Franck Queyraud | les Lapons de Rémy de Gourmont

vases communicants autour du lien de Blaise Cendrars à Rémy de Gourmont


Pas facile de réserver Franck Queyraud pour un vase communicant, il faut s’y prendre des mois à l’avance. Son blog de création s’appelle Flânerie quotidienne, mais on est nombreux aussi à le suivre sur ses chemins professionnels via Mémoire silence, chemins par lesquels le numérique et les bibliothèques interfèrent.

Franck depuis de longs mois prépare une édition numérique de textes méconnus ou rares de Rémy de Gourmont. Bien sûr pour publie.net, même si depuis quelques mois le lancement de la collection papier a monopolisé toute l’équipe.

Pour moi qui ne suis pas familier de Rémy de Gourmont, c’est d’un côté une tonalité de phrase un peu précieuse, un peu éloignée, mais d’un autre côté une silhouette maigre et longue, fouillant les éventaires des bouquinistes des quais de la Seine, mal habillé, et personne qui lui parle, et puis finalement quand même un jour l’invitation faite à un jeune type, Blaise Cendrars, de monter jusqu’à sa turne encombrée de livres et chats, tout là-haut sous les toits, où ils n’auront pas grand-chose à se dire.

Rémy de Gourmont traverse ainsi, jusqu’à ce que mort s’ensuive, toutes les prises d’écriture de Blaise Cendrars – il en est un personnage comme Blaise Cendrars lui-même est le personnage construit par l’inaccessible Frédéric Louis Sauser, comme Céline par Louis-Ferdinand Destouches, leur seul point de contact.

En échange Franck Queyraud accueille chez lui donc un bloc d’écriture non stop mené sur 40 minutes de clavier à une main – L’Alfa Roméo de Blaise Cendrars.

On peut lire ou télécharger ici Chez les Lapons de Rémy de Gourmont, sur l’inépuisable site Gallica.

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Franck Queyraud | Je ne sais pas comment je suis arrivé Chez les lapons


On rêve avant de contempler. Avant d’être un spectacle conscient tout un paysage est une expérience onirique. On ne regarde avec une passion esthétique que les paysages qu’on a d’abord vus en rêve. Bachelard, L’eau et les rêves, 1942.

 

Je ne sais pas comment je suis arrivé Chez les Lapons. Par les ouvrages de Jean Malaurie ou d’abord par celui de Rémy de Gourmont ? Je ne sais plus. La Laponie, c’était un pays mythique. Au temps de mon enfance, je ne savais pas trop où elle se trouvait cette Laponie. Je cherchais sur la mappemonde ou dans l’atlas du Reader’s digest que mon grand-père m’avait offert et qui est en lambeau aujourd’hui. Ce pays n’était pas vraiment défini sur les cartes. Ce peuple des Saamis (les lapons) était nomade comme les lignes de leur territoire. Ce lieu et ses habitants berçaient mon imaginaire d’enfant tout comme le mot esquimau. À l’époque de mes premières lectures, les esquimaux n’avaient pas encore obtenu « le statut » d’Inuit qui signifie humain. L’inconnu existait encore pour les rêveurs, les grands voyageurs, pour les enfants comme moi ou pour les écrivains qui rédigeaient des livres alimentaires et synthétiques, sans se déplacer dans ses lointaines contrées. Pourtant, RDG écrivait : « La Laponie est devenue accessible même aux simples touristes un peu courageux, et on trouve aujourd’hui [le livre est paru en 1890], sous les huttes des bords de l’océan Glacial, les produits de Paris ou de Manchester ; de même que, si ce n’est pas déjà fait, les produits de l’industrie laponne se rencontreront bientôt, à Paris, parmi les curiosités exotiques à bon marché qui y affluent de tous les points du globe. » Que pouvait être l’industrie laponne à la fin du XIXe siècle ? RDG écrivait au début de sa vie d’écrivain des livres destinés aux Prix des écoles, des livres de commande ou instructifs. Quand on lit Chez les lapons, on ne reconnait pas vraiment l’esprit du grand écrivain créateur du Mercure de France, du bibliothécaire polémiste de la Bibliothèque Nationale de France, viré pour cause de critique du nationalisme ambiant.

Je me souviens que je confondais lapons et esquimaux : ils habitaient tous les deux au septentrion (je ne connaissais pas encore ce mot mystérieux), là où il faisait froid, où tout semblait désolé. Je ne sais plus comment je suis arrivé Chez les Lapons. C’était une époque, le temps où le livre a été écrit, où les écrivains en revenant de leur promenade quotidienne, au Luxembourg pour RDG, se mettaient à leur table de travail pour écrire sur un pays et sur les habitants de ce pays, leurs mœurs et leurs coutumes. Quand le livre était terminé, un dessinateur à partir du texte écrit réalisait des images qu’on pourrait qualifiées de photographiques, tellement le sens du détail était exacerbé. Comment imaginer lire un Jules Verne sans ses gravures associées ? RDG n’a certes jamais mis les pieds en Laponie, mais son livre se lit d’une traite, rempli d’un charme désuet, pas tout à fait respectueux du peuple décrit. « Pour résister à un climat si rigoureux, à une existence si enfermée et si malsaine, il faut qu’ils soient robustes, et malgré leur taille exiguë, ils sont, en effet, très résistants, aussi sujets que d’autres aux maladies, mais des plus faciles à guérir. » Les droits humains était un horizon encore lointain.

Je ne sais pas comment je suis arrivé Chez les Lapons. Je n’ai pas de nostalgie mais la lecture de ce court livre engendre une sorte de mélancolie qui rappelle que l’uniformité de nos modes de vies n’avait pas encore gagné la planète entière avec son confort standardisé. Un endroit, la Laponie, où « il y a des fleurs […], comme en de plus doux climats ; mais si les chaleurs y sont courtes, elles sont extrêmes, et rien d’étonnant à voir ce pays doué d’un assez beau calendrier de Flore. En juin, la drave, les ronces et les soucis s’ouvrent au soleil ; en juillet, la violette, l’astragale, le bouton d’or, le myosotis, le saxifrage, le géranium, le trèfle d’eau ; en août, le sorbier, la crête de coq, l’euphraise, le pissenlit ; la bruyère attend la mi-septembre, comme chez nous. Bientôt tout est fané, le bouleau même perd ses feuilles : toute végétation a disparu. »

Je crois que j’aimais la sonorité du mot Laponie. Je crois que j’aime toujours la sonorité du mot Laponie. Et je ne veux pas savoir aujourd’hui, si les Lapons reçoivent CNN sur le dernier téléphone portable à la mode… Ma Laponie est une expérience onirique, un paysage de mon enfance, là où le bouleau même perd ses feuilles.

Silence alias FQ


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1ère mise en ligne et dernière modification le 7 décembre 2012
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