nos invités | la Défense père & fils

Christophe Grossi traverse Paris en diagonale pour vérifier si ce que j’écris de la Défense c’est inventé ou pas...


De Christophe Grossi, suivre le travail d’écriture (une partie du) sur son site Déboîtements, très riche, et un des blogs avec lequel je me sens en affinité profonde.

Professionnellement, merci à Christophe pour son action essentielle, aux côtés de Stéphane Michalon, pour la médiation de nos livres numériques, repris par les libraires indépendants via le blog ePagine.fr .

Juste regrets, hier, loupé l’arrivée de son message twitter pour le recevoir dignement à la Défense, il s’est débrouillé tout seul.... et accompagné.

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Christophe Grossi | La Défense père & fils...


Impossible de savoir combien de fois je suis allé à la Défense. Si avant d’habiter Paris et Montreuil j’y passais régulièrement, depuis que j’ai quitté l’Est en 2006, une chose est sûre, je ne ne suis pas venu là. Un de mes points de chute à l’époque se trouvant à Nanterre, la Défense n’était pour moi qu’une gare du RER A, un endroit où attraper un métro, acheter un cadeau de dernière minute pour mes hôtes, rien de plus. Je ne me souviens pas non plus être venu là pour m’y promener. Si je l’ai fait c’était sans doute au début des années 90 mais ma mémoire est trouée. Arto, lui, est né il y a deux ans et demi environ à Paris. Il n’est jamais venu là, c’est certain, même si sa mère s’y rend temps de temps, mais pour le travail. Et nous n’avons pas du tout la même vision de cette ville, ses tours n’ont pas la même signification pour elle et pour moi.

Depuis une petite semaine je suis de près le travail de François Bon à la Défense. Suite à son invitation (mais au dernier moment il a été retenu par des journalistes) j’ai décidé de m’y rendre en compagnie d’Arto, ce samedi, et d’y faire un photo-reportage en temps limité. L’idée était simple : prendre quelques photos, noter les impressions d’Arto, les publier sur twitter, les remettre au propre en rentrant avant d’envoyer le tout à François.

Vers 11 heures, nous descendons les escaliers de la Place du Marché, station Croix de Chavaux, sur la ligne 9. J’entends qu’un train arrive, nous courons un peu, le conducteur nous voit, nous attend. On va dans la maison du métro ? Quelques stations plus loin nous descendons à Nation et prenons la ligne 1 en direction de la Défense (une vingtaine de stations environ, toutes équipées désormais de portiques vitrés qui ne s’ouvrent que lorsque le train est à l’arrêt). À chaque fois que notre train s’arrête Arto me demande où nous sommes (Bastille, Tuileries, Concorde, Porte Maillot). Puis : J’aime bien le train du métro. Après avoir dit au revoir au train (il le fait systématiquement) nous prenons les escalators et tombons sur les bronzes polychromes des Siptroo (« Les Hommes de la cité » ou « alors pense à un oiseau très blanc », 1992). Un bébé qui pleure dans le ventre ? Nous découvrons là les premières tours, leurs centaines de vitres, leurs reflets bleus (je pense immédiatement aux premières images de Claire Dolan de Lodge Kerrigan) et le bassin de Takis, ses reflets bleus aussi, ses trois canards, ses déchets, ses sculptures lumineuses (1987). Sur un muret à proximité des marches je repère un extrait du registre des arrêtés municipaux n° 96 / 1650 T. S. 22 dont l’objet est « Bassins et fontaines de Courbevoie, interdiction à la baignade - EPAD - Division espaces publics JC / CL A.P 212 ». Les fausses fleurs elles tombent pas dans l’eau. Il y a peu de monde aujourd’hui. Pas de cravatés dans les parages ni d’attachés-cases. Pas d’hommes qui pleurent ou qui nous observent depuis leur bureau.

Quelques touristes seulement qui sont venus voir l’Arche et nous demandent de les guider jusque-là (on doit faire local, Arto et sa trottinette surtout). Nous nous rapprochons de la fresque de Raymond Moretti (1990). Les photos qu’on peut faire ici, c’est incroyable ! Arto se rue sur elle. On dirait des grandes pailles. Nous croisons François quelques mètres plus loin devant la sculpture de Josef Jankovic (« Dans les traces de nos pères »). Il file à son rendez-vous. Arto me dit qu’il est gentil le monsieur. Puis : S’asseoir et je ne bouge plus, papa il fait une photo. Mais la photo est ratée. Les allées sont toujours aussi désertes et tous les commerces fermés. Malgré ce vide apparent me reviennent des images de films, allées et venues d’hommes en noir et pressés de réussir ou condamnés à regarder le monde depuis un box, images souvent stéréotypées d’une Défense en ébullition (Violence des échanges en milieu tempéré serait de ceux-là ?). Les deux plaques que je repère soudain sur un pilier témoignent, malgré les apparences, de la présence d’une forte activité humaine. On imagine d’ailleurs assez bien que derrière les illusions bleutées des tours la maladie doit ici faire vivre tout un tas de spécialistes : là c’est un cabinet d’orthoptie puis un cabinet de kinésithérapie (rééducation fonctionnelle, chaînes musculaires, massage, rééducation post-partum, orthopractie) mais ailleurs on devrait pouvoir trouver quantité de psychiatres, non ? Soudain « Arto le momo » a faim et il va dévorer son repas dans un daily monop’ (Défense 4 temps). Tout est vitré ici aussi. Ce sont les entreprises spécialisées dans les lavages de vitres qui doivent se faire un pognon fou (j’imagine aussi quelle exploitation humaine il doit y avoir derrière - mais là rien n’est transparent). Un bonhomme nous regarde et nous parle à travers la vitre, je comprends qu’il me demande si c’est mon fils, le reste je ne le saisis pas. C’est qui le monsieur ? Il est plus de treize heures trente et je sais désormais que nous n’irons pas plus loin aujourd’hui : il est tard, Arto tombe de sommeil, il nous faut rentrer à Montreuil. L’Arche sera pour une autre fois, Saint Gobin et le pouce de César aussi. Mais en sortant, Je veux aller dans le grand manège avec les escaliers. Deux tours plus tard nous regagnons les escalators. Au revoir la Défense à bientôt, je vais me reposer dans le métro. Sur la ligne 1 Arto monte sur mes genoux, se blottit contre moi mais il lutte pour ne pas s’endormir. Arrivé à la maison il court dans sa chambre : défense de le réveiller.

N.B. : Les phrases prononcées par Arto sont en italique dans le texte.

ChG, 7 mai 2011.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 mai 2011
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