sombres matins d’hiver

atelier d’écriture avec des électro-mécaniciens de Pantin


Non plus cette semaine les apprentis du Cifap, j’espère les retrouver vite, mais avec Géraldine Collet une classe de terminale électro-mécaniciens du lycée professionnel Félix-Faure. Ça se passe à la bibliothèque bien sûr. C’est notre deuxième séance, il y en aura quatre, et ce matin Olivier Roller est avec nous, on souhaite tous une trace aussi des visages.

Je propose simplement de travailler sur le trajet du matin, une fois fermée la porte de chez soi. On a des grandes feuilles A3 qu’on a plié en neuf fenêtres, et chaque fenêtre sera une image fixe d’un instant de ce trajet, itinéraires dans l’hyperville, bascule des étages au souterrains, chemins croisés des bus et des métros, et point d’arrivée identique.

Vingt-et-un textes, vingt-et-une approches différentes de comment se mêlent la langue et la vision, comment la langue voit et comment on participe du monde.

Puis séance de lecture, tous en rond. Je lis l’ensemble des textes, sans les noms (mais ils reconnaissent facilement !), et puis Neffah le rappeur, Adrian et Damien qui viennent en voiture ensemble, Romaric et Bullut et Lyonel qui tire des mots une si étrange musique liront à leur tour. Quant à Lekbir, demande spéciale : - Tu prends ton texte en main, mais au lieu de le lire, tu nous le re-racontes, tu en rajoutes, tu nous attrapes dans ton histoire... Grand moment.

Ci-dessous : extraits.


Cité. Ça pue la pisse dans la cage d’escalier, un tas de clopes éventrées.
Arrêt de bus. J’observe les passants. Les langues les accents se mélangent.
Les murs. Paysage meurtri des sourires d’amis.
Les gens et leurs rêves. Visage fatigue arrachés de leur lit le regard avide dans les yeux de cette femme à croire qu’il y a des obus sur la route de son destin qui explosent en plein milieu comme dans les rues de Beyrouth.
La rue. Des mots des phrases des cris des bruits des lumières la rue s’éveille.
Une odeur. La rage est forte comme les haleines à la première heure de métro.
Neffah

Toujours cette musique
Toujours cette musique. Les gens du lycée d’à côté me coupent la route. Toujours la même personne avec une cigarette, je vais lui en demander une.
Je suis sans le parc que je traverse. J’allume ma clope, j’ai froid aux doigts. La fumée me distrait, il n’y a jamais personne ici. Toujours cette musique.
La gare, les trains qui passent en amenant un vent froid. Toujours cette musique.
Toujours cette musique. Les remous du trajet. Une personne assise en face de moi, jamais la même, on se fixe quelques secondes et elle détourne les yeux.
Le bureau de la CPE. Dans ma main, une excuse de la SNCF. La CPE me dit : - Coupe cette musique.
Lionel

Arrivé à Raymond-Queneau
Tous les matins je vois le gardien nettoyant le parquet, l’ascenseur, les vitres, discutant avec les vieilles dames. Parfois on voit le facteur.
Tous les matins je vois les mêmes conneries que la veille, même odeur, même trafiquant.
En descendant, je vois le culte musulman monter à la mosquée, qu’il pleuve, qu’il neige, ils sont fidèles, ils ont la foi.
Je vois les mendiants roumains au même endroit, même place, même heure, toujours les mêmes mots (auriez-vous une pièce s’il vous plaît), ils sentent la même odeur, très forte odeur, qui sent la chaussette sale oui c’est bien ça chaussette sale.
Je vois toujours les mêmes Roumains dans le 318, on ressent toujours la même odeur de chaussette sale, on peut lire sur leurs visages qu’ils sont gênés, on peut lire mépris sur leur visage, arrivé à Raymond-Queneau c’est toujours le même rythme même terminus.
Romaric

