volé piraté moi par la BD, oh...

les auteurs littérature s’enfouissent dans le coton, les BDistes réagissent...


Je suis intervenu plusieurs fois sur cette question, mais désormais ça semble acquis : les organisations ou associations de défense traditionnelle des écrivains passent complètement à côté et se taisent, la SGDL s’occupe à construire une nouvelle usine à gaz pour les oeuvres orphelines (pour l’instant, les nôtres ne le sont pas).

Les auteurs défendus par des agents signent des contrats limités à 10 ans et en séparent soigneusement les clauses numériques, et pendant qu’aux US le taux de rémunération auteur sur la diffusion numérique semble s’aligner sur 25% (à publie.net, on a choisi comme principe de départ 50% de la recette nette), les auteurs signent sans réagir des avenants obsolètes (basés sur la notion d’exemplaire alors que c’est le passage à une logique d’accès et d’abonnement qui est le vecteur principal), dont l’autre aberration est de reconduire dans le numérique – où la répartition des coûts et le rôle de l’auteur sont essentiellement différents –, un pourcentage basé sur celui du livre papier (11 à 14%).

Je suis intervenu plusieurs fois sur ces questions, voir auteurs & numérique : résumé, ou bien ici, ici, ici pour les plus récentes.

Plus que jamais, faire pression pour limitation à 10 ans du contrat d’édition, et non plus confusion entre contrat commercial et durée de la protection artistique est une implication décisive. Aux auteurs qui laissent le vent passer (me suis encore fait traiter lundi de militant – gentiment, mais le collègue me signifiant bien que ces questions lui étaient indifférentes...), disons que le message a évolué : celles et ceux qui ont demandé ces conditions à leurs éditeurs ou sont passés par un agent ont été immédiatement respectés, parce que les éditeurs savent bien que cette exception française au droit commercial n’est pas tenable, soit ils ne l’ont pas fait, et dans ce cas ils ont simplement cautionné un système lui-même plus capable d’enrayer décroissance place de la création littéraire (lire avant-hier entretien d’Arnaud Nourry, dans un poker stratégique où il ne biaise pas : il y a probablement une certaine désaffection des consommateurs pour les livres exigeants).

Alors je suis heureux bien sûr de voir les auteurs BD se rassembler dans un appel (signé en quelques jours par 600 des leurs : appel du numérique, où mes propres positions sont énoncées depuis leur point de vue, sur le principe très simple du Gardons nos droits pour faire entendre notre voix :

"Diffuser une bande dessinée sur un téléphone portable, ou sur un écran d’ordinateur, est-ce que c’est diffuser l’œuvre originale... son adaptation… une œuvre dérivée ?".

Rien que sur cette question, aucun des acteurs du livre ne donne la même réponse, car elle cache des enjeux importants sur le plan du droit moral comme sur le plan financier.

Si le livre de bande dessinée numérique est une adaptation du livre (parce qu’on modifie l’organisation des cases, le format, le sens de lecture, qu’on y associe de la publicité) l’auteur devrait avoir un bon à tirer à donner, au cas par cas.
Si le livre de bande dessinée numérique est le résultat d’une cession de droits dérivés, alors 50 % des sommes collectées devraient revenir aux auteurs... mais pas forcément après paiement d’intermédiaires, qui font parfois partie des même sociétés que les maisons d’édition...

En revanche, si le livre numérique est un livre "comme les autres" comme l’affirment les éditeurs, il semble que cela soit surtout pour "justifier" que les rémunérations versées aux auteurs soient "alignées" sur le pourcentage habituel de droit d’auteur : soit entre 8 et 12 % du prix de vente HT...

Or, si le livre numérique est vendu deux foins moins cher que son équivalent papier, si la TVA appliquée est preque 4 fois plus élevée que la TVA du livre papier.... Mécaniquement cela entraine une baisse d’environ 50% de la rémunération à revenir aux auteurs de BD : on peut légitimement se demander si les éditeurs prévoient eux aussi de voir leurs bénéfices divisés par deux ou si les auteurs servent de variable d’ajustement.

