publie.net dans Télérama

vers une banalisation progressive (enfin) du geste numérique pour la littérature ?


Note du lundi 11 juin :
l’article de Christine Ferniot est désormais accessible en ligne sur site Télérama, avec les photos d’Arnaud Meyer.

 

Un peu secoué par le titre, pas du tout dans le ton de l’échange préalable et amical que j’avais eu avec Christine Ferniot : la littérature est-elle menacée par le numérique ?

C’est trop cliché, ça ne colle pas. On ne va pas aller dire ça à un astrophysicien ni même à un musicien ou un réalisateur de film. L’éditorial que Fabienne Pascaud place en tête de Télérama favorise cette confusion potentielle – chère Fabienne, plus le droit de ça maintenant, vos lecteurs eux-mêmes ont mûri dans leurs pratiques et analyses, ils ont une Kobo ou un iPad, et probablement que ça ne les empêche pas de suivre l’actualité littéraire. Dire : les ventes de livres chez les libraires baissent dangereusement, l’achat sur Internet et la lecture sur liseuse semblent pour eux plus qu’une menace c’est penser qu’un message alarmiste, même participant d’un raisonnement faux, induira un plus de lecture ? Indépendamment que l’achat sur Internet (de livres papier) et la lecture sur liseuse (gratuite ou sur éditeurs 100% num ou via votre propre libraire) ça n’a strictement rien à voir, ça commence quand même par être un discours en voie de disparition. On peut déplorer que la vente des livres en grande surface ne laisse aux indépendants que 37% du marché, on peut déplorer que la hausse des loyers en centre-ville condamne la marge des libraires, on peut déplorer la banalisation d’une édition industrielle de plus plus normalisée, mais le livre numérique est un accroissement de la lecture, quand les libraires prennent en charge sa vente il est un appui certain de leur commerce etc... Et c’est ce que soulignera d’emblée l’article, à rebours de cet édito qui se veut alarmiste. Par contre, une autre question émerge : nos usages de lecture ne sont plus le monopole du livre, nous lisons de plus en plus en plus mais la presse comme l’activité réseau, la correspondance privée, tout passe par l’ordi ou la tablette – il y a une remodélisation de notre relation au monde via des usages de lecture qui se redéploient, y compris dans leurs usages denses. Nul doute, dans ce contexte, que la frontière livre/presse se modifie aussi, à Télérama on le sait très bien.

Peu importe, ce qui compte c’est le dossier lui-même, et Christine Ferniot l’ouvre avec une phrase bien plus positive en chapeau : de plus en plus d’auteurs et d’éditeurs s’adaptent à cette nouvelle technologie qui a jeté l’encre et le papier.

Elle continue : Une histoire en marche, une liberté nouvelle, un autre rapport au monde, un « nouveau territoire de créativité », comme le dit Laure Adler : pareilles expressions reviennent fréquemment dans la bouche des auteurs intéressés par ces nouveaux usages, même si je me souviens que dans l’échange avec Christine Ferniot on avait discuté de cela aussi – pour la plupart d’entre nous, l’ordinateur est arrivé vers 1988-1990, donc il y a bien 20 ans. La question du nouveau est plus liée à ce qui est loi générale de l’évolution web : le stockage cloud, l’évolution des matériels (nos carnets intégrés à l’ordi même, sa portabilité et son autonomie), les médias images ou voix intégrés à même le texte, et je dirais, plus au fond, une modification probablement irrémédiable du statut même de l’écrivain, qui perd son H aspiré de grand Hécrivain mais place la littérature, en tant que forme collective, dans une porosité vitale parmi les autres disciplines dans le même processus. Ajoutons enfin, mais ce n’est pas rien et c’est évoqué dans l’article de Christine Ferniot via les questions relatives au droit d’auteur et à l’auto-édition, l’existence d’un nouveau circuit économique pour les auteurs : la diffusion du livre numérique d’une part, la façon dont l’activité web (et donc la mise en ligne de ressources libres) favorise la rémunération de l’auteur via tout un ensemble d’activités hors du livre, qui ont toujours été une part déterminante de notre vie d’artiste, mais où désormais la carte de visite web est indispensable, notre atelier à ciel ouvert.

