tunnel des écritures étranges | fabrication des hommes squelettes

on perfectionnait de plus en plus le modèle de l’homme dans le travail moderne


Il m’avait été donné d’assister à la fabrication des hommes squelettes.

C’était encore un procédé de laboratoire, qu’on ne passait que progressivement en production.

Néanmoins, c’était un grand et vaste bâtiment, aux multiples fenêtres, et de nombreuses et discrètes silhouettes. Je n’avais pu rentrer. On m’avait mis en face, mais en me disant que ce ne serait pas gênant, que je verrais tout.

Ainsi, on apercevait les volontaires venir et s’asseoir, un peu rigides, le dos bien droit, comme au coiffeur ou chez le dentiste. Et puis ce grand tuyau noir qu’on utilisait pour la collecte des données personnelles et des apprentissages acquis, en fonction des tâches et spécialités, localisations géographiques et goût particulier pour tel ou tel emploi.

Le squelette visualisait le transfert. Une illumination faible gagnait progressivement l’ensemble de ses éléments.

On se préoccupait de la tête aussi : avoir lu les bons articles de journaux, avoir vu les bonnes vidéos, avoir son opinion acquise sur les grands événements de la semaine, et même acheter un livre, genre polar vous voyez, ou ces grands rêves insipides qu’on dépotait en pile dans les gares, pourvu qu’il ait bonne trogne, l’auteur au rasage soigneusement négligé, et thème résumable en une ligne.

Alors il était prêt, le squelette. On le rhabillait, on l’installait dans les bureaux, case après case.

On avait bien soigné la programmation, que des opératrices suivaient depuis le bâtiment central, et leurs ordinateurs discrets.

On m’avait aussi emmené voir les produits finis, et tout ce qu’ils étaient capables d’achever comme tâches monotones, qui nous barbaient, nous autres, qui retournions progressivement à notre rien.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 13 mars 2013
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