Pierre Mari | Point vif

publie.net comme lieu d’expérience littéraire


C’était il y a 3 dimanches... Un auteur – dont je place haut la démarche et l’écriture – préfère, après plusieurs refus d’éditeurs, dont celui qui a publié ses 2 derniers livres, son "rapport mystique au livre", à l’idée de se mettre en rapport avec nous. Un débat comme le web seul peut en produire s’ensuit, 1200 visites dans la journée pour cet article, Une parfaire leçon de non-web, que nous saurons évidemment très vite dépasser, Pierre Mari acceptant dans la journée que nous lancions un vrai processus d’édition web.

Voici donc ce texte, Point vif, dans son ambition, et – de notre côté – le souhait que la lecture et l’accès en soient le plus confortables...

Je me permets ci-dessous d’en reprendre ma propre présentation, ainsi que la lecture qu’en fait Ronald Klapka.

Photo ci-dessus : Pierre Mari.

 

Pierre Mari | Point vif


Dans le récit très tendu de Pierre Mari, quel que soit le principe qui gère l’équilibre entre expérience vécue et fiction (Nerval nous y a souvent menés, et le connaisseur de Kleist qu’est Pierre Mari utilise évidemment chacun de ces paramètres narratifs en toute connaissance de cause), il y a d’abord la qualité de sa langue.

Ce qu’on apprend sur nous-mêmes tient évidemment d’abord et seulement à l’expérience de cette langue tendue, accrochée jusqu’à l’extrême à l’homme, aux paysages, aux idées.

Je ne sais pas si cela induit une poétique du récit : elle est constamment subvertie, à chaque pas du texte, par la rigueur de la convocation du réel. Peut-être faut-il cet exercice extrême (qui remémorent les récits fantastiques de Blanchot) pour que justement on oublie les échafaudages, qu’on se laisse happer par la narration elle-même.

C’est qu’il y a du réel, charrié dans les lignes. Avec de la vie, de l’amour, de la mort. Et que la littérature a toujours été à cet endroit. Mais que l’assumer pour le présent, c’est le prendre tel que nous sommes : le narrateur (comme Pierre Mari lui-même) donne des formations de culture générale en entreprise – deux univers qui pourraient paraître inconciliables, et qui pourtant nous traversent en continu. Dans cette prescription sociale dure, de temps, d’argent, de hiérarchie et relation, on conduit son destin – on en assume la part libre irréductible. On la trouve, nous, dans les livres. Ici, les personnages (et peu importe leur statut réel ou fictif, et que le personnage dont le prénom est Valéry puisse coïncider avec quelqu’un qu’on connaisse) lisent et écrivent. Mais si c’était le prétexte pour inclure dans le récit une réflexion sur l’écriture ou la littérature, ou faire étalage de son propre parcours, tout évidemment s’effondrerait. Il y a l’expérience d’un chemin, et ce à quoi il contraint – les livres, et l’écriture, viennent ici.

Nous affrontons à publie.net nombre de paradoxes : la lecture sur écran (aussi confortable qu’elle devienne sur iPad ou autres appareils de nouvelle génération – et l’epub de Point vif inaugure pour nous une nouvelle approche de la maquette epub), est un geste encore restreint, comme autrefois ces collections d’avant-garde ou ces revues qu’on dénichait dans telle et telle librairie et elles seulement. Pourtant, c’est bien parce que ces textes nous sont nécessaires que nous souhaitons qu’ils soient au coeur de notre expérience. Rien ici qui flatte. Seulement (on en a parlé ailleurs), si nous ne décidons pas ensemble de ce travail, les textes eux-mêmes ne sont plus accessibles. C’est notre raison de continuer, et la dette que nous avons aux auteurs qui nous confient ces textes qui sont en même temps des arrachements de vie, des lignes esthétiques qui représentent chaque fois, pour qui a écrit, une étape décisive.

Je remercie Ronald Klapka d’avoir accepté la mise en ligne d’une lecture de Point vif, présenté avec une couverture de Philippe De Jonckheere (desordre.net).

