les inscriptions de Coralie

atelier "maisons à cuire" à Fontevraud avec Armelle Benoît et Claude Ponti, deuxième mercredi


note du vendredi 16 mars
Le site de l’abbaye de Fontevraud intègre désormais le blog de l’atelier, portraits, textes, coulisses.... en attendant la journée Ponti du 31 mars, visitez les maisons à cuire.

présentation du mercredi 14 mars
Notre deuxième mercredi à Fontevraud, dans la salle voûtée qui nous est accordée, grand soleil dehors, et nous recevons à nouveau nos trois groupes du foyer Les Tourelles de Saumur. On commence à se connaître, mais bien sûr toujours un renouvellement des enfants.

Ainsi, c’est la première fois que nous recevons Coralie.

Chacun se remet au travail comme si la règle du jeu était intégrée : s’ébauche le village de terre qui, après première cuisson et émaillage, sera cuit sur place en juin et exposé tout l’été dans les jardins de l’abbaye.

Le parcours de chaque enfant dans l’atelier sera une histoire en soi. Ma tâche est de les documenter et les raconter.

Je commence par Coralie, et ce qu’elle m’a appris, que le silencieux mais actif Claudeponti (les enfants prononcent en un seul mot, normal, ils ont lu ses livres) sait à l’avance : l’argile deviendrait récit, et quel récit.

 

La vie ou la mort ne rentrez pas


À la proposition de bâtir sa maison, sans autre préalable, la réponse de chaque enfant est unique (à une exception près, celle des 2 soeurs Lucy et Ophélie, ce sera prochain billet).

Mais quelle complexité dans l’idée, au lieu de figurer une forme en relief, de désigner que cette représentation sera la maison. Le mot, si on le figure, représente forcément la chose.

Mais ce que propose Coralie, d’emblée (elle a sous les yeux les maisons réalisées par ses camarades, la semaine précédente, et ce que Claude Ponti construit de ses mains parmi eux), c’est un dispositif.

Le sien est fait d’une route qui bifurque, et de deux plaques planes, avec sur la première l’inscription : À LA MAISON et sur la seconde, lieu social opposé au lieu privé : HYPER U.

À ce moment-là, ma propre intervention est normative. J’essaye de pousser Coralie à me nommer ce qu’il y a derrière son inscription à la maison, et – je m’en souviens maintenant – Claude intervient quand je parle de l’inscription Hyper U, c’est lui qui rectifie le tir : la plaque maison est plus grande que la plaque Hyper U, dit-il, parce qu’on en a beaucoup plus dans la tête que ce que proposent les supermarchés.

Et la première réponse de Coralie est une sorte de sas, peut-être qui va quand même l’emmener dans la narration. Non, l’Hyper U n’est pas toute la ville. La ville va surgir dans le troisième embranchement de la croix, et elle incise : TOUS LES MAGASINS.

Il reste une extrémité, la grande tige du carrefour, face à la maison, par la route qui passe maintenant entre la ville et le supermarché. Il y a 7 enfants dans chaque groupe, nous sommes très sollicités même si les 2 éducs ont retroussé les manches et sont exemplaires dans le partage. Je ne crois pas que ni Benoît ni Armelle ni moi n’ayons à ce moment parlé à Coralie. Quand je reviens, la quatrième plaque gravée la voilà :

A priori, à ce moment, Coralie en a fait assez pour la séance : elle a défini un espace, une forme, une cohérence, l’inscription LA RIVIÈRE est une ouverture et un symbole. D’ailleurs c’est ce que j’essayerai de lui dire, l’affinité de la rivière et de la maison, l’espace du secret et du silence, de ce qui passe...

Quelques minutes après, Coralie, de sa propre initiative, a induit un autre bouleversement : quels ou qui sont ces personnages qu’elle installe ? L’atelier nous sollicite de tous côtés, je photographie les personnages, mais ne la questionne pas.

Par contre, aussi bien Paul, l’éduc qui la voisine, que Claude et Armelle, nous exprimons à Coralie notre perception de ce qu’elle nous propose, que nous considérons comme fini. Voilà où on en est :

Disons qu’à ce moment-là on la laisse en roue libre. Je vois naître sous ses mains un personnage à échelle beaucoup plus grande que ceux qu’elle a insérés dans dans sa maison à cuire. Mais voilà qu’elle le pose derrière la maison. Qui est-ce ? Un géant. Favorable, pas favorable ? Peut-être elle ne s’était pas posée encore la question. Dans les livres de Claude qui traînent sur la table, ces personnages ne manquent pas. Est-ce que c’est l’étape nécessaire pour un basculement dans l’imaginaire.

Là voilà qui retravaille. On la laisse faire. Quand je reviens, c’est comme une grotte, une entrée de souterrain. Il y a une inscription au-dessus : LA MINE. Si elle a visité une mine ? Oui, une mine d’ardoise, la mine bleue, mais c’était avec mon ancien foyer. Si elle a eu peur ? Non. Pourtant, la mine est mauvaise. Elle dit : Derrière, il y a des serpents. À preuve qu’elle se met aussitôt à retravailler, et les voilà : deux vipères.

Au moment des vipères, il n’y a pas encore le ruban de clôture. Elle l’établit, et nous sommes trois à suivre lentement l’inscription qu’elle grave sur la totalité du ruban, nous trois muets, attendant la fin du geste pour qu’elle nous soit révélée : LA VIE OU LA MORT NE RENTREZ PAS.

Il manque quoi ? Il n’y a qu’elle, qui puisse le savoir. Elle installe elle-même le dispositif de la mine par rapport au premier dispositif, celui de la maison. Le géant se tiendra derrière la maison. La mine est près de la rivière.

Et puis j’aperçois cet ultime personnage, posé à plat sur le sol. C’est la petite fille, elle est morte.

Je n’ai plus compétence. Nous lui disons notre respect, nous remercions. Elle ne pourra pas revenir mercredi prochain, mais dans deux semaines, elle espère. Mais j’ai bien vu (j’ai même voulu faire une photo mais trop tard) que Claude avait sculpté en quelques instants un oiseau, dans l’argile, et l’avait donné à Coralie. Qu’elle était partie donc en nous laissant la morte, mais emportant l’oiseau de vie. Là aussi, le Claude Ponti, dit pas grand chose, mais agit juste et vite.

Suite des histoires vendredi soir et samedi.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 mars 2012
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