autobiographie des objets | 9, jouets

grand comme une caisse, le monde déroulé


Tout tenait probablement à l’horizon de mer, ligne grisée sur l’horizon indéfini, par grand beau les découpures au loin de La Pallice et ses mâts de charge, le bourg accroché au vieux rocher qui marquait l’ancienne île, et la digue plus loin puisque tout le reste était en altitude légèrement négative. Les autres villages, et même Luçon gardant souvent dans leur géographie la trace de l’ancien port, et le peuplement ici si étrange, via les arrivées de mer, le cabotage des côtes, les bagnards envoyés pour les digues, où se rejoignaient Louis XIV et Napoléon – et le savoir très souterrain de tout cela, regarder bien plus la masse d’eau que ce qui nous appuyait de terre à l’arrière.

Le coffre à jouets est un élément très précis du souvenir, et d’ailleurs il n’aurait pas été question que nos possessions de gosses débordent ce qui était leur assignation finie, ni que nous ne rangions pas. C’était une caisse en mince bois vert marquée Castrol, Castrol étant la marque de l’huile utilisée pour les vidanges sous le pont élévateur, tandis que pour l’essence c’était Caltex.

On farfouillait dans la boîte. Certains des objets remontaient à mon père, gardés ici dans leur fonction d’occupation pour enfants donc recyclable à échelle de génération – ce que nous avons aussi perdu. On était entrés dans un monde neuf de rapport à la consommation et probablement, la mère institutrice et le père garagiste, étions-nous mieux lotis que les copains de classe – je revois aux Noël une tente d’Indien ou un train miniature, et qui ne saurait pas pour lui-même faire cet inventaire ; mais à la sortie de classe c’est au garage des grands-parents que nous revenions, et après la tartine beurrée du goûter construisions nos jeux, cela partait obligatoirement de la caisse Castrol aux jouets venant du père, complétés des curiosités choisies par le grand-père.

Parce qu’il les réservait à notre intention ? Aujourd’hui je ne crois pas. Plutôt, simplement, par cette impossibilité à jeter, et la curiosité où lui-même était de ces horlogeries, assemblages, miniatures.

Ainsi, nettoyer des vis platinées quand plus tard nous aurions ces méchantes voitures à essence ou notre Vélosolex, ce serait une routine. Mais le rotor aux huit enroulements de cuivre d’un Delco, les minces balais de carbone qui en frottaient la couronne, et la légère came qui transformait le courant continu en impulsions via le contact interrompu quatre fois par tour via cette très mince couche de platine sous la petite lame de métal, est-ce que ce n’était pas une leçon qui englobait toute l’histoire des hommes ? Direction la caisse Castrol, et je crois bien que l’émerveillement abstrait de ce rotor sous le mouvement discontinu des deux lames je l’appréhendais comme cela.

Il y avait aussi un mécanisme de commande des phares et clignotants de deux-chevaux. À l’époque nous savions tous dater n’importe quelle Citroën par les marques extérieures de ses accessoires, découpe des vitres, de la calandre ou des phares, et sur la deux-chevaux l’essuie-glaces manuel engoncé en plein pare-brise avait fait place à un mécanisme qu’on remontait à la main, les clignotants qui faisaient battre à l’horizontale une tige de plastique orange (tiens, il y en avait aussi une dans la caisse Castrol) venaient d’être remplacés par une minuterie électrique, dans cette même commande qui réglait veilleuses codes phares, et si on poussait ça déclenchait le klaxon.

Mais, décortiqué de son enveloppe de bakélite noire c’était un monde, là-dedans, tiges brillantes, contacts fragiles et ressorts – et c’est bien comme un monde que nous le recevions, sans compter que la minuterie fonctionnait toujours.

Assez, en tout cas, pour que ce boîtier de commande phare et clignotants de deux-chevaux, serré par un collier sur la colonne de direction, et qu’un défaut d’origine avait dû faire remplacer, soit de toute façon un élément d’importance dans la caisse Castrol, et donc la construction d’imaginaire, si telle est la fonction de ce qu’on décrète jouet.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 27 février 2011 et dernière modification le 9 février 2013
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