FB

 

Ronald Klapka | Pierre Mari, un jour de Kleist


Pourtant, les livres, tous les livres, sont devenus à mes yeux la vie même. Ils sont exactement vivants et il ne me viendrait pas à l’idée de les traiter comme des objets rares, fussent-ils anciens et de grand prix.
Corinne Bayle, Du Paradis, Journal de Poméranie (1792-1804), éditions Aden, 2010, p. 49.

Ceci est une parfaite anecdote, et à la vérité : non. Je lis, avec infiniment de plaisir, Du Paradis, Journal de Poméranie de Corinne Bayle, aux éditions Aden. Nécessairement au cours des années en question (1792-1804) , irradiées par les figures de Novalis, les frères Schlegel, Wackenroder, Tieck, Goethe, Schiller, Schelling, Caspar David Friedrich (sans omettre ces femmes merveilleuses : Bettina Brentano-von Arnim, Caroline von Günderode, Dorothea Mendelssohn-Veit-Schlegel, Caroline Michaelis­-Bohmer-Schlegel-Schelling, Sophie Schubart-Mereau-Brentano etc.), passe, fugitivement, la figure de Kleist.

Et comme un parfum de « biographie intérieure » s’exhale des pages de ce magnifique livre, je songe aussitôt au « portrait » que donna naguère Pierre Mari, Kleist, un jour d’orgueil, que me mit en main un jour la « psyché entre amis » : Valéry Hugotte recommanda à Pierre Mari d’adresser son livre à François Bon, dont l’enthousiasme fut grand, et qui me le remit, un jour d’assemblée générale, que je lus à mon tour, fasciné depuis la lecture de Penthésilée dans la collection Aubier, le reste suivit (et en particulier la version de Gracq et sa préface aiguë), avec cette figure interpellante recroisée tant chez Grosjean que Celan (Le Méridien).

Relecture à grands traits, mais avec le recul donné par quelques années de lectures critiques auxquelles François avait donné l’élan et la permission, et qui redouble l’appréciation d’autrefois : de mieux voir comment un livre est fait ne diminue pas la joie de la première réception, mais incite au contraire à se rapprocher de l’ « auteur ». Et de me demander ce que celui-ci était devenu. Je l’imaginais poursuivant la carrière universitaire que la publication de cet essai aux PUF laissait présager.

La réponse : google, canalblog, Point vif (15 août 2010), et ma lecture ébahie de ce qui est en effet autant essai que récit.

D’où cette mention discrète :

« Et voici un livre, qui tient désormais une place élective dans ma bibliothèque en ses affinités, à l’instar, d’un Kleist, un jour d’orgueil, ce bel essai de Pierre Mari, qu’un jour me mit entre les mains la psyché entre amis, touchant au point vif. » (lettre du 28 août 2010) et cette mention non moins discrète en note : « Point vif, récit très impliqué (littérature, formation (« université sauvage »), entreprise, amitiés profondes), s’intrique avec la méditation la plus personnelle, et « attend ses lecteurs ».

Ce livre est à découvrir, vraiment, j’y reconnais, j’ose le dire, une démarche tout à fait parente de la mienne (ce que j’essaie là où j’en suis de faire), comme de celle de François Bon, quand il se lança dans les ateliers d’écriture, l’internet littéraire et aujourd’hui l’édition numérique, c’est mettre en œuvre l’art de provoquer les rencontres (intellectuelles, artistiques, spirituelles), et dans celles-ci la place majeure qu’y tient la littérature quels que soient les publics avec lesquels la rencontre s’effectuera. Cécile, l’héroïne de Point vif, c’est chacun, chacune de nous, de même le narrateur avec ses questionnements (partagés avec des alter ego : l’un de la génération qui précède, l’autre de celle qui suit), à la fois son double et son autre.

Quant à l’écriture de Pierre Mari, elle fait ce qu’elle dit tout en disant ce qu’elle fait : qui voudra prendre un peu de distance, pourra s’y lire, apprendre sur lui-même et prendra une leçon d’élégance morale et littéraire. C’est bien le moins qu’un tel livre puisse ainsi circuler, et trouve pour le véhiculer le vecteur adéquat, qui lui permette de rencontrer les lecteurs qui l’attendent sans qu’ils le sachent encore.

Reims, le 28 septembre 2010,

Ronald Klapka


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1ère mise en ligne et dernière modification le 3 octobre 2010
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