la Terre est morte à Buffalo | derrière le tunnel

il était convenable qu’à ceux qui n’espéraient plus rien une dernière solution soit possible


C’est juste ici qu’était le tunnel. N’allaient derrière le tunnel que ceux qui y habitaient. Même pas besoin d’interdiction : d’abord il fallait trouver le tunnel, ensuite il aurait fallu avoir le courage d’y entrer, et traverser. Ce n’était pas ainsi. C’était le tunnel des sans-solution. On avait voulu qu’il y ait malgré tout une chance, quand plus rien d’autre n’était permis. On disait que les regards, les silhouettes, la courbe des épaules alors étaient reconnaissables. Vous marchiez dans ces grandes rues vides sous les bâtiments bruns, et d’un coup on vous tapait à l’épaule, ou bien une voiture s’arrêtait, vous compreniez que c’étaient ceux de derrière le tunnel. Vous pouviez refuser. On disait qu’en ce cas on ne vous le proposait plus. L’hiver il en mourait, dans les rues, sous les porches. Leurs cartons, sous leurs minces refuges, ne suffisaient pas. Et puis la misère n’était pas seulement matérielle. Ceux de derrière le tunnel avaient leurs activités, leurs commerces. Il y avait ces zones sous l’échangeur, où se rencontraient les intermédiaires. On disait seulement qu’une fois de l’autre côté du tunnel, il n’était guère envisageable de revenir s’installer dans la ville – dans cette partie, dans notre partie de la ville. Pour nous, c’était un peu effrayant, mais pourquoi ce qu’on ne connaît pas nous paraît toujours effrayant ? C’était de l’autre côté du tunnel, et voilà tout. Il est bon, dans une grande ville, qu’à ceux qui n’ont aucune solution une dernière échappatoire encore reste possible.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2010
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