de l’être transparent qu’on est en rêve

le rêve est un oeil (mais un seul)


En cette période-là je dormais beaucoup. Ce n’était pas, d’ailleurs, la première fois que je traversais une telle période. On s’agite, on travaille, on ne se pose pas la question de ses forces, et puis soudain plus rien. On est dans le train, on dort. On prend un avion, on dort. On est sur un banc ou une chaise à attendre, on s’endort. On s’allonge un moment avec un livre, on s’endort. Le travail s’en ressent, forcément. On s’installe, on sait la liste des choses en retard, des travaux à rattraper, du livre à avancer. Cela paraît trop énorme.

On trouve des bricoles : on es un peu mou, on arrive au bout du temps imparti sans avoir cessé de s’activer vaguement, mais les choses denses n’ont pas bougé. Simplement, elles restent à l’écart, un peu plus menaçantes.

Alors on sort, on a des courses à faire, un bricolage à compléter. On prendra le temps d’aller à pied, l’air est bon, on parle au voisin, on sent l’odeur d’un feu de bois, même le bruit lointain du chantier semble favorable.

Sans doute qu’on se donne des prétextes : quelques jours comme ça et tout repartira, l’énergie sera bonne, les phrases tomberont comme elles doivent.

Le problème, c’est que cette période-là, cela durait. Le travail, sur nos nouvelles machines, est poreux à bien des artifices pour le tromper. On est en spectateur sur l’Internet, on lance sérieusement des vidéos dont on se passerait autrement.

Je me dis chaque fois : demain je me lève tôt. Cela m’était facile, autrefois, les réveils très tôt, s’asseoir et puis la machine roule. C’est l’envie, maintenant, qui manque. On peut s’exciter encore, brutalement, en lisant une phrase d’un grand livre, une lettre de Flaubert, ou bien, en conduisant, à tel paysage, ou telle sensation mentale, l’impression d’une architecture, d’un nœud où entrer, d’une peinture à faire, comme j’aime – à fresque, largement brossée, avec des gros plans surprenants et peu importe tel arrière-plan flou. Mais on ne le fait pas.

Je m’interroge surtout sur le sommeil : la nervosité des premiers jours a fini par tomber, et l’obsession des voix entendues vous laisser en paix. Le corps se détend, les rêves reviennent.

Mais quels rêves ? On n’y croit pas, que ce soient des rêves. On est cette forme floue, immobile, dans l’habituel lieu vide. La peur reste sensible, et les hontes jamais loin. Dans le rêve non plus, pas d’action. Dans le rêve non plus, pas de parole. Vous faites des rêves où vous êtes encore celui qui dort.

Alors j’étais là dans le rêve : la ville tout autour, l’activité grande, les visages rapides, fureur et bruit, mais moi là-dedans, transparent. « L’être transparent », me disait la voix du rêve. Et, cette fois, j’écrivais : c’était simple comme une aquarelle, c’était juste poser des formes et des couleurs, et voilà, elle venait, toute cette ville, elle s’inscrivait, mais moi en parfaite sérénité, comme de peindre cela mais à l’intérieur, sans pinceaux ni bloc, juste voilà – j’étais moi-même intérieurement la peinture, et complète.

Récemment, j’avais vu l’image photographique d’un ancien boiter se déposer, à l’envers, sur le dépoli de la chambre : j’aurais été un peu de cela.

Et le rêve disait : réveille-toi, tout s’effacera. Le rêve disait : que tu désordonnes la peinture, elle se dissout. Que tu cesses de dormir, ce que te dit la ville se taira.

Fin du poème.

 


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 septembre 2008
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