livre & numérique : pour une loi générale d’adoption (avant-projet)

remerciement au Syndicat national de l’édition d’une initiative généreuse et fraternelle pour les auteurs, à l’occasion de ses Assises 2011


On sait que je me suis souvent opposé à la politique de résistance active à la mutation numérique qui caractérise le Syndicat national de l’édition, notamment lors de tout le bruit fait pour cette loi bureaucratique et inapplicable dite loi PULN (prix unique du livre numérique, qui ne laissera d’autre trace que son surnom, #Prisunic).

Mais je suis reconnaissant au SNE d’avoir bien voulu m’associer, ainsi que quelques acteurs du web, à cette proposition encore confidentielle (pourquoi n’osent-ils pas l’annoncer sur le programme de leurs Assises du 8 novembre prochain ?), dite Livre & numérique : pour une loi générale d’adoption.

Cette fois, on aborde bien, de front, la mutation numérique du livre, avec une mesure concrète pour faciliter la transition aux auteurs.

En voici donc les grandes lignes, et pourquoi je la soutiens. Photo ci-dessus : dans un lieu parisien anonyme, la semaine dernière, séance ordi pour préfiguration du grand registre (voir article 6).

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livre & numérique : pour une loi générale d’adoption


Nous, signataires de cet appel à une loi générale d’adoption s’appliquant à la littérature, prenons acte de la mutation numérique du livre. Embryonnaire par le nombre encore réduit de personnes succombant à tablettes et liseuses, elle s’annonce néanmoins comme globale, irréversible, et rapide – comme l’ensemble restreint des précédentes mutations majeures des formes et supports de l’écrit l’ont été.

Nous, signataires de cet appel, avons pris conscience (et appelons à ce que cette prise de conscience soit généralisée) de la fragilité qui s’en induit pour les auteurs n’ayant pas effectué pour eux-mêmes cette transition aux usages numériques : si la transition aux outils numériques (écriture avec ordinateur, usage du courrier électronique) est désormais acquise pour l’ensemble de la profession, ce n’est pas le cas pour la création de sites et l’usage réfléchi et critique des réseaux sociaux.

Les signataires remercient cependant, le web littéraire étant une réalité incontournable depuis 15 ans, l’ensemble des associations d’auteurs et des acteurs du livre en général, Centres régionaux du livre notamment, pour la politique très active d’information et formation aux auteurs concernant les usages numériques menée ces dernières années, ayant permis ce très vaste mouvement d’accès aux blogs, maîtrise du référencement, exploration des formes d’édition numérique, valorisation des nouvelles formes juridiques et modes de rémunération des créateurs. Cela témoigne d’une vraie capacité d’anticipation et d’ouverture dans un contexte où tout portait au contraire à ne rien voir, ne rien faire, ne pas soutenir, ne pas tenter.

Les signataires de cet appel prennent acte des difficultés désormais devenues structurelles d’un écosystème de création littéraire basé principalement sur le livre imprimé :
 place de plus en plus restreinte (27%) de la librairie indépendante dans le système de diffusion du livre, réduisant d’autant le vecteur le plus indispensable à l’accueil de la création ;
 vitesse de rotation du livre multipliée brutalement ces dernières années (présence en librairie moyenne d’un titre : 5 semaines, chiffre d’affaire du marché du livre à 66% sur moins de 500 références, quelle que soit la surproduction en titres, taux de vente annuelle à 6 exemplaires pour rentabilisation d’un titre en rayon) ;
 de pair avec des moyens techniques permettant l’impression à coût réduit (depuis qu’un livre de 200 pages imprimé à 250 exemplaires est passé sous la barre d’un coût de fabrication à 2,50 euros), d’une confidentialité aggravée de la diffusion imprimée, le nombre de titres imprimés vendus à moins de 100 exemplaires après « retour » aux 3 mois ayant passé désormais la barre des 20% du nombre de titres produits ;
 aggravation caricaturale du système des prix littéraire renforçant encore le caractère consensuel de la critique (tout le monde parle de la même chose) et du côté PMU de la littérature : 10 livres qui se vendent pour faire oublier les 700 autres.

Les signataires de cet appel prennent acte au contraire de la maturité désormais évidente de la création littéraire numérique, des formes neuves de partage établies via réseaux et sites [1], de la fonction désormais principale du numérique littéraire pour le surgissement, la formation et la reconnaissance de nouveaux auteurs, là où, il y a quelques années encore, l’édition imprimée et les revues papier étaient encore en condition d’en tenir le rôle.

