roman-photo | avenir & prospective

résidence Paris en Toutes Lettres, une semaine d’immersion à la Défense


C’était comme ça dans les vieux contes : par une nuit de brouillard, si vous vous perdiez dans les landes, une ville enfouie surgissait. C’était une fête, tout le monde déguisé comme au temps passé – mais non, la ville qui vous accueillait participait résolument d’une époque disparue, qu’elle seule préservait. Et quand minuit sonnait tout finissait, chance pour vous si vous aviez pu vous éloignez avant le tout dernier coup. Dans les vieux contes, si c’est en forêt que vous vous perdez, alors une cabane, ou un château, pas une ville. Si c’est en montagne, une caverne, ou une minuscule vallée perdue. Mais dans notre ville contemporaine ? Il y a un adage ici : on ne vous laisse pas aménager de façon trop personnelle votre espace de travail, tout circule. Ceux qui n’arrivent pas à suivre, au revoir. Si tant d’entre nous ont un peu de la Défense dans la tête, c’est que tant d’entre nous sont passés par là à une étape de leur vie. On dit que c’est eux, ceux à qui on dit un matin que ce n’est plus la peine de revenir (et on use vite les hommes, même dans les étages les plus hauts, et quelque soin que vous ayez pris de vous fondre à ces coutumes qui en font aussi un monde déguisé, complet sombre avec cravate, petit cartable noir), qui l’ont vu et savent vous en parler, de la tour intermittente. Qu’elle n’apparaît que ces matins fades, ou dans la furie du soir, quand tous s’en retournent et que personne ne regarde. Elle est là, modeste, pas des plus hautes ni des plus impressionnantes. Juste un peu plus terne, aux ouvertures un peu plus discrètes, et un homme à casquette pour veiller aux entrées. On dit qu’une fois dans le hall on voit facilement l’inscription près de l’ascenseur : Avenir & prospective, troisième étage, et qu’on ne sait pas ce qu’il y a dans les autres étages, et encore moins dans les sous-sols. Ceux qui s’y sont risqués ne sont pas revenus nous le dire. On dit que personne n’a su vraiment expliquer qu’une tour ainsi puisse être soit présente, soit absente, dans la fixité inamovible ici des bétons, des lumières, des couleurs. Que cela tienne à un temps plus maussade et hostile, au fait qu’on regarde ou non, et à votre propre situation – notamment s’il vient de vous être signifié que demain vous n’aurez plus à revenir. Les mots Avenir & prospective, ici, ralentissent le regard et la voix de ceux qui les prononcent – la légende, ou le fait, sont partagés par bien plus que ceux qui réellement sont entrés dans le hall et ont vu la plaque.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mai 2011
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