Stones, 18 | Midnight Rambler au Madison Square Garden

50 histoires vraies concernant les Rolling Stones – un légendaire moderne


Ne vous moquez pas de nous : on a appris à écouter différemment. Pourtant, Get Yer Ya Yas Out a été une sorte de porte fétiche de l’adolescence. Quand le disque me rejoint, je suis en terminale, interne au lycée Camille-Guérin de Poitiers mais il est déjà de bon ton, dans l’intelligentsia de notre turne, de préférer des musiques plus sophistiquées, Jefferson Airplane ou Chicago Transit Authority vous voyez... Donc, ce disque il est pour moi.

Cette même année, il y a aussi les 2 premiers disques de Led Zeppelin, on est prêt à recevoir cette bouffée d’énergie pure, positive. C’est ainsi qu’il m’apparaît, le live des Rolling Stones, avec Charlie Watts sur la piste d’aéroport, et l’âne qui porte ses tambours et la Gibson.

Les chansons, on les connaît pour la plupart (Jumping Jack Flash ou les autres de Beggars), mais il y a aussi les deux Chuck Berry et Live with me, qui donnent un centre de gravité comme on n’avait jamais entendu.

Ça tient à ce que le Stones découvrent eux-mêmes un nouvel art de la scène. Ils ont cessé de jouer en public le 17 avril 1967, à Athènes (en Grèce, pas celui des USA). Une invention essentielle : les retours, ces baffles déposés sur la scène face aux musiciens, et qui leur permettent – enfin, ou tout simplement – de s’entendre. Nous, on ne sait pas ces choses-là, mais la joie sur scène, dans la tournée de 1969, tient aussi à cette découverte, pour eux.

Légendaire tournée américaine : ils ont joué 16 fois à travers tout le pays, pour ces rendez-vous avec le Madison Square Garden, ces 27 et 28 novembre, ils sont rodés. Ça ne veut pas dire qu’on maîtrise tout. Le point fort des concerts est un moment acoustique, Mick et Keith sur 2 tabourets, Keith avec un dobro National de 1935, pour 2 morceaux de blues – chaque fois la sono est débordée, et les morceaux ne figureront pas sur le disque, avant la reprise de 2009...

Et pas de triche : les morceaux sont filmés par David et Albert Maysles. D’ailleurs, les premières secondes de Get Yer sont un mix de toutes les entrées en scène, bonimentées par Sam Cutler : Ladies and gentlemen, the Rolling Stones.... On apprendrait par coeur les tricks de Mick, qui pour la première fois se préoccupe de ce qu’il dit entre les chansons – mettez-moi les projecteurs, que je voie comme ils sont beaux, ils sont beaux non... ou bien, au Madison Square Garden, le truc du futal qui tombe vous voudriez pas que mon futal me tombe aux genoux, hein…, ou la vanne chaque concert resservie comme quoi Charlie Watts est bon pour l’asile, à taper comme ça. Il y a aussi la fameuse réplique d’une fille dans le public, qui réclame Paint It Black : écoutez les autres disques live des Stones, vous entendrez dans chacun, plus ou moins discrètement, le Paint It Black de la fille rajouté en collage à un moment ou l’autre...

Et puis Midnight Rambler. Quand je dis qu’on écoute différemment, c’est qu’il peut m’arriver d’entrer midnight rambler dans mon iTunes, de voir surgir 15 versions, et de n’écouter que ce morceaux, dans autant de variantes, pendant des heures en boucle.

Led Zeppelin, dès sa formation, via Dazed & confused, puis Whole Lotta Love et Stairway To Heaven, veillera à toujours avoir sur scène un morceau très long, rompant avec le format des disques. Bizarrement, les Stones en ont fait autant dès le Station Hotel RIchmond avec leur Crawdaddy, avant que les concerts deviennent ce happening de cris où leur musique est inaudible.

Midnight Rambler, version disque sur Let It Bleed, est joué sèchement, on dirait presque une maquette, pas un moment fort du disque, comparé au riff de Gimme Shelter par exemple. Il fait partie de ces morceaux d’abord travaillés avec Ry Cooder, avant que l’Américain se brouille, découvrant ce que Keith transcende de ce qu’il lui reprend – et on a une version enregistrée pendant le tournage de Performance, les Stones avec Ry Cooder mais sans Richards. Ce qui témoigne de la longue gestation de ces monolithes, même si on ne découvrira que via Get Yer Ya Yas Out son potentiel hypnotique.

