roman-photo | l’homme qui pleure

résidence Paris en Toutes Lettres, une semaine d’immersion à la Défense


On aurait dit, cet homme, qu’il pleurait. Peut-être que ce n’est pas drôle, derrière les vitres, avec la lampe, l’écran et les autres. Peut-être qu’on a beau s’habiller comme il faut, en chemise et cravate, on en prend dans la figure, parfois, derrière les vitres, quand on travaille. Ils ne sont pas enfermés : on en voit souvent qui sortent, et s’attroupent, mais ce sont plutôt les fumeurs. Ça sent, en bas des tours. Ici c’était un passage sous verrière : ils sont nombreux, ces passages. Ça empêche déjà les fumeurs. Ou peut-être pleurait-il à cause des arbres : moi aussi, ils m’ont donné envie de pleurer, ces arbres taillés au moignon, poussant droit dans le ciment – et même le système d’arrosage automatique est maigre et rationnel, trois tubes en long, un qui s’entoure autour du tronc maigre. Il y avait bien de quoi pleurer, et peut-être j’aurais dû le rejoindre, cet homme, qu’on partage notre affliction sur le destin ici des arbres. Finalement, il est parti, je ne l’ai pas vu disparaître. Je regardais cet homme sur la photo que j’en avais faite, et le temps de se retourner, la même photo aurait conservé les arbres, mais pas lui. J’ai remarqué qu’une vaste trappe, à l’arrière, enfonçait vers les sous-sols. Mais il n’avait pas de veste, et dans les sous-sols on ne va pas sans veste. J’y vais. Je vais voir où mène cet enfoncement (il y a partout de ces enfoncements, mais nul qui mène au même endroit). Je regarde la photo : pleurait-il cet homme, ou c’est moi qui invente ? Juste un peu fatigué, juste un peu usé, juste le désarroi ici de ce que la terre fait des hommes.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 2 mai 2011 et dernière modification le 3 mai 2011
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