Malt Olbren | « La maison d’écriture, vue du dehors...

"Maisons intérieures d’écriture", première traduction française pour les "Inside Houses", feuilleton, le 20


« La maison d’écriture, vue du dehors, est comme toutes les maisons. C’est très important, même : du dehors, personne ne doit deviner comment elle est, au-dedans. Et même : plus au-dehors elle est banale, plus tu peux l’aménager au-dedans, la banalité même est ta carapace, elle te protège. Je roulerais des heures dans l’étalement de nos villes, est ou ouest, à regarder de loin, au passage, quelle maison d’écriture je ferais avec celle-ci, ou celle-là, j’en suis sûre : d’abord tu es seule à bord – la maison, à toi. La constante : une pièce pour chaque chose, et chaque chose a sa pièce – pour moi, une maison d’écriture c’est aller de pièce en pièce, et à chaque pièce son dispositif propre. Je joue du violon, c’est important pour moi le moment du violon (la fiancée, tu dis ?), j’aurai une pièce – et peut-être la plus belle, la plus vaste, avec seulement mon pupitre, et sur un guéridon les partitions, le diapason et la colophane. Et puis un carnet pour noter ce qui vient lorsque je joue mon violon. Dans la pièce à dormir, le cahier pour noter les rêves, ou ces phrases étranges du matin, qui lèvent toutes formées, qu’il faut saisir très vite, tout entières, quitte à se rendormir ensuite, épuisée. Dans une pièce calme, avec fenêtre au nord, la table pour le travail long, égal. Je n’aime pas les caves, les souterrains, les sous-sols. J’aurais muré les accès à tout cela, dans cette maison, et au garage aussi. Mais j’aime les recoins perchés, les mezzanines, les greniers, les lieux encombrés. Il y aurait là un carnet pour les projets, les idées, les livres qu’on s’invente tout en sachant qu’on ne les fera pas. Et puis aussi une pièce que j’appellerais pièce vive, peu importe qu’elle soit grande ou petite, il faut seulement qu’elle soit nue. Un tabouret, un lutrin, une fenêtre ou même pas de fenêtre. On écrit là les pointes, les choses qu’on sait extrêmes, ou celles qu’on garde secrètes. Il leur faut un lieu de silence, un lieu presque dissimulé, une pièce dont on garderait la clé. Dans la cuisine, lieu de convivialité, lieu d’ouverture au monde, peut-être un poste de radio, un appareil à musique, les journaux qui traînent, et un cahier aussi, mais pour les histoires, les faits divers, les pensées mobiles. Je ne suis jamais longtemps, dans la cuisine, mais je m’y pose cependant souvent. Et s’il vient des amis, c’est ici que je les reçois : la maison d’écriture sinon m’est réservée. Je n’ai pas parlé de la pièce de l’ouest : si dans la maison une pièce reçoit le soleil couchant, alors c’est celle dans laquelle je pose les livres à lire. Je ne lis que l’après-midi, dans ce moment d’inquiétude où le temps bascule. La nuit faite, je reviens au travail, dans une quelconque des pièces. Dans la pièce de lecture non plus, pas de meubles : je lis par terre. Je m’aménage un lit dans les livres, je m’y cale, ils m’accueillent comme un nid. Je n’écris pas, non plus, dans cette pièce. Elle peut bien avoir eu initialement usage de chambre : je ne me sers pas de chambre – j’en raye la catégorie. Au soir, j’emporte mon matelas roulé et mon sac de couchage dans n’importe laquelle des pièces, je l’installe et j’aurai là le sommeil. Selon que je m’endors sur telle tâche, ou souhaite me réveiller par telle autre. Je peux dormir dans la pièce au violon, souvent. Voici en tout cas le schéma. Je n’aime pas trop les villes, les appartements emboîtés, les immeubles : il faut de la distance aux autres. Il faut l’espace matériel qui te sépare des autres, de leur bruit, de leur présence même, et bien sûr de la vue. Le reste importe peu : la couleur des murs, l’apparence extérieure de la maison. J’ai aperçu des maisons favorables dans de toutes petites villes, dans des lieux très plats, ou bien au contraire sur les rives de mer, ou dans les escarpements de montagnes. J’en ai aperçu dans les vieux quartiers de vieilles villes, comme dans les zones neuves des villes naissantes. Une ville neutre comme L.A. est favorable, par cette neutralité même. J’ai aimé vivre à L.A. Parfois, je me dis que je pourrais être moi-même mobile, pourvu de pouvoir recomposer, où que je sois, cette disposition de la maison d’écriture : elle est intérieure, c’est en moi que je la porte. J’ai pu vivre – et longtemps – dans une seule pièce fermée dans le fracas de la ville, et si à l’intérieur j’avais cette maison que je t’ai décrite, il m’était bien indifférent de la reconstruire dans cette pièce minuscule en haut de la ville, avec un coin de ciel parmi les réserves d’eau des toits pour tout horizon, et le bruit des voitures en bas. C’est cette maison qu’on porte au-dedans, qui compte : maintenant tu connais la mienne. »


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1ère mise en ligne et dernière modification le 25 décembre 2011
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