gentil message aux éditeurs

retour sur quelques questions de droit et diffusion numérique


note du 24 décembre
Amis auteurs : lire en détail l’analyse parfaitement qualifiée de "Calimaq", le juriste du blog SILex [1].
Et note supplémentaire : quoi qu’il advienne des procès en cours, aux USA d’une part, en France d’autre part, entre Google et éditeurs, et de la prérogative que s’attribue Google de numériser sans autorisation préalable, à vous, sur Google Books, d’aller vous déclarer comme propriétaire des droits artistiques des oeuvres dont les extraits sont proposés. Cela prend une dizaine de minutes, mais vous êtes couvert pour la suite : faites-le, ce n’est pas la tâche de vos éditeurs. Cela concerne aussi les articles parus en revue ou ouvrages collectifs recensés par Google. Mais FAITES-LE.

note initiale (19 décembre)
Après la condamnation de Google par un tribunal français, évidemment beaucoup de bruit sur le Net, même si ça ne changera rien à rien pour les mois à venir, Google ayant de faire appel.

Je ne vais pas rajouter à toutes ces analyses, ma position personnelle rejoint celle d’Olivier Ertzscheid, un de nos meilleurs appuis pour tenter de penser un peu malgré le bruit, voir sa réaction à chaud dans Affordance : J’aimerais que Google rende mon livre visible, mais. L’autre point d’appui pour la réflexion c’est Hubert Guillaud, et ce n’est pas du cirage de pompe personnel, rien que l’opiniâtreté et l’ancienneté d’une exploration décidée de ce qui surgit (quelle pertinence par exemple la réflexion de ces gens « du métier » qui énoncent de grands jugements sur les Sony ou Kindle sans avoir même voulu l’essayer...) – suivre Hubert dans ce billet au titre parfaitement clair : subvertir Google (analyse d’InternetActu en 4 articles, reprise dans lemonde.fr).

Je veux seulement reprendre ici, de façon embryonnaire, et assumant la polémique, des notes mises en commentaire du billet d’Hubert, Google, au défi des auteurs (et voir réponses d’Hubert à mes commentaires).

Pour ma part, la discussion prend une importance de plus en plus relative, à mesure que compte moins la reprise numérique de mes travaux passés (quand même, depuis 1982...), que ce que nous construisons d’emblée sur publie.net. Dans ce cas, le contrat numérique (avec 50% des droits à l’auteur) nous permet d’utiliser sans risque Google Books, d’y paramétrer nous-mêmes la part visible librement de nos textes, et Google devient alors un libraire comme les autres. Avec même immense défi : la même prestation d’intermédiation, lorsqu’elle s’exerce avec des prestataires dont la seule vocation n’est pas le commerce, par exemple ePagine, Bibliosurf, Dialogues, ou directement via une bibliothèque, nous permet une prestation bien plus complète et enrichie que le service Google Books.

Dans ce cas, si Google nous donne un accès plus large et international, nous ne nous en priverons pas. La seule question qui compte, c’est de s’y positionner non pas comme auteur (et donc auteur auto-édité), mais comme éditeur – justifiant notre coopérative, la validation éditoriale symbolique de notre travail via une ligne éditoriale claire, et un savoir technique (je vois bien ce qu’on a appris en deux ans) qui ne s’improvise pas, et n’est accessible que collectivement, de même que la complexité des « agrégateurs » ruby on rails élaborés par l’immatériel-fr ou EDEN-livres.

Le seul paradoxe, au fond, c’est l’immobilisme et la stratégie ligne Maginot du SNE et des éditeurs traditionnels, prenant en otage leurs auteurs, et l’appui monolithique de moins en moins justifié de la SGDL – en lui rendant hommage cependant : seule association d’auteurs à intervenir dans le débat.

Qu’il est grand temps, auteurs, de se rassembler autour de quelques revendications. Deux essentielles : 1, fin de l’exception au contrat commercial pour le contrat d’édition, qui doit être limité à 10 ans, comme dans tous les autres pays européens (et américains) et non pas étendu à la durée de la propriété littéraire. 2, lorsqu’un livre ne bénéficie plus de distribution effective, n’est plus soutenu de façon volontaire par l’éditeur, et que les ventes tombent en dessous de 50 exemplaires par an (allons, on négociera jusqu’à 20...), le contrat cesse d’être effectif et les droits reviennent à l’auteur.

Ces notes donc, en vrac, comme une tribune ouverte... Je fignolerai dans les prochaines heures. C’est mon message de Noël.

