sauvons nos textes, offrons-leur l’écran

quatre auteurs et l’Internet, Bagnolet, le mardi 3 février


J’en ai parlé : chaque vendredi, de 15h à 19h, la salle informatique de la bibliothèque de Bagnolet est ouverte aux blogueurs littérature, aux bibliothécaires de Seine Saint-Denis, ainsi, à partir de 17h, qu’au public bagnoletais.

Non pas de l’animation ou de la formation web, ce n’est pas mon rôle, mais simplement confronter nos expériences, nos pratiques, élaborer ensemble des contenus avec texte, voix, son, images. Réfléchir à mise en page, partager les nouveaux supports.

En parallèle de ces vendredis après-midi, deux rendez)vous, en partenariat avec l’Association des bibliothécaires en Seine Saint-Denis :

Quatre auteurs et l’Internet

Bibliothèque de Bagnolet, mardi 3 février, 19h.

On dit que les écrivains sont à la traîne pour Internet, qu’ils n’ont pas pris mesure d’une bascule pourtant essentielle. C’est oublier que ceux qui arrivent, la génération appelée à prendre le relais, le fait déjà depuis l’autre côté de la révolution numérique, avec blogs, images, lectures performances.

Et cela change la totalité des repères : la notion d’auteur, la diffusion et la circulation du travail, et ce que le numérique change à l’écriture elle-même.

François Bon a convié quatre auteurs, quatre démarches radicalement différentes, mais toutes significatives de cette bascule : Gwenaëlle Stubbe, Philppe Vasset, Fred Griot et Arnaud Maïsetti. Chacun proposera pendant vingt minutes, via lectures, projections, visite de site, sa propre relation à l’écriture. Puis discussion avec F Bon.

Carte blanche suivante : mardi 2 juin, “Internet, folie, éphémère, ou chance ?” avec notamment la participation de Silvère Mercier, Philippe De Jonckheere, Pierre Ménard, François Bon (en construction, sous réserve).

 

En parallèle de cette invitation pour le 3 février, qui prolonge le publie.net live de novembre, à l’invitation de remue.net, un échange mail avec Louise Fessard, qui prépare un dossier pour Mediapart. Comme d’habitude, je réponds beaucoup trop long, donc débat sur pièces.

Le titre Sauvons nos textes, offrons-leur l’écran, c’est le fils de l’amie et blogueuse de Traces & trajets.


sauvons nos textes, offrons-leur l’écran

dicussion avec Louise Fessard, Mediapart

 

En quoi la dématérialisation du livre influe-t-elle sur votre travail d’écriture ?
Tout change, à commencer par la posture d’écriture. Rien ne change entre les peintures de Saint-Augustin à son pupitre, visité de dos par la lumière de la lucarne d’en haut, et rejoint directement la page blanche où repose sa plume, et la même figure, l’homme qui écrit à une table, dos tourné au monde, dans Kafka. Or, notre table d’écriture est désormais cette même lucarne par où nous provient l’information, le bruit du monde, mais aussi où nous enquêtons sur les savoirs, et où nous avons nos échanges privés, textes mais aussi images, vidéos. Comment cela n’interviendrait pas sur la fonction même du récit, ou ses modes d’effectivité ? Quelle que soit la fragilité d’Internet, il me semble que ce basculement, qui n’a de précédent que dans la période d’apparition du livre, doit être notre premier chemin d’exploration. En tout cas, c’est à cet endroit que j’ai le meilleur plaisir à l’écriture, y compris de fiction.

 

Vous parliez d’hypertextualité et de travail collaboratif à l’heure du Net, est-ce toujours d’actualité alors que les tablettes de lecture qu’on trouve actuellement en France sont de simples terminaux de lecture, pas du tout interactifs ?
Plusieurs questions dans une seule : ce qui est fascinant en ce moment, avec des outils comme l’iPhone, mais il n’est pas le seul, c’est qu’on peut commencer à dépasser l’idée de l’hyper-texte, le lien trouant le texte pour afficher une autre page, pour d’autres modes de convocation simultanée, soit de textes, soit d’images ou autres médias, via convergence texte et réseau notamment. En ce sens, la tablette numérique n’est qu’une étape, qui ne remplace pas l’ordinateur, mais le livre traditionnel. Et pas moyen d’apprendre sans y toucher pour de vrai. Le rapport à la lecture, aux marges, au blanc, à la tourne évidemment, est différent : quand j’emporte les Divagations de Mallarmé dans ma Sony, je n’emporte pas la même écriture que dans le Pléiade ou la collection Gallimard Poésie. Et c’est suffisamment important pour qu’on l’interroge : la tablette fait partie de mon quotidien parce que j’y ai des textes personnels, des textes utilitaires, mes notes de cours, que je m’en sers en lecture publique etc. Mais la question sous la question, c’est celle du collaboratif : les outils de repérage et de cartographie, les flux rss, les réseaux sociaux comme Face Book, progressent encore plus vite que la profusion des blogs. La notion d’écrivain, née au 17ème siècle, est bousculée sur le fond : l’écrivain d’aujourd’hui, c’est tous les blogs ensemble, et la façon dont on lit/écrit en s’y promenant, en intervenant chez les autres.

