la page du dimanche : Paul Celan

chaque dimanche, une page singulière de littérature


 


D’où pourrait naître alors le Neuf donc aussi le Pur ? Depuis les districts les plus reculés de l’esprit, paroles et figures parviennent, images et gestes, voilés comme en rêve, et comme en rêve dévoilés, et lorsqu’ils se rencontrent dans leur course délirante et que l’étincelle du merveilleux vient à naître, tandis que l’inconnu épouse l’encore plus inconnu, je regarde dans les yeux la neuve clarté. Elle me dévisage étrangement, car bien que je l’aie adjurée de paraître, elle vit au-delà des représentations de ma pensée éveillée, sa lumière n’est pas la lumière du jour, et des figures l’habitent que je ne reconnais pas mais que je connais dès la première vision. Son poids possède une autre pesanteur, sa couleur parle à un nouveau couple d’yeux, dont mes paupières closes se sont l’une à l’autre gratifiées, mon ouïe a émigré dans mon toucher, où elle apprend à voir ; mon coeur découvre, maintenant qu’il habite mon front, les lois d’un mouvement nouveau, ininterrompu, livre. Je suis mes sens qui voyagent dans le nouveau monde de l’esprit et je fais l’expérience de la liberté. Ici où je suis libre, je reconnais aussi combien on m’a gravement menti de l’autre côté.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 16 octobre 2005
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