campagne électorale, 10/15

l’important était d’avoir un avis sur tout


L’important était d’avoir un avis sur tout.

L’important était d’annoncer ce que vous alliez changer.

De toute façon, tel que c’était, cela n’allait pas. Même si c’est vous qui l’aviez fait (dans ce cas, vous saviez d’ailleurs bien la faute à qui, pas vous mais les autres).

De toute façon, tout ce qui s’annonçait serait tellement mieux. Plus juste, plus économique, plus rigoureux, plus ouvert, plus intelligent.

Et puis rien ne bougeait. Ni celui-ci, ni les autres : il y a une pesanteur, vous savez. Vous placez vos gens, qui replacent les gens placés par celui d’avant. Les éliminés, on leur trouvait des comités, des conseils, des rapports. En aviez-vous jamais un qui perde sa cravate ?

En attendant, il fallait bien décliner le catalogue par chapitres. Et si vous parliez avec les blancs, vous aviez oublié les noirs, le lendemain avec les noirs vous auriez oublié les blancs. Vous étiez à Londres pour dire que vous aimiez l’argent qui va à l’argent, vous reveniez en Hollande le lendemain pour dire que l’argent doit aller hors de ceux qui ont l’argent. Vous disiez que vous aimiez les footballeurs, et puis que les footballeurs avaient de trop belles voitures. Vous parliez d’aventure avec les aventuriers (vous seriez-vous souvenu de vos propres aventures ? – ils sortaient tous de la même école comme tous les camemberts du même moule à fromage et on emballe), et parlaient sécurité avec les emplumés de sécurité.

L’important était d’avoir lu sa fiche. Les fiches étaient rédigées par ceux qui restaient d’un régime l’autre, sortis de la même école un peu moins bien dans le classement. Il ne fallait pas se tromper de fiche, prendre la fiche sécurité avec les aventuriers et la fiche aventuriers avec les emplumés de sécurité.

Il fallait prendre un air de réflexion pensive, et de grande fermeté dans la décision. « Les Français veulent être dirigés », croyiez-vous (et que c’était un argument pour vous faire confiance. Vous arpentiez le terrain. Si vous étiez plus fort que le concurrent, vous tendiez des cordes pour retenir à deux mètres les photographes et faire moins cirque. Vous serriez les mains. Vous étiez dans le vrai, ça se voyait à comment vous posiez vos chaussures sur le sol.

Vous preniez conscience des réalités, votre main chiffonnait la fiche dans la poche droite, zut vous vous souveniez du deuxième et du troisième paragraphe, mais plus du premier. Il fallait l’oreillette, mais avec les caméras de la télé on ne peut pas trop chuchoter dans son oreillette. On ferait semblant de téléphoner pour quelque chose d’important : – À quoi ça sert ce truc... Et c’était quoi le premier paragraphe ?

Et puis tant pis, à quoi ça rimait puisque de toute façon tout continuerait pareil mais en pire, juste un peu pire ou juste beaucoup pire. Vous vous étiez soudain retournés : – Un scanner pour tous une fois par an depuis la naissance, aviez-vous proclamé, et c’était le gros titre du lendemain, on vous applaudissait : comment, on n’y avait pas pensé plus tôt ?

Votre main chiffonnait nerveusement la note dans la poche. Ça semblait passer. On rattraperait le coup s’il fallait. Mais c’était quoi ce premier paragraphe, vous vous en rappelez maintenant ?


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 7 mars 2012
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