Malt Olbren | « Écrire c’est face mer...

"Inside houses", de Malt Olbren, pour la première fois traduit en français – les "Maisons intérieures d’écriture" en feuilleton, 07


Sur Malt Olbren, et cette traduction, lire premier billet.

« Écrire c’est face mer », m’avait-il dit comme il l’avait répété déjà à tant de journaux, tant de radios, l’écrivant même dans ses livres. Il avait eu paraît-il un genre de ruine sur Long Island pourquoi pas, il y a des coins sympa. Maintenant il descendait plus bas, il avait essayé Miami mais trop artificiel disait-il avec componction (il n’avait qu’à pas y aller), et quand je lui avais parlé de ce livre de lui que j’avais tant aimé, le chemin qui va tout droit jusqu’aux vagues, les trois maisons et leurs couleurs peintes sur le bois, le fracas du vent et la forêt et les dunes en arrière presque aussi vastes que la mer tout devant : « Mais le décor c’est dans ma tête, il m’avait répondu, celui-ci je l’ai écrit dans une chambre d’hôtel, c’était Atlantic Beach à Charleston et je m’en souviens à cause des courants d’air tu sais je n’avais pas de sous à l’époque », etc. etc. quand il voulait bien raconter c’est tout ça qui venait, et ravalez donc la galerie de planches et l’immobilité de la femme en rouge qui regarde. « Toute la côte est je l’ai faite, tu sais j’en rêvais : un livre qui s’appellerait Description de la côte est du haut en bas, et puis voilà, j’ai assez de notes et de tickets de caisse et notes de motel pour te la faire au pile poil, mais moi j’imagine, tu vois j’imagine... » Il imaginait donc depuis une dizaine d’années à Mobile, oen revenait d’octobre à avril, faisait évidemment toutes ses promotions et vivait en parfait homme des villes. Tu lis ? « Pas trop. » Tu prends des notes, tu prépares ? « Pas trop. » Tu fais quoi, alors ? « Oh, j’ai bien quelques articles. » Toujours les mêmes, les articles, on lui donnait le nom d’une station balnéaire, d’une ville face à la mer, et pendant trois jours il était pendu au téléphone, se faisait envoyer toute la documentation, les horaires d’avion, les tarifs des hôtels, la couleur du sable et les moyennes de température de l’eau, les statistiques de fréquentation, et on avait un vrai article de voyage. « Mais quand je suis parti, je suis parti, plus personne pour me demander ça. » Et donc à Mobile, disait-il, parce que vraiment face mer avec une grande véranda. Il s’installait là (ou il et elle, parce qu’elle le rejoignait souvent). « Et là, tu vois, boulot. Régularité. Matin sept heures, écrire jusqu’à onze heures. Petite marche l’après-midi, et re-séance de sept à onze P.M. » Et pourquoi aucun de ses livres qui se passerait à Mobile ? « Ne jamais confondre la réalité et l’imagination, mon ami », – il prenait facilement un ton condescendant dans ces phrases-là. Sans doute qu’il y trouvait pourtant son compte, variation des ciels, transparence ou pas de l’eau. « Moi, me baigner, tu rigoles ? Jamais approché de l’eau plus loin que ma fenêtre. » Elle, chaque fin de semaine, elle repartait voir sa vieille mère à Philadelphie, ne me demandez pas pourquoi, c’était leur arrangement et lui-même en plaisantait : « Old lady et old lady [1], continuité et alternance. » Disons-le grossièrement, du vendredi midi au dimanche soir il ne dessoûlait pas, et grave. « Le lundi j’attaque mon chapitre, je suis lavé dedans : j’ai tué les idées. Comprends ça, mon ami : tuer l’idée. Je pourrais ingérer de l’acide à cerveau, que je le ferais. Et j’ai cinq jours pour écouter ce qui s’écrit, là, face mer. »

[1Voir premier billet.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 décembre 2011
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