Nous, signataires de cet appel, en appelons donc aux mesures suivantes :
 article 1 : proposition à chaque personne ou association tenant un blog ou un site, littéraire ou bien au-delà du champ littéraire, d’adopter un ou une auteur du monde imprimé – les bibliothèques publiques seront notamment les bienvenues dans les sites accueillants ;
 article 2 : par cette adoption, le site ou blog concerné s’engage à une médiation et un soutien matériel tout aussi bien qu’affectif à l’auteur adopté et à ses oeuvres papier, pour toute la durée où elles trouveront encore éditeur hors du monde numérique ;
 article 3 : si plusieurs blogs ou sites décidaient adoption ou soutien à un même auteur, l’adoption serait transférée sur une plateforme de type réseau social, à charge pour le blog ou site de renouveler son adoption pour un ou une auteur du monde imprimé dont il serait seul à exercer la tutelle – cette précision nous semble décisive pour valoriser un écosystème d’approbation critique pour les auteurs du monde imprimé éventuellement encore aptes à une large lecture, et élargir de façon dynamique le champ des adoptions vers une large masse d’auteurs du monde imprimé désormais hors de l’accès à diffusion et distribution, ou confidentialité reconnue de cet accès ;
 article 4 : dans ces modalités d’adoption, le monde de l’imprimé se fie à la générosité naturelle des acteurs du web pour accueillir dans leurs sites et blogs un écho vivant du travail de l’auteur adopté, carnets, actualité, extraits, lectures et attention aux autres, tout ce qui pourrait constituer le site web de cet auteur s’il se préoccupait de son identité numérique et d’une attitude constructive concernant sa propre création ;
 article 5 : si, à quelque moment de l’adoption, l’auteur adopté se décide lui-même (avec l’aide bienveillante du site ou blog adopteur) à la création d’un espace numérique personnel, les traces numériques de l’adoption restent acquises au site ou blog accueillant (même dépliées en miroir dans le nouveau site de l’ex-adopté).
 article 5 bis (corollaire) : l’adoption prenant fin par ce fait même, le site ou blog accueillant et l’ex-adopté décident si possible ensemble et en amitié, 1, du nouvel auteur adopté par le site ou blog accueillant, 2, du premier adopté par l’auteur devenu blogueur – ce double parrainage est alors valorisé sur les deux sites ;
 article 6 : dès ce projet acquis, un grand registre sera ouvert sur Internet, pour accueillir les souhaits d’adoption des sites et blogs (par discrétion, on ne propose pas aux auteurs du monde imprimé une démarche d’inscription comme demandeur), ainsi que l’historique et les dates de ces adoptions – les adoptions sont considérées comme acquises dès réservation faite sur ce registre, un Comité élu annuellement par l’ensemble des adopteurs et adoptés étant chargé des éventuels litiges et leur résolution amiable) ;

Nous, signataires de cet appel, confirmons que ces 6 articles (incluant le 5 bis) peuvent suffire à modifier en profondeur le paysage numérique de la création en langue française, facilitant la transition vers les usages numériques d’auteurs jusqu’ici trop timorés pour le tenter, ou bien les aidant et protégeant dans un contexte où, probablement pour 3 ou 4 années encore (après, ce ne sera plus la peine), l’aggravation de ces conditions d’accès et de diffusion réelle de l’écosystème du monde imprimé va se faire de plus en plus nette et difficultueuse.

Les signataires remercient le Syndicat national de l’édition [2] d’être à l’initiative de cette loi innovante, humaine, fraternelle, majeure.

Nous vous donnons rendez-vous nombreux, le 8 novembre prochain, à l’Institut océanographique, 195 rue Saint-Jacques, Paris 5ème (nous souhaitions ce lieu, pour cette initiative), pour fêter le vote que nous espérons massif et résolu de ce projet décisif. ATTENTION : demander préalablement par e-mail au SNE 1 invitation avec mention Projet : adoptez un auteur papier.

[1Nota : personnellement responsable de cette formulation dans l’avant-projet, elle n’est pas encore adoptée pour la version qui sera proposée aux Assises, je la maintiens donc ici en mon nom seulement, et sous réserve.

[2Et particulièrement le président du Syndicat national de l’édition, M. Antoine Gallimard, le président de la commission numérique du SNE (secrétaire général des éditions Gallimard aussi), le Centre national du livre (et particulièrement, à son conseil d’administration, M. Antoine Gallimard), la Bibliothèque nationale de France (et particulièrement, à son conseil d’administration, M. Antoine Gallimard), ainsi que le Motif, centre régional du livre en Île-de-France, (et particulièrement, à son conseil d’administration, M. Antoine Gallimard). Nous félicitons d’ailleurs M. Antoine Gallimard de l’obtention du prix Goncourt 2011, qu’il vient de nous annoncer quelques jours avant le prix.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 31 octobre 2011
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