la ville à l’écoute (souffle de la Défense)

dans le bruit général qu’est la ville, reconnaître où il devient son


Ce matin, longue balade avec Renaud Bajeux. Il a terminé l’école Louis-Lumière il y a 2 ans, il travaille plutôt dans le cinéma, sous les perches des longs-métrages ou dans le travail de proximité des documentaires. Me suis toujours senti en affinité avec ceux du son, depuis mes premières initiations Nuits Magnétiques avec Bruno Sourcis, en 1986 : et notre série s’intitulait De l’autre côté de la Défense, juste là auprès, à Bezons.

D’ailleurs, consciencieux et solitaire, Renaud a anticipé notre rendez-vous : c’était à 10h30 – parce qu’avant j’avais une autre rencontre –, et lui était là dès 9h. On avait échangé par mail sur ce qu’on ferait. Mais, il a déjà fait une bonne partie de ce que je voulais qu’on fasse, sans le lui avoir dit.

Bruits des talons quand 180 000 personnes en moins de 2 heures se répartissent entre le RER, les bus et les tours, ou bruit de la 4 voies express qui ceinture, ou ce sentiment de flottement dans la galerie commerciale où chaque boutique diffuse son propre contexte sonore, il l’a fait. J’évoque ce sentiment bizarre qui prend dans le grande vide couvert de la tour Coeur Défense : il y est allé.

C’est à la fois facile et très difficile, le son : ici, il n’y a pas de silence. Donc juste à prendre. Mais alors, ce qu’on prend c’est ce qu’il y a dans toutes les villes. Nous voulons utiliser ce son comme matière, en accompagnement de l’installation vidéo où, de jeudi à dimanche, se mêleront les textes et les images. Où, quand et comment le bruit de la ville se constitue-t-il comme son ?

Hier, une fois, j’ai eu cette sensation : dans cette entrée vers des souterrains grillagés, une sorte d’agora de marches de ciment, descendant en pyramide inversée sous le sol de la dalle. Tous les sons proches disparaissent, mais tous les sons lointains s’ajoutent, dans la réverbération ténue des souterrains ouverts. Renaud enregistre, se servant de ces souterrains, le bras à travers la grille, comme un photographe des anciennes chambres noires. Un vigile, là-haut, vient et tourne d’un air suspicieux : grand problème posé à son intelligence – nous ne faisons pas comme tout le monde, et pourtant nous ne faisons rien de répréhensible. Il nous colle un long moment, je fais exprès, comme celui qui attend qu’il s’en aille pour fabriquer son mauvais coup. Même dans Coeur Défense, le vigile qui hier m’avait interdit les photos laisse Renaud enregistrer : « Ils croient que c’est un sonomètre, pour la pollution sonore, me dit-il, et puis je laisse exprès mon cahier dessus, quand ils voient quelqu’un écrire ça les dissuade... »

Ensuite on ira dans le Richard Serra, puis dans plusieurs de ces interstices qui sont comme du silence, et puis, un moment, Renaud je le perds. Demi-tour : c’est le souffle même, de la Défense, qu’il a trouvé et qu’il enregistre. Le souffle qui sort de ces grilles mystérieuses, donnant sur l’épaisseur souterraine des tours, et le remuement de vagues monstres.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 3 mai 2011
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