« Autobiographie des objets » | sommaire, et version intégrale en ligne (plus compléments)

ce que la mémoire des objets vous offre d’un vous-même perdu


Quand Sortie d’usine, en 1981, avait d’abord été refusé par Jérôme Lindon, c’est Denis Roche qui m’avait reçu dans son bureau de la rue Jacob, où étaient les éditions du Seuil. La leçon qu’il m’avait donnée m’avait permis de représenter quelques mois plus tard mon livre aux éditions de Minuit.

Donc petit pincement symbolique à publier pour la première fois, grâce à l’accueil de Bernard Comment et le compagnonnage éditorial entamé il y a longtemps avec Olivier Bétourné, dans cette collection dont tant de titres marquants sont présents ici dans mon bureau.

Et, en accord avec les éditions du Seuil, l’idée de conserver en ligne ce qui a été ici l’atelier même du livre, billet après billet, avec les commentaires, recherches collectives, discussions et compléments, suites...

À noter enfin : un certain nombre de chapitres du livre, écrits plutôt à la fin du projet, n’ont pas été mis en ligne et ne figurent pas ici. À l’inverse, figurent ici plusieurs entrées développées en ligne, mais non reprises dans le livre. Il n’y a donc pas — délibérément et définitivement –-, d’édition définitive ou référente de ce livre, recherche à jamais ouverte.

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Photographie haut de page : autoportrait à Damvix, août 2011.

Autobiographie des objets, le sommaire



 bref prologue
 1, nylon
 2, miroir
 3, Tancrède Pépin
 4, Telefunken
 5, casquettes de Moscou
 6, le litre à moules
 7, magnétites
 8, tige et rondelle jeu glissant
 9, jouets
 10, pierre de taille
 11, le mot Dodge
 12, quoi faire d’une hélice d’avion
 13, sous cadenas
 14, machines à écrire
 15, transistor
 16, Jacques Rogy
 17, la caisse aux grenouilles
 18, au microscope
 19, flore portative Bonnier plus compléments
 20, voitures à pédales
 21, dioptries
 22, règle à calcul
 23, Monsieur Canne
 24, baïonnette
 25, grandir
 26, Joseph Kessel
 27, boîte à ouvrage, autres boîtes
 28, photos de classe
 29, éthers
 30, navigateurs solitaires
 31, sandales, écriture
 32, la guitare à Dadi
 33, deux chevaux fois qu’une
 34, couvercle
 35, cartes postales
 36, la vie en verre
 37, vitrine du coiffeur Barré
 38, le mot buanderie
 39, la revue Le Haut-Parleur
 40, un Popeye en bouchon
 41, étincelles dans la nuit
 42, panonceau Citroën
 43, salle des fêtes
 45, prises électriques
 46, la France en plastique
 47, bateaux à voile
 48, pattes d’eph
 49, du temps dans les voitures
 50, lettreuse Dymo et Lettraset
 51, du mellotron
 52, le don d’écrire
 53, poule mécanique
 54, autos-tamponneuses
 55, la boîte aux toupies
 56, petites fenêtres à voir
 57, Guenute
 58, lire le journal
 59, pieds nus et carré blanc
 60, en prose
 61, fournisseurs et ronds de serviette
 62, couteaux, canifs, Corti et Keith
 63, il y aurait tout cela encore
 64, dictionnaires
 fin, l’armoire aux livres

et quelques compléments

 la page des compléments avec une liste de compléments

 matoutoucrabe et petits papiers (autres compléments)

 caisse à jouets (autres compléments)

 une revue de presse

 try it in english (some excerpts in english)

 les objets de... Jérémy Liron

 Étienne Arlot, invité d’honneur

Autobiographie des objets, prologue : une question


Les objets, c’est une danse : on ne s’y reconnaît plus. De deux ans en deux ans il faut se débarrasser de l’ancien et le remplacer par ce qui est tellement mieux – de toute façon il tombe en panne de lui-même et n’est pas réparable. C’est une fête aussi : le questionnement sur le monde, par la vitesse, les avions, les villes découvertes, et ce que nous apprenons à grignoter par nos doigts sur le plastique ou la dalle tactile du téléphone nous apporte des musiques inouïes, des livres rares, l’état précis des routes ou des trains.

On roule sur un abîme : la planète mise à mal, les problèmes politiques et les conflits chacun susceptible de tout faire s’écrouler plus vite qu’aucune guerre autrefois, le cynisme froid de l’argent soufflant plus fort que les vents de haute altitude. Et ces objets à obsolescence programmée qui ont remplacé la vieille permanence, on ne supporte pas de penser à qui et comment et où ils ont été fabriqués, ni ce qu’on fera ensuite de leurs métaux rares et poisons des semi-conducteurs. L’ancien nous émeut : pas forcément pour l’avoir tenu en main dans l’enfance – un tracteur à rouiller dans un champ, une voiture en équilibre sur la pile d’une casse périurbaine, aperçue rapidement du train, et c’est le temps tout entier qui vous saute à la face, et ce qu’on n’a pas su en faire.

Et jamais cependant on n’a connu plus finement l’immensité qui entoure notre propre mystère : exoplanètes et lumière fossile, galaxies naissantes, et la même chose pour l’atome ou la cellule, théories qui renoncent à unifier pour mieux comprendre corde à corde l’immensément petit ou l’immensément lointain. Dans les vieux livres, on cherche encore un sens à l’aventure du présent, on conjure par les anciens récits le désarroi d’avoir manqué la nôtre.

Les morts sont auprès : mains et voix. On entre dans les maisons, on les revoit tout au bout. Leurs objets à eux, l’invention qu’ils ont connue, et l’ébranlement qui les suivit. On est donc soi-même si vieux, à son tour, pour que l’apparition de la machine à laver, du téléviseur ou des guitares électriques nous soit un événement, quand la valeur symbolique de tout cela à son tour s’est évanouie ? On n’a pas de nostalgie – l’idée d’une mélancolie est plus riche, plus subversive même, à la fois quant au présent et au passé. Dans le chambardement des villes, on a désappris d’accumuler et garder (même si). Reste le présent, et son abîme : faute de le comprendre, et dans l’amplification majeure, chaotique qu’il représente, revenir lire les transitions successives. Il y a vos mains, et il y a ce front froid des morts, ceux qui furent vôtres.

Au bout, tout au bout, on le sait : rien que les livres, encore et pourtant. Parce que cela aussi serait en danger, où on a tant appris ? Alors eux aussi les reprendre dans ce bouleversement fou des choses. Comment croire que soi-même on provienne d’un tel monde ? Cinquante ans, une paille.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 14 février 2012 et dernière modification le 25 novembre 2022
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