pré-retraite des écrivains

dédié aux Michelin et autres mis sur la touche : les écrivains acceptant de ne plus publier reçoivent une pension de l’État


Pas de jour en ce moment sans que les usines ferment, et les radios disent benoîtement : "la crise". Tu parles. Aujourd’hui c’est Michelin qui envoie 1800 personnes au rebut, mais attention : "pas de licenciement, des gens qui ont 55 ans, qui sont de toute façon en fin de carrière". Moi c’est ça que j’ai, 56, et difficile de me licencier tout seul. Alors à nouveau ce texte sur la pré-retraite de nous autres, écrivains.

 

Le moratoire dont j’avais autrefois rendu compte avec précision, qui consistait à ne pas publier d’ouvrages nouveaux pendant deux ans, le temps d’assainir la situation de l’édition et faire le point quant à ses usages nouveaux, avait donc été une intention louable, mais qui s’était effondrée d’elle-même, aucun des acteurs sollicités n’en ayant respecté la règle.

On avait cependant obtenu de l’État, en compensation, quelques avantages : qu’est-ce que cela leur coûtait, au regard des budgets reconduits pour la masse des théâtres, centres dramatiques, cirques et opéras, centres chorégraphiques etc. ? La littérature, tout le monde s’en moquait bien. Moi-même, combien j’avais d’amis de mon âge, qui n’avaient pas choisi les chemins artistiques, et qui désormais n’avaient plus d’activité professionnelle ? Ceux qui avaient partagé avec moi l’école d’ingénieur, licenciés ou au placard. Ceux qui enseignaient, déjà le terme de la carrière. Pour la plupart, les formes administratives différaient : reconversion (tout en sachant qu’elle ne convertissait à rien d’autre qu’au temps définitivement libre), pré-retraite, mise en disponibilité avec un petit pactole, en attendant de percevoir la retraite officielle : il paraît qu’aux entreprises cela coûtait moins cher.

Ils faisaient quoi, tous ceux-là, sinon s’étonner que de mon côté il était difficile de ralentir le rythme des obligations, et de moins en moins facile de surmonter l’angoisse régulière à cette précarité grandissante, reconstituer de bric et de broc les revenus qui vous permettraient plus ou moins bien de tenir ? C’est vrai qu’avec les cinquante-cinq ans c’était plus difficile de mobiliser l’énergie : oh, on ne sent pas moins fort, ni moins endurci, plutôt qu’on a du mal à s’imposer les tâches artificielles – voyez, j’écris ce texte, au lieu de répondre à mes obligations alimentaires ou contractuelles.

J’avais donc souscrit à cette proposition, validée par les différentes organisations professionnelles : le livre en cours d’impression paraîtrait, mais depuis mes cinquante-cinq ans en mai dernier, l’engagement pris de ne plus publier. Fini les livres. Qui y perdait ? J’avais reçu quelques messages sardoniques, les avais effacés d’ailleurs de mon site Internet. On avait été une cinquantaine à en bénéficier. On recevrait donc une pension, plutôt mince, mais qui avait le mérite de la régularité. On s’engageait à laisser le terrain libre aux jeunes auteurs. Après tout, qu’eux-mêmes ne souhaitent pas s’embarrasser de ce que ceux de ma génération s’étaient usés à continuer, stages, articles et autres commandes, cela ne me regardait pas. Oui, une époque finissait bien.

Voilà donc les ennuis qui commencent : en quoi cela me gênait de ne plus publier de livre, si mes sites Internet accueillaient bien mieux, et de façon bien plus efficace, ce qu’il me semblait important d’expérimenter – ce texte par exemple ? Et que ce ne soit pas du tout lucratif, quand le livre l’était si peu, quelle importance.

Mais voilà : pour ceux qui ont établi ce système, c’est encore trop. En renonçant à la publication de livres pour recevoir cette modeste pension de reconversion, j’aurais dû renoncer soi-disant à toute écriture visible, en particulier celle-ci, tenue sur mon site personnel. On surveillait même d’éventuels surgissements d’hétéronymes, m’avait-on prévenu.

Alors, que faire ? Si modestes soient mes besoins, j’aurais du mal à me passer de cette prime de pré-retraite. Mais je compte bien ne pas cesser ici d’écrire, sur ce site, ces fictions.

On met en cause mon droit à la pré-retraite. Il en est quoi, pour les autres ?


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 18 juin 2009
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