Stones, 26 | Chuck Berry, aïe aïe rock’n roll

histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Le rapport des Stones à Chuck Berry est presque celui d’une double dépendance : dès Little Boy Blue & The Blue Boys, les morceaux de Chuck sont l’armature du duo Jagger-Richards, mais c’est le succès des Rolling Stones qui assure à Chuck Berry (en 1962 il est en prison à Terre Haute, Louisiane) une nouvelle jeunesse financière et artistique.

Ils se croisent assez tôt sur les routes professionnelles : dans les tournées package de 1963, mais Chuck Berry ne parle à personne, à Chicago lors de leurs enregistrements Chess de 1964 (paraît-il qu’il les écoute jouer Roll Over Beethoven et leur fait un compliment), puis c’est eux qui l’embauchent, avec Ike et Tina Turner et d’autres, dans les premières parties de la tournée 1969, ce qui n’est pas franchement à l’avantage du vieux pirate.

Chuck Berry est célèbre pour sa façon de faire : arriver dans la ville au dernier moment, juste sa guitare à la main, se faire payer cash avant de commencer à jouer (dans l’attaché-case qu’il tient de l’autre main), découvrir au moment même de commencer le groupe de musiciens recrutés sur place (c’est moins cher), avec lesquels il n’aura jamais répété. Souvenir violent pour le jeune Bruce Springsteen : – Mais on joue quoi, comme musique ? – Chuck Berry’s music, man. Bonne école. De toute façon, qui ne connaîtrait pas ses Chuck Berry par coeur ?

En tout cas, pour Keith, au note à note. En 1972, alors que Richards et Jagger sont à Los Angeles pour le mixage d’Exile On Main Street, Berry joue à l’Hollywood Palladium. Keith est reconnu parmi les spectateurs, on le propulse sur scène, comme d’habitude Chuck ne sait même pas qui sont ses accompagnateurs.

Sauf que Chuck Berry trouve que ce type joue trop fort. Il lui fait signe de baisser le volume. Deuxième morceau, pareil. Troisième morceau, Chuck, grand gabarit qui a toujours été plutôt soupe au lait, lève sa vieille Gibson et pousse le type d’un coup à l’épaule, le fait tomber de la scène. Il dira, après, qu’il n’avait pas reconnu Keith. On peut en douter : juste, qu’il n’a pas à s’incliner.

Richards s’en souviendra encore, jouant avec le X-Pensive Winos, en 87, au Palladium : a stage I’ve been thrown off one time.

Mais là, en 1986, son idée c’est vraiment de rendre hommage au fondateur absolu. Y compris en piraterie d’ailleurs, ce cynisme qu’est le rock’n roll. Proposer à Chuck, pour le jour de ses 60 ans, dans la vieille salle aux lustres d’or de sa ville natale, le Fox Theater de Saint-Louis, un concert avec répétitions et musiciens de première classe.

Ce sera décisif pour Richards : dans ce moment où Mick Jagger décide de faire des tournées solo, il y prendra la racine (et la confiance) pour son propre groupe, notamment via l’appui sur son batteur, Steve Jordan. Il ira chercher aussi, pour l’occasion, le vieux Johnnie Johnson (qui le premier, du temps où Chuck était coiffeur, l’avait intégré comme guitariste dans son Johnnie Johnson trio).

Les répétitions sont filmées dans la maison même du vieux lion. Qui reste aussi têtu qu’il l’a toujours été. Par exemple, il refuse de jouer sur un ampli autre que son vieux Fender habituel. On se débrouillera pour souder une dérivation clandestine au niveau du pré-ampli.

Certaines scènes de ces répétitions sont passées à l’histoire : faire recommencer quatre fois de suite à Richards l’intro de Oh Carol, qu’il joue sur scène depuis 25 ans, c’est prendre du risque. Mais les moments de convivialité entre Clapton, Richards et Chuck, l’hommage rendu à Lennon via la maladroite prestation de son fils Julian, l’impressionnante démonstration d’Etta James compensent tout.

Et le concert lui-même. D’accord, on a répété. La musique est puissante, rodée. En plein milieu du premier morceau, Chuck informe Richards qu’il va changer de tonalité. Richards fait non de la tête, Berry balance un si bémol plein pot rageur.

Étrange finalement de penser que Richards a désormais dix ans de plus que celui auquel, ce soir-là, ils rendaient hommage comme à un aîné. Devrait-il proposer à Berry de refaire à nouveau ce concert aujourd’hui, maintenant que le vieux monstre s’achemine vers ses 90 : dans la photo ci-dessous, prise en février dernier, on dirait que c’est Keith le plus vieux...

M’impressionnent toujours autant les solos de Richards, par leur retenue, par leur jeu sur quelques phrases récurrentes et tenues. Mas je garde surtout une autre image : pour la seule fois de sa vie, Keith jouant en costume, s’imposant la figure de l’accompagnateur professionnel, à l’opposé de ce qui aura été toute sa vie son comportement de musicien.

Il y a une façon sale des Stones, dirty work, se pousser toujours là où le son garde du bruit, de l’approximatif, parce que là est le bain obsessionnel du rock. C’est partie intégrante et décisive de leur esthétique scénique, y compris dans les plus grands stades. Hail ! Hail ! Rock’n Rolll est la démonstration de l’expertise professionnelle qui seule le permet. Et qu’on en mesure aussi, dans l’altercation Carol comme au plaisir manifeste qui suit, qu’il s’agit d’une fabrique.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 6 août 2012 et dernière modification le 18 octobre 2012
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