Cinq par cinq
Je ferme la porte je descends les escaliers cinq par cinq en faisant le plus de bruit.
Je me dirige vers le métro, je vois des potes ils sont défoncés comme moi.
Dans le métro on essaye de rattraper le sommeil perdu.
A la sortie du métro je prends le bus, le 249, le bâtard il ne vient jamais à l’heure : des jours j’imagine que je le braque.
J’arrive vers le lycée, je marche doucement. Je vois mes potes de classe ils sont épuisés comme moi, même au début de la semaine.
On rentre dans le lycée : - Carnet ! Toujours il faut faire voir le carnet, une prison ou un lycée : va savoir...
Lekbir

Grands souffles d’agacement dans les visages
Je claque la porte. Les escaliers sont vieux et rectilignes. La rue est sombre, ces grands arbres renferment le peu de lumière.
La nationale 9 est toujours bondée de ces voitures et motos. L’arrêt de bus est toujours fréquenté par les mêmes personnes, dire qu’on se voit tous les jours sans qu’on s’adresse jamais la parole.
Plusieurs bus passent, le 147 est toujours rempli, les gens se balancent à droite à gauche.
La bouchons fatiguent les personnes, des grands souffles d’agacement sont visibles dans les visages. Les vitres ne sont plus visibles à cause des buées.
Les gens descendent, marchent vers la bouche de métro puis disparaissent sous terre. Le bus est presque vide, à Raymond-Queneau.
Une personne dort au fond, capuche sur la tête, mal habillée. Il y a un cercle de vide autour de lui.
Les gens descendent à Église. Certains direction le métro, d’autres passent sous ce petit tunnel sombre vitré à gauche comme un miroir. Il y en a qui se coiffent devant, et d’autres se regardent rapidement. Le bus est vide totalement.
Des boulangeries, des cafés, des entreprises, une place, un mini parc à droite, des voitures, l’église à gauche. La rue du lycée sur un virage à droite, les pas sont accélérés, la rue en pente.
Des jeunes devant le lycée, deux préfabriqués gris rectangulaires, des rires, du calme. La grille s’ouvre, tout le monde rentre.
Le dernier claque la porte.
Bulut

Toujours les mêmes matins sombres d’hiver
Toujours les mêmes matins sombres d’hiver.
La nuit reste éveillée, jusqu’à ce que le croissant descende et les étoiles soient invisibles, car les nuages sont trop présents.
Une patrouille devant le bâtiment en fer le plus haut du quartier, les regards se croisent et allument des flammes.
La rue qui sent mauvais apparaît, des murs plein de taches d’urine. Les odeurs y sont toujours avec leur sale caractère.
Les sirènes chantent, à force les tympans sifflent, les enfants pleurent et les mamans tapent, tandis que sur le trottoir les grosses merdes font danser les gens qui veulent marcher les chaussures neuves.
Alaoui

