autobiographie des objets | matoutoucrabe et petits papiers

recettes recopiées, retrouvées, tentées


C’est écrit en un seul mot : le matoutoucrabe, et c’est l’écriture bien reconnaissable de ma grand-mère maternelle. Le papier était plié en 2, dans un livre de cuisine lui ayant appartenu, ouvert hier soir chez S..., la plus jeune de la fratrie des oncles et tantes. On avait des crabes à volonté, on les ramassait par seaux aux grandes marées, et ça semblait être éternel. C’était avant le tourisme de masse et la destruction de la côte vendéenne, maintenant désert biologique. Voici donc :

Cassez les crabes, retirer les chairs. Dans une casserole faire revenir avec un peu d’huile les oignons et l’ail haché. Lorsqu’ils commencent tout juste à dorer, ajouter la chair des crabes (boîtes de conserve si l’on peut). Faire revenir quelques minutes. Retirer le tout de la casserole et mettre dans un plat chaud. Ajouter un peu d’huile si c’est nécessaire. Lorsqu’elle est chaude ajouter la farine et le curry préalablement mélangés. Remuer vivement. Ajouter un peu d’eau peu à peu, 1/4 de lire à peine. Saler, ajouter le bouquet garni, le crabe et les oignons. Laisser cuire 10h environ à feu doux, en remuant pour éviter que la sauce n’attrape. Faire bouillir quelques minutes avec poivrons, piments (si l’on veut). Faire cuire du riz, l’égoutter, le sécher. Huiler un moule à savarin et mettre le riz tiède et tasser le fond. Démouler et servir en mettant la sauce et le crabe au milieu.

Ce qui est intéressant, c’est comment la lecture et l’écriture se mêlent aux usages privés dans un même écosystème : les livres de cuisine (hier, à Gif, on constatait avec S. la différence entre ceux qu’elle a récupéré de la cousine Gaby, la pharmacienne, comme La cuisine scientifique et ceux de ma grand-mère : 800 recettes simples), les cahiers avec évidemment la tournure plus personnelle, les ajouts, la collection, et cet ensemble de papiers insérés – dans les livres ou les cahiers – mais sans les intégrer. Recettes découpées dans des journaux ou magazines, ou ici recette recopiée.

Pourtant, si le curry est un élément repéré et accessible, le mot motoutou, qui le lui a transmis de Martinique – quel voyageur : le cousin zouave ? Les crabes, on les faisait bouillir dans la marmite (ébouillantés ils se raidissent et meurent, puis rougissent : les crabes sont des animaux dépourvus de cerveau, ils ne souffrent pas), et on mangeait ça comme le reste : avec du pain et du beurre, quelques pommes de terre derrière.

D’où l’étrangeté de cette appellation en mot unique, matoutoucrabe. Reste l’usage du temps : les 10 heures à cuire. Puisque la vieille cuisinière à bois fonctionnait en permanence, et qu’on pouvait très bien laisser le faitout posé sur le coin, tout le temps nécessaire.

Noter que le papier non ligné a été détachée d’un cahier avec ressort spirale (trace du bord droit), et qu’il y a à gauche et en haut des traces de ciseaux.

Faire un inventaire complet de comment les recettes de cuisine amènent le livre et l’usage personnel de l’écriture, recopiée ou notée depuis pratique personnelle, jusqu’au lieu le plus emblématique de la maison. Où on les garde dans le tiroir, ou sur l’étagère. Et ce qui change, si on se contente d’aller voir sur Internet, imprimer la feuille et l’apporter à la cuisine, ou bien ces marques qui commercialisent des tablettes avec protection caoutchoutée pour être posées dans la cuisine même. Ou l’univers des blogs de cuisiniers, ou comment disposer dans sa propre trace numérique de ces usages personnels de cuisine, que les vieux livres recueillaient auparavant via les petits papiers recopiés.

 

La série continuera discrètement, les textes accueillis ici complètent ceux du livre.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 juin 2012
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