 

gentil message aux éditeurs, concernant la diffusion numérique de leurs auteurs


 

s’auto-éditer via Amazon, Google et les autres, une solution viable ?

encore dubitatif sur ces questions d’ »auto-édition » tant la validation symbolique est essentielle – c’est le rôle que jouait aussi l’édition papier, et dont elle continue d’être détentrice même alors que cette validation n’est plus suffisante pour prescription marchande (ni même critique)

aux US, l’effondrement des libraires et la montée en pression d’amazon (plus de 25%) fait que les auteurs vendent directement par amazon et c’est leur site perso qui sert de prescription – avec rançon que ces sites d’auteur sont des coquilles vides de contenu (sauf quelques belles exceptions quand même), mais servent juste de médiation à la vente via amazon, papier ou numérique

ce qui nous rassemble à publie.net, 2 ans après lancement de notre « coopérative » c’est vraiment pour tenter d’être plus fort dans cette « validation éditoriale », indépendamment du fait que le « savoir » éditorial, même en matière numérique, on est nettement mieux armés à plusieurs qu’individuellement, quand tous les paramètres se modifient de tous les côtés

l’essentiel pour nous c’est de multiplier les points d’accès : je n’ai pas de réticence a priori à considérer Google éditions comme un distributeur parmi les autres (on a plusieurs titres en test, et c’est impressionnant ce qu’on peut régler, informer, y compris le taux de consultation publique) – et même, c’est là le défi, là où il est riche : les prestations supplémentaires de service (accès à version numérique si achat livre papier, dossiers incluant mp3 ou vidéo, annotations et recherche) on peut le proposer plein pot lorsque c’est assumé par un libraire attaché à médiation (ePagine, bibliosurf, dialogues etc), ou une bibliothèque (ou bibliothèque via libraire)

le combat essentiel, pour les auteurs, de mon point de vue ça reste : 1, fin de l’exception au droit commercial, limitation à 10 ans des contrats auteur, 2, savoir que dans notre production nous pouvons très bien décider d’avoir des contenus numériques « natifs » en parallèle des livres papier – en 1 an, 6 titres de publie.net ont été repris par éditeurs papiers, dont 3 ont accepté que diffusion numérique continue en parallèle, qu’elle les avantageait plutôt qu’elle ne les desservait

cela n’empêche pas les plate-formes comme était l’Harmattan pour le papier : énorme catalogue sans validation éditoriale, ce que jouent lulu.com ou « in libro veritas », et cela n’empêche pas non plus les tentatives d’auto-édition pour auteurs qui disposent d’un flux suffisant – ce qu’il nous faut apprendre à penser, comme d’habitude, c’est qu’avec Internet on n’oppose pas une démarche à une autre, elles se complètent et resteront plurielles

 

à qui appartiennent les droits numériques ?

en théorie, c’est très clair : en droit français, les droits accordés dans un contrat commercial sont « exclusifs », càd que tout ce qui n’est pas mentionné n’est pas inclus

je pourrais en parfait bon droit reprendre sur publie.net mes premiers livres, notamment Sortie d’usine : nulle mention d’aucune sorte concernant une diffusion autre que le livre et la librairie

mais par exemple, sur mes contrats Minuit dès l’année 1988 : « le droit de reproduire tout ou partie de l’oeuvre sous tout support d’enregistrement actuel et futur notamment le disque, la bande magnétique, la disquette, la carte à mémoire, la diapositive, le microfilm » plus « le droit d’adapter… radiophonique OU ELECTRONIQUE… sur tout support d’enregistrement actuel ou futur »

je pourrais là aussi parfaitement considérer que la diffusion numérique en streaming ou fichier téléchargé n’étant pas spécifiée explicitement, je suis libre de diffuser moi-même, mais nul doute – le SNE absolument muet sur ces questions, c’en est quasiment insultant de mépris – que le premier auteur qui s’y risque, probable que nos amis éditeurs, en besoin d’exemplarité, se donneront les moyens d’aller en procès, et je n’ai pas, moi, ce luxe-là

on est donc en situation de blocage : l’éditeur n’a pas le droit d’étendre ce contrat sans l’accord explicite de l’auteur (mais refus de ces avenants bidon qu’ils nous soumettent, là je ne parle pas de Minuit qui ne propose rien, mais ceux que j’ai reçus d’autres de mes éditeurs), basés sur la notion d’ »exemplaire » comme si ça avait du sens dans une logique d’accès, et reconduisant un scandaleux pourcentage basé sur livre papier (11-14%) alors qu’aucune raison descendre en dessous 25% (voir précédents articles)

mais symétriquement, les contrats éditeurs actuels bloquent de fait liberté éventuelle d’agir sans l’éditeur papier, puisque ce qu’on concède explicitement c’est « droits de reproduction et de représentation afférant à l’oeuvre de sa composition » càd sans mention du « livre » et pour « durée de la propriété littéraire »

d’autre part le contrat standard spécifie, à charge de l’éditeur : « s’engage à assurer, à ses frais, risques et périls (sic) la publication… » et « assurer une exploitation permanente et suivie », mais c’est à nous auteurs de faire la preuve que cette exploitation n’est plus assurée, or la plupart des éditeurs gardent soigneusement 20 ou 30 exemplaires dans un fond de carton même quand ils ne font plus rien pour un bouquin – notre revendication, par exemple « fin du contrat lorsque l’éditeur n’assure plus un minimum de 50 livres par an », ben on en est loin…