Je cite : Parmi les formes nouvelles qu’a engendrées l’irruption du numérique dans l’univers des écrivains, le blog et le site d’auteur (où l’écrivain, outre un blog, peut proposer par exemple des textes courts, des photographies, des comptes rendus de ses lectures...) sont à ce jour les grands vainqueurs. Dans l’immense espace de création ouvert par Internet s’offre à lire une littérature en train de se faire.

Et sont cités dans l’article Yves Pagès, Chloé Delaume, Paul Fournel, Eric Chevillard, Martin Winckler, Laure Adler, Emma Reel, Didier Daeninckx, Hervé Le Tellier – se fissure donc de plus en plus vite désormais l’idée que le numérique ne concernerait qu’une frange d’excités marginaux.

Et très heureux de voir que notre démarche à publie.net, y compris l’idée de départ très simple d’un partage des recettes 50/50 entre l’auteur et la structure (pratique toujours illégale dans notre pays d’ailleurs, on compose avec comme on peut), passe le message de la grande presse.

C’est ça qui compte. Plus le très chouette souvenir de la rencontre avec le photographe Arnaud Meyer qui m’attendait l’autre matin face à la voiture 8 de mon TGV à l’arrivée Massy, on n’a pas quitté le quai pour ses photos, il m’a juste demandé de lire sur mon KindleTouch comme s’il n’était pas là, du coup je me suis immergé dans les menus et les options et voilà ce qui explique la mine, alors que ce Kindle Touch est une fichue bécane.

Christine Ferniot : En fait, chacun s’accorde à penser que le livre papier cohabitera longtemps encore avec le numérique. La technologie avance, mais la radio n’a pas entraîné la fin des journaux, pas plus que la télévision n’a tué la radio ni le cinéma. Personne ne pleure la fin du Tipp-Ex et celle du papier carbone, tout est en permanence à inventer. Quoi qu’il arrive, la balle sera toujours dans le camp des auteurs. Et de leurs partenaires potentiels, les lecteurs.

Merci, m’dame. Et la respiration de tout cela s’appelle le web, bien plus encore que la notion de livre numérique. Hier matin, à l’invitation de Stéphane Michalon et Christophe Grossi, avec les informaticiens et développeurs de Tite Live / ePagine pour examiner comment l’achat d’un livre publie.papier dans un de leurs 100 corners des libraires indépendants (dont Ombres Blanches, Mollat, Sauramps, Arbre à Lettres, le Divan...) pouvait permettre le téléchargement de l’epub lié sans quitter le site de la librairie, le gâchis prévisible de 1001libraires.com occulte que le numérique en librairie ça existe et ça se développe, qu’on est ensemble sur le chantier. Et qu’un mini labo comme publie.net a un rôle certainement plus moteur là-dedans que les grosses machines du SNE-lobby.

Et quand vous voulez, Télérama, pour des dossiers qui prolongent ce que je cite plus haut de Christine Ferniot : non, l’écriture numérique ce n’est plus, désormais, cantonné aux auteurs édités papier qui ouvrent un site, c’est plutôt le mouvement contraire, toute cette création blog qui s’approprie l’en-avant de la littérature. C’est aussi les formes mêmes qui lient les ressources fixes du livre numérique à des ensembles plus mouvants – quand j’ai acheté le Télérama à la gare Montparnasse, j’étais en plein aménagement d’un dossier Altamont (vous vous souvenez, Gimme Shelter, le film des Maysles sur la tournée 69 des Stones ?) mêlant l’édition d’un texte de Marc Villard, Sharon Tate ne verra pas Altamont, à un texte mien inédit, Conversations avec Keith Richards, la nouveauté progressive d’un lieu d’expérience littéraire disposant par le numérique d’une autonomie propre...

En tout cas, et je renouvelle le merci à Christine Ferniot : il est grand temps que s’amorce désormais une banalisation de nos démarches, au regard des grands messes et ronron de l’édition traditionnelle – il faut que désormais nos productions numériques circulent dans les mêmes circuits critiques, disposent de mêmes relais que les productions traditionnelles et c’est loin d’être acquis. Un article comme celui-ci y contribue certainement.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 6 juin 2012 et dernière modification le 9 juin 2012
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