Stéréo
Je sors la voiture de mon garage, je vois mon grand portail beige et j’entends le bruit de la serrure. Je vois aussi l’heure qu’indique mon compteur : 7h25 et c’est parti.
Dans mon salon, debout devant mon rideau orange. Je regarde ma rue qui donne sur le parvis et l’église, il y a une école privée à côté et j’entends les petits dans la cour faire un vacarme.
Je vois ce feu rouge toujours rouge. A ma droite une épave.
Je vois la fenêtre de Damien c’est rideau orangé en dessous de chez lui. Je vois un salon de coiffure toujours fermé et je vois aussi de l’autre côté l’église et une école privée.
Ça siffle en bas de chez moi je regarde, il y a Adrian dans sa Golf bleue, le son à fond à 7h30 du matin, il voit ma tête et se stationne devant chez moi toujours le son à fond.
Je vois son visage endormi, pas coiffé. Je ne sais pas pourquoi, mais tous les matins je vois Damien allumer sa clope dans ma voiture.
Je descends le rejoindre et il ne baisse pas le son, clope à la main il me dit bonjour et c’est parti, nous voilà devant le feu qui donne sur un carrefour à droite vers le commissariat à gauche le Babylone et tout droit notre parcours lycéen.
Tous les matins le même circuit, je passe devant un cimetière, je vois les panneaux de déviation car il y a des travaux. Je vois les rues désertes obscures il n’y a pas grand monde.
Il y a aussi une grande descente vers Pantin, Adri concentré me fait 15 secondes de rallye à fond de seconde. Personne ne parle dans la voiture en même temps nous ne sommes que deux.
Je vois Damien qui ouvre la vitre même à - 5° pour se la raconter et sa main sur le poste pour augmenter le volume.
Nous voilà devant le lycée, Adri baisse le son, il n’aime pas se faire remarquer. Comme tous les matins on cherche une place pour se garer, c’est le calvaire du matin l’inconvénient de la voiture. Après 10 minutes de tour du pâté de maison on trouve la place, une dernière cigarette et on est parti.
Je vois le portail blanc du lycée et malheureusement l’horodateur. Je vois aussi mon coffre rempli de bordel. Une fois mon sac opérationnel, je pars pour étudier, du moins j’essaye.
Je sors de la voiture direction le lycée. Adrian va dans son coffre qui lui sert de chambre pour prendre son sac et me demande comme tous les matins : - Damien, y a quoi comme cours aujourd’hui ? Et jette dans son coffre les classeurs qui ne lui servent pas. Devant la grille, les surveillants qui prennent la tête, tous les matins à nous demander nos carnets pour entrer.
Adrian _ Damien

Un petit coup d’épaule
Le matin quand je sors de chez moi il fait nuit. Je descends ma rue, et je croise ce vieux monsieur qui en me souriant me demande s’il va pleuvoir.
A la gare du Nord quand je passe devant un distributeur de gâteaux je regarde toujours s’il n’y aurait pas un petit Twix ou un paquet de M& M qui déborderait pour que puisse mettre un petit coup d’épaule à la machine et me rassasier.
Tous les matins, mais vraiment tous les matins je dois supporter la mauvaise haleine des gens quand on est serré. Les gens qui baillent sans mettre la main devant la bouche, des Roumains qui viennent nous gratter de l’argent après avoir joué du violon.
William

Les gens qui passent des bruits de voiture un jeune appelle sa meuf pour lui donner rendez-vous. La pluie claque sur le sol les gens courent dans tous les sens pour rejoindre l’arrêt de bus et se protéger. Des petits accompagnés de leur mère le vent les fait frissonner ce sont des petits qui se dissimulent derrière leur manteau. Le bus tout le monde monte dans le bus on voit des personnes qui courent pour attraper le bus une personne tape à la fenêtre du bus pour que le chauffeur l’entende. Dans le bus on voit des personnes de la classe Alaoui passe me salue Lekbir accompagné de deux filles me salue. Madame Madada passe avec son parapluie Kamel toujours accompagné tout le monde devant la porte du lycée mes potes se font accoster. Wajdi.

Le sum
La première vision de la journée est destinée au vide-ordure en face de ma porte. Puis l’ascenseur rempli de tags.
Je sors de l’immeuble, et là le cimetière, histoire de bien commencer la journée. On dirait : c’est sombre.
Puis je passe devant le fleuriste, cette fleuriste toujours aussi souriante.
Cette rue mystérieuse, pas de signe de vie, toujours aussi vide.
Retour sur terre : la vision de toutes ces personnes me rassure.
Je traverse. Une boulangerie, les bons croissants, pains aux chocolats et tout le reste.
En arrivant au lycée, de loin je vois des têtes familières. C’est trop, les beaux gosses de ma classe.
Après, je vois toutes les têtes du lycée, des mecs qui m’foutent le sum aux meufs qui m’attirent.
Kamel