PAR CONTRE : si publie.net, éditeur numérique, me propose une diffusion commerciale, je suis en droit de demander à l’éditeur papier initial de répondre par une proposition équivalente dans délai bref, sinon c’est moi qu’il lèse – on est donc armés désormais pour faire pression

ne pas diffuser correctement un auteur via le numérique, pour un éditeur détenteur du contrat d’exploitation, c’est aujourd’hui le léser – et ce n’est pas tenable dès lors qu’il s’agit de livres qui ne sont plus présents en librairie, ne sont plus diffusés que sur commande (et probablement, à 50% via amazon)

 

une bascule juridique plus imminente qu’il n’y paraît

alors disons : 1, pas les moyens ni l’envie d’avoir à me défendre d’une action même que je serais à peu près sûr de gagner, en diffusant moi-même numériquement des titres que mes premiers éditeurs se refusent à exploiter, mais se pourrait bien que je change d’avis, compte tenu que les résultats de diffusion publie.net dépassent désormais ceux de mes éditeurs papiers et que je peux le prouver – 2, on est encore dans phase pédagogie (POL n’a mis que … 4 titres sur EDEN, et n’a pas encore intégré leur liseuse dans son site, la plupart des éditeurs s’imaginant que diffuser un PDF des 1ères pages (dont la moitié de blanches ou fausse couv ! c’est suffisant…), alors on leur dit plutôt aux éditeurs : les outils existent, voir ePagine, Dialogues etc, donc plutôt envide de jouer avec vous, si vous décidez enfin de vous remuer, et d’en finir avec corporatisme sur le dos des auteurs : dans la diffusion numérique, l’auteur est un relais essentiel, les coûts de distribution et production n’ont rien d’équivalent, donc on redistribue les revenus avec 25% base mini à l’auteur (publie.net on a adopté nativement schéma 50% auteur 50% structure) … mais on ajoute en post-scriptum que désormais on est armés juridiquement pour que le vent tourne : à vous de réagir, pour nous auteurs la diffusion numérique maintenant c’est essentiel, et si vous ne vous y décidez pas, les contrats tels qu’ils existent ne peuvent nous empêcher d’accepter une offre numérique spécifique

et des résultats commerciaux comme ceux du tout jeune publie.net (et nous ne sommes pas les seuls) suffisent à établir que, pour les livres à rotation lente, la diffusion numérique est largement concurrentielle à la vôtre – selon les termes mêmes des contrats signés, si se manifeste une offre numérique quand vous n’en proposez pas l’équivalent – n’importe quel avocat vous le confirmera, nous sommes juridiquement en droit d’accepter

tout ça concernant évidemment seulement l’avant 2002 : mais pour moi, et je ne suis pas le seul, c’est 20 ans de boulot tout de même (après 2002, les contrats standards incluent le numérique, à nous d’accepter ou de rayer, de même que si on dit à l’éditeur d’un ton naturel et dégagé : – Vous rajoutez mention 10 ans seulement, n’est-ce pas ? désormais c’est acquis, et tous les agents littéraires l’exigent)

nouveauté aussi : les libraires commencent à savoir que ces outils, en partenariat avec les sites Internet de défense de la littérature, et en partenariat direct avec les auteurs, c’est leur chance dans un monde en voie de recomposition de plus en plus rapide, où l’industrie éditoriale leur demande d’avaler de plus en plus vite des produits normés sans intérêt, à durée de vie limitée (moyenne de présence d’un livre en librairie, moins de 6 semaines)

ces questions, après la condamnation Google, viennent toutes ensembles sur la table, et tant mieux : elles vont accélérer le paysage, vers des changements nécessaires

[1Et notamment pour ce passage :

“en l’absence de revendication de ou des auteurs, la personne morale qui exploite sous son nom une oeuvre est présumée, à l’égard des tiers contrefacteurs, être titulaire sur cette oeuvre, quelque soit sa nature et de sa qualification, du droit de propriété incorporelle de l’auteur”

Il faut donc comprendre que le juge présume, du seul fait de l’existence d’un contrat, que les droits numériques appartiennent aux éditeurs et pour ce faire, il s’appuie sur les clauses générales indiquant que “les auteurs ont cédé leurs droits pour toute utilisation et pour tout procédé actuel ou à venir“. Il me semblait qu’il existait un débat très fort sur la validité de telles clauses, dans lequel le juge vient de prendre partie de manière surprenante.

Quand on connait l’enjeu que soulève cette question de la répartition des droits numériques entre auteurs et éditeurs pour les années à venir, avec le problème lancinant des oeuvres épuisées, on ne peut que s’interroger sur la manière dont le juge s’est décidé sur la base d’une simple présomption. Et on frémit à l’idée que la charge de la preuve des droits numériques puisse peser à l’avenir… sur les auteurs !


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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 décembre 2009
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