 

Pensez vous toujours en terme de livre, d’un ensemble complet et clos, quand vous écrivez ?
L’autre question, c’est la validation symbolique, dont l’édition traditionnelle jouait le rôle, voir la NRF au début du siècle, Tel Quel ou d’autres dans les années 70, ou la marque de l’éditeur elle-même, comme Minuit ou POL. Ce n’est plus opérant, dans le contexte global de recomposition intérieure du paysage éditorial. Par contre, peu à peu, le web se constitue aussi dans ce processus de validation symbolique. Je continue à penser des objets pour la lecture dense et longue, qu’elle soit sur Sony ou imprimée m’importe peu, mais surtout envie de tenter des écritures pour la propagation immédiate du web, là où l’écriture encore affronte le monde, s’y frotte. Ces dernières années, je pensais réellement que c’était une tâche à laquelle il nous fallait travailler ensemble, libraires, éditeurs, critiques, auteurs. Je crois désormais qu’Internet est à lui-même sa propre légitimité, et qu’on a affaire à des écosystèmes qui se complètent en partie, pareil qu’on dit que la télévision n’a pas remplacé la radio, et du coup, pour ce qui est de mon inscription esthétique personnelle, le web est le destinataire suffisant d’une partie de plus en plus vaste de mon travail : je ne sais pas exactement quel objet j’ai constitué, après 10 de pratique du site personnel, son arborescence, ses sons et vidéos, les zones où je ne sais plus moi-même ce que j’y ai intégré. Mais la nature de cet objet ne me détourne pas de l’interrogation sur la littérature, et comment elle ne se définit que par un rapport au monde (comme Maurice Blanchot pouvait dire que « la poésie est le langage comme expérience »).

 

Vous avez créé un maison d’édition numérique rassemblant plusieurs auteurs contemporains sans « vouloir concurrencer l’éventuelle exploitation numérique de nos livres par nos éditeurs ». Quelques mois après ce lancement, j’aimerais en savoir plus. Comment le livre numérique redéfinit-il les liens entre les différents acteurs de la chaîne du livre ?
Dans l’ensemble des processus numériques, son ou image, chaque point des anciennes « chaînes » peut devenir à lui-même toute la chaîne. Et cette notion de « chaîne du livre » a pour centre de gravité non pas les auteurs (pour la littérature, de plus en plus accessoires dans l’économie de l’édition), mais la distribution. Un jeune blogueur lançait récemment « sauvons nos textes, offrons leur l’écran ». Les usages numériques, et pas seulement pour les étudiants, sont devenus un usage dominant : est-ce qu’on y introduit ou prolonge les exigences de lecture, d’imaginaire, que nous-mêmes avons trouvé via le livre ? Cela suffit à notre projet, confrontation et circulation d’œuvres qui n’auront pas d’autre existence que numérique : et qui n’auraient jamais eu existence, tout court, sans ce travail d’édition pour lequel nous avons les mêmes critères et la même exigence que l’édition traditionnelle. Il y a tout à réinventer, le contrat, les licences d’accès bibliothèques, l’ergonomie de ce qu’on diffuse. Nous reversons aux auteurs de notre coopérative 50% des recettes de téléchargement. Et nous ne parlons même pas de « livre » : texte numérique nous suffit. C’est d’autant moins une « guerre » aux éditeurs traditionnels qu’ils savent que notre petite afaire marche bien, et qu’ils observent de près : ça leur fait un laboratoire qu’ils n’auront même pas eu besoin d’aider ni financer. Ce que je n’avais pas prévu, c’est la réticence des auteurs publiés chez les éditeurs papier à venir nous rejoindre, même constatant les difficultés de plus en plus grandes à diffuser leur travail, le temps de présence en librairie de plus en plus réduit, l’effondrement des chiffres etc. Nous essayons de toutes nos forces de travailler à d’autres modèles d’associations de la diffusion numérique à la diffusion traditionnelle, les petits éditeurs au moins commencent à comprendre. Mais les auteurs qui arrivent, les 30/35, eux sont déjà dans d’autres canevas, appui sur un blog, performances et lectures, avec là aussi d’autres modèles économiques pour en vivre : il y a de plus en plus de risque pour ceux qui font l’autruche. Il leur restera « la bonne odeur du papier », la scie qu’on entend le plus souvent, avec d’ailleurs 6% de chaux vive (qui permet au papier d’être lisse et d’améliorer la netteté de l’encre dans les machines actuelles de l’imprimerie),


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 décembre 2008
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