Probablement que les guitaristes me corrigeront ou préciseront [1], mais, sur sa Gibson il va se contenter d’une même base de 3 accords élémentaires, capo haut dans le manche, mais rejouée dans tous les renversements de riffs sur cette même matière pauvre. Pour le référent extérieur, le fait divers de l’étrangleur de Boston (ses propres déclarations servent de départ aux paroles), mais plutôt cette allégorie même de la musique comme images de ville qui défilent la nuit. Puis le solo d’harmonica de Jagger.

C’est tellement beau, Get Yer Ya Yas Out, que personne ne croira au vrai disque live. Dans les bonus video du Gimme Shelter des Maysles, on voit bien comment ça se passe au mixage, la possibilité d’isoler une voix ou un instrument, et de faire surgir tout ce son en avant, sur la console analogique. Trente ans plus tard, les Stones feront parfois le voyage jusqu’à Paris pour avoir une de ces vieilles consoles à disposition.

Alors, Keith a-t-il refait en studio certains de ses solos ? Possible. Mais pourquoi ? À mesure qu’on a accès aux enregistrements des concerts, on découvre qu’ici il a réussi cette intro, planté telle autre, il suffit de choisir. Et, au Madison, on a vu Hendrix dans la loge (cette magnifique vidéo ou Keith prête sa guitare transparente à Jimi, mais l’essuie soigneusement quand l’autre la lui rend), on a joué 16 fois ces mêmes solos sur la scène, et... on enregistre les deux concerts pour n’en faire qu’un seul.

Ça n’enlève rien au plaisir. Plus tard, période Billy Preston, les Stones apprendront à se ménager sur scène un morceau plus long, qui ressource. Mais on le prendra dans le funk (Fingerprint file, 9 minutes dans le L.A. Friday). Et on se retrouvera toujours plus au large dans la performance Midnight Rambler (15’ pour L.E. Friday, 12’41 à la Brussels Affair, 13’00 à Leeds 71 (ce must..., 13’34 pour le Londres septembre 71, encore 10"32 au Tokyo Dome de 1990, à rapporter aux 9’05 de Get Yer et aux 6’53 de Let It Bleed).

Lors de ma première visite à New York, remontant la 34ème ou prenant le train à la Penn’, un dès pèlerinages obligés ce sera pour le Madison Square Garden. Tout le monde y a passé, mais moi je ne venais voir que le lieu fondateur de Get Yer Ya Yas Out. Et même, oui même Charlie Watts n’entrera jamais sur la scène du MSQ sans penser à tous les jazzmen qui y sont montés avant lui. On peut aujourd’hui encore en profiter.

Lors d’une autre visite à NY, merci Sam Di Iorio, on se retrouve à Harlem dans les bureaux des Maysles, et on parle quelques minutes avec le vieil homme affable. Période ou Scorcese envisage le film d’archives qu’il ne le fera pas, en bas un gars ressort les rushes non utilisés de Gimme Shelter. Il nous montre un plan de 8’, caméra braquée sur Keith qui écoute une prise du Rambler, tout en mangeant un hamburger. Aux 2/3 de la prise, il essuie lentement ses doigts graisseux sur ses boots croco, en regardant fixement la caméra. J’ai eu la chance de voir ça – il y a tant d’archives secrètes encore. C’est ça aussi, le Rambler.

Allez, et hommage à l’harmonica de Jagger :


 

Spécial merci aux lecteurs noyau dur, dont Alexandre Marx et Marc Omeyer !

[1Désolé, après une grosse panne de site (base MySqL devenue plus grosse qu’autorisé par l’abonnement serveur, suis passé à spip 3.1, plein de nouvelles fonctions mais je dois reprendre pas mal de scripts de l’ancienne, pour les mots-clés et les commentaires notamment. Je fais ça au plus vite (mais c’est toujours aussi raide que l’apprentissage d’une langue étrangère). Donc merci déjà à KMS pour ses apports !


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 29 juillet 2012
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