelle prestation, la basse de John Paul Jones (Black dog, c’est un riff à lui, un riff d’abord trouvé à la basse, écouter la version scène de How the west was won : comment on s’en fut à la conquête de l’ouest…).

Mais si on avait à regarder ça de près et à en dresser le bilan simplement parce que ces images ont été les nôtres, au bord de notre route, qu’on les a prises pour vérités vraies et qu’on a grandi en conséquence ?


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1ère mise en ligne et dernière modification le 3 avril 2013
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