fictions du corps | Notes sur les hommes-pot

pour en finir avec l’humanité joyeuse, 5


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On dit que les hommes-pot sont établis désormais dans toutes les grandes villes, souvent en périphérie, et souvent qu’on les retient au sous-sol, par commodité.

Les hommes-pot ne souffrent pas, ne se plaignent pas, sont parfaitement heureux dans la situation qui leur est faite.

Ils ne sont pas difformes, mêmes si certains ont propension à un gonflement compréhensible. Ils sont simplement immobiles.

On ne constate pas qu’ils se soient fréquemment reproduits entre eux. On a bien insisté qu’il s’agissait plutôt d’une donnée sociale : l’habitude d’un travail fixe, et de commencer de plus en plus tôt dans la vie ces travaux qui les gardaient immobiles.

Le fait était avéré : dès que l’existence des hommes-pot a été installée dans nos vieilles sociétés, les parents n’hésitaient plus à laisser leurs enfants prendre cette direction comme une autre. On était au moins assuré d’une vie calme, d’une rémunération régulière.

On disait évidemment que ces quelques décennies d’avant la disparition progressive des écrans avait correspondu à l’installation des hommes-pot comme constante de nos sociétés modernes.

Ils n’étaient pas des rêveurs ni des créateurs. Mais ils exécutaient avec patience l’ensemble des tâches mentales qu’on leur confiait. Mais ils programmaient, calculaient, construisaient (des modèles), pilotaient (des machines).

Leurs besoins étaient réduits. Dormir c’était sur place, manger était limité, d’autant qu’ils étaient souvent affectés de ce dérèglement de gène, le corps se suffisant pratiquement à lui-même. Ils n’aimaient pas la lumière, du moins les plus expérimentés d’entre eux. On les laissait dans cette demi-obscurité.

Nous savions tous, dans nos villes, ce que nous devions aux milliers et milliers d’hommes-pot que nous maintenions dans nos sous-sols.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 mai 2012
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