la Terre est morte à Buffalo | le travail tue la terre

on regardaient halluciné ces plaies où les silhouettes et engins continuaient obstinément de gratter


Le travail est ce hérissement qui traverse le sol. Je n’ai jamais connu de travail qui ne soit pas ce hérissement traversant le sol. Évidemment il y a ceux qui sont dans les bureaux, évidemment il y a ces couches molles de ceux qui s’absorbent aux papiers, et que l’État rémunère jusqu’à ne plus les considérer inusables. Je parle du travail avec et contre la matière même, les grandes transformations par le feu, puis la forge et les presses, les coulées et les dents d’acier en rotation lente forant sur les tables horizontales des fraiseuses ou les axes géants des tours ce qui permet ensuite notre rapport au monde. On en avait certes moins besoin qu’avant. Mais ici, on les aurait gommées comment, les hauts-fourneaux, les centrales thermiques, les raffineries et tout cet apparat mystérieux des images comme si, là où on les implante, ils déteignaient sur le sol, que tout cela ne soit plus qu’une même masse monochrome – mais ce hérissement, oui ce hérissement. Tu te souvenais des gestes, des odeurs, des machines, des rails à terre et des élévations de métal. Tu savais désormais, sur les vues aériennes, détecter les grandes implantations : il suffisait de suivre ces lentes voies d’eau avec écluses et quai qui étaient la trame liquide du pays, où se défaisait la ville. On distinguait vite, dans les zones monochromes, les figures géométriques, alors on s’approchait – hérissement. Où étaient les hommes, là-dessous ? Ils y étaient, puisqu’on savait, à côté, tout à côté, leurs maisons, leur prison, les grands assemblages commerciaux aussi. On aurait voulu approcher plus. Entrer, ils ne nous auraient pas laissé faire. Approcher les cahutes, les ampoules nues, les vestiaires. Les usines fascinent parce qu’elles sont une ruine en pleine vie : il n’existe pas de ruines d’usine, on les rase. La ruine c’est maintenant, quand on y travaille. Et le hérissement, nous, les hommes, pour y tenir. J’en ferais quoi, de cette collection d’images, si partout les formes et couleurs étaient mêmes ?

 


 RETOUR SOMMAIRE

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 4 mai 2010
merci aux 267 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page