Dans tous les cas évoqués ci-dessus, rien ne se fait dans la transparence.
Comment et sur quoi seront rémunérés les auteurs ? De quoi vont-ils vivre ? Quels seront les circuits et systèmes d’exploitation des BD et les vrais commerçants du marché numérique qui reste à construire ? Mystère et boule de gomme...

Ne nous méprenons pas. Nous nous réjouissons de voir nos éditeurs se lancer enfin sérieusement dans la révolution numérique.
Mais nous déplorons que les initiatives éditoriales partent dans tous les sens, nous imposent leur cadre, au lieu d’un débat organisé au sein de la profession pour dégager des usages et chercher un consensus entre tous les partenaires, auteurs inclus. Dans les faits, chaque éditeur essaie dans son coin de faire avaler la pilule à “ses” auteurs...

De fait, le livre numérique, qui n’existerait pas sans nos créations, sans laquelle tout ce "marché en devenir" ne serait rien, se construit sans que personne n’envisage de nous demander notre avis.

Les éditeurs ont visiblement décidé d’imposer leurs choix aux auteurs dont il semble que personne n’envisage qu’ils puissent avoir un avis sur des sujets aussi rébarbatifs que la TVA, le prix unique du livre, la répartition des coûts, leur niveau de rémunération, leur moyen d’existence et de vivre autrement que d’amour et d’eau fraîche...

Nous allons donc le dire clairement.

Nous sommes las de nous entendre dire "mais enfin vous pourriez nous faire confiance !".

Nous voulons être associés de très près à ce qui sera peut-être demain le moyen de diffusion principal de nos œuvres et dont tous, aujourd’hui, ignorent quelle forme il aura.

Nous voulons des réponses à nos questions.

Pourquoi devrions nous céder nos droits numériques jusqu’à 70 ans après notre mort alors qu’on ne sait même pas quelle forme aura cette exploitation numérique l’année prochaine et qui la fera le mois prochain ?

Pourquoi doit-on même tout simplement céder ses droits numériques à notre éditeur sous peine de le voir refuser de signer notre contrat d’édition papier ? Alors qu’il ne peut ni nous garantir en contrepartie la façon précise dont il va exploiter ces droits, ni les rémunérations que nous pourrons en tirer...

Pourquoi les rémunérations prévues pour les auteurs sont au bout du compte sans doute au moins deux fois plus basses que dans le livre papier ? Qu’est-ce qui justifie tel ou tel pourcentage de droits proposés aux auteurs, hormis le fait que c’est ce qui arrange le business plan des éditeurs ? Est-ce que les éditeurs vont gagner deux fois moins d’argent ? Est-ce que le travail des auteurs de BD numériques sera deux fois moindre ?

Pour toutes ces questions laissées jusqu’à maintenant sans aucune réponse, nous voulons la mise en place d’un groupe de travail représentant éditeurs et auteurs sous l’égide du ministère de la Culture pour surveiller et étudier l’évolution du marché du livre de bande dessinée numérique, qui puisse identifier les bonnes pratiques, repérer et favoriser des usages équitables, être le garant que l’évolution des techniques soit garantie par une évolution des termes des contrats de cession, que les rémunérations restent proportionnelles au succès de la diffusion et de la consommation de nos œuvres, que celles-ci soient adaptées au support de diffusions, à leur évolution, à l’interopérabilité des matériels permettant d’y accéder, etc, etc...

Nous voulons que la cession des droits numériques fasse l’objet d’un contrat distinct du contrat d’édition principal, limité dans le temps, ou adaptable et renégociable au fur et à mesure de l’évolution des modes de diffusion numérique.

Nous voulons que toute adaptation numérique de nos bande dessinées soit soumise à notre validation et être co signataires de toute cession à un tiers de ces droits numériques.

D’ici là, faute de la moindre concertation, alors que les éditeurs organisent tranquillement un marché aux forces qui leurs seraient les plus profitables et confortables, nous refusons d’autoriser l’exploitation de nos œuvres dans leur format numérique et nous appelons tous les auteurs de bande dessinée et du livre en général à faire de même.

Gardons nos droits pour faire entendre notre voix.

Bonne leçon à tous auteurs de littérature ayant signé les yeux fermés les avenants numériques diffusés en masse par les éditeurs papier.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 25 mars 2010
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