Je cours
La place de l’église. En sortant de chez moi, je traverse cette place, là où je trouve des SDF sur les bancs, à côté il y a un tabac et une banque.
La nationale N 34. Dès que je vois le passage piéton mis au vert je commence à courir pour traverser, car les voitures ne cèdent pas le passage une fois qu’il devient rouge.
Le bus 203 ou 113. Pour aller à la gare RER qui se trouve à 20 minutes ) pied, mais 5 minutes en bus, si je le vois j’accélère pour le prendre.
Gare RER. Train à l’approche, je sors du bus et je cours pour ne pas le rater car ça m’évite d’attendre le prochain, donc j’arrive en cours à l’heure.
Pantin. En sortant du train, tout le monde se bouscule pour prendre l’escalier, il y a le bus qui ne tarde pas à passer pour certains.
Canal de l’Ourcq. Je traverse le pont pour aller de l’autre côté et je vois des hommes des femmes et des cyclistes qui traversent tous au bord du canal.
Félix-Faure. J’arrive, me voilà pas loin de l’entrée, tous mes camarades sont là avec des élèves d’autres classes.
8h00. « Ça sonne », cri des surveillants, tout le monde rentre au lycée, on montre son carnet de correspondance.
Abdessalem

L’odeur des pains au chocolat me dit bonjour
Quand je sors de chez moi le matin je vois une pompe à essence avec une grande queue de voitures pour mettre de l’essence.
Je tourne dans la première rue à droite et je vois une usine qui travaille 24h sur 24, avec une grande grille.
Je passe par un petit passage où il y a un vieux bâtiment et des garages et des locaux abandonnés.
Au bout du passage un bar restaurant faisant le coin de la rue.
J’arrive à la cinquième rue et là il y a une grande porte fermée, et à travers la porte il y a des travaux. Le bruit des marteaux piqueurs qui me réveille tous les matins.
Ensuite je passe à côté d’une boulangerie, je rentre dire bonjour au boulanger, l’odeur des pains au chocolat me dit bonjour.
Et dans la dernière rue, des parkings, chaque matin des gens sortent avec leur voiture, qui doivent sûrement aller travailler, j’arrive à mon lycée, Félix-Faure.
Sarhane

Sous la pluie
Les bruits des marches, la porte centrale du hall s’ouvre les gens courent. Dans ma rue sous la pluie en direction de la gare : Garges.
Les bruits des bus, des trains, des hommes accompagnés de leur petite valise, des femmes avec leur sac à main, des enfants avec leur sac d’école, pressés de prendre le train, se bousculant pour composter leur ticket.
Sur le quai des femmes râlent car elles ont raté le train, il pleut, le quai se remplit d, le train arrive et c’est parti pour une partie de bousculade.
Dans le train, content d’avoir une place, sors le petit bouquin, le mp3, mais personne ne parle, on se laisse transporter tout en sérénité jusqu’à la gare du Nord.
Enfin à gare du Nord les gens sont si pressés, ils courent, trottinent dans tous les sens, font la queue pour composter leurs tickets, une jolie mélodie me perce l’oreille.
Une fois sur le quai en direction de Bobigny ils sont contents d’avoir rencontré les copains de lycée, d’université, racontent ce qu’ils ont fait hier, le métro arrive et je monte en premier pour pouvoir m’asseoir.
Dans le métro ça discute ça rigole les gens ont l’air heureux, le bruit quand le métro s’arrête.
Je descends à Eglise de Pantin, je remonte les marches, la porte automatique ne fonctionne pas, je la pousse. Le bruit des voitures, les élèves marchent en direction du lycée, la surveillante : - Vite vite c’est l’heure..
Avinash

Arrêt demandé
Le matin pour aller en cours je sors de chez moi pour aller jusqu’aux Quatre-Chemins puis je prends le bus 249 en direction Porte des Lilas, je vois souvent les mêmes personnes et aussi des personnes de mon lycée. Le bus est tout le temps embouteillé à cause de la circulation surtout vers les Quatre-Chemins.
Arrivé à Église de Pantin je me fais souvent avoir par le chauffeur de bus parce que j’appuie sur « arrêt demandé » et le chauffeur ne veut pas s’arrêter.
A cause de ça je suis souvent en retard au cours et je cours le plus vite possible et je commence à être stressé car je me fais souvent remarquer par des personnes dans la rue et donc j’ai l’impression que je donne une mauvaise image de soi.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 décembre 2005
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