Saint-Nazaire express en 15 leçons

le train, la ville, la mer : chantiers


Déplacement express à Saint-Nazaire. Je mets les images parce qu’il y a des gens paraît-il qui, même s’ils vont à l’autre bout du monde comme moi à la boulangerie du bout de la rue, ne connaissent pas Saint-Nazaire.

Mon premier souvenir de Saint-Nazaire c’est en 1963, on était venus de Saint-Michel en l’Herm, toute la famille dans la DS 19 du grand-père (j’ai retrouvé des photos), et soudain, arrivant à Saint-Nazaire, des champs surgissait l’élévation en noir et blanc du France. C’est un souvenir d’autant plus important que dans ma Bibliothèque de l’amitié un livre racontait les incursions nocturnes de 3 ados dans le monde interdit : j’ai appris comme cela, à Saint-Nazaire et à cet âge, que la littérature vous donnait beaucoup plus du réel que ce qu’il vous laisse voir ou traverser.

Parmi mes lignes de train, celle-ci est dans les favorites, parce qu’on longe la Loire sans cesse depuis Tours. Et soudain, après les images rurales, c’est la traversée du Nantes industriel : couleurs de cette entreprise de tri de métaux, que je guette et anticipe.

Après Nantes, c’est omnibus : on s’arrête à Savenay, la petite gare qui devient Brévenay dans La Presqu’île de Julien Gracq. C’est un de mes livres préférés (avec En lisant en écrivant de Julien Gracq et puis Lettrines de Julien Gracq). Trente-cinq ans après le livre, qu’est-ce que le réel peut sauver ou incarner de ce à quoi les phrases ont fait rêver ? N’empêche que je regarde autrement : on ne regarderait pas la gare, mais le livre devenu monde ?

Si le paquebot France en construction est un souvenir phare, longer la raffinerie de Donges et ses torchères, quand une fois par an on allait à Pornichet voir les Fradet, c’en est un autre. La raffinerie est toujours là, immense et compliquée : le train la traverse, l’odeur d’éthanol aussi je la reconnais.

L’arrivée à Saint-Nazaire, c’est quand les bateaux se mêlent aux objets habituels des voies ferrées, comme si c’était normal. Des tronçons de méthanier par exemple. C’est la beauté d’ici : arbitraire des assemblages industriels, fonctionnalisme des couleurs à fort contraste.

Après notre séance de travail au Fanal, accueilli par Françoise Houriet, si je suis arrivé tôt c’est que je veux m’octroyer une bonne heure et demie de marche. Toutes les villes d’eau rêvent de Venise, et moi je rêve de villes d’eau.

D’abord bien sûr autour de la darse et de la base sous-marine. Matières, géométries.

Beauté abstraite du monument commémorateur de la fin de l’esclavage et du trafic en ces eaux des négriers, sur fond des chantiers de l’Atlantique : mais l’an dernier, la grève des ouvriers indiens, puis cet été les Polonais non payés, est-ce que ce n’est pas la forme ultra libérale et mondialisée du même esclavage, pour Saint-Pétrole et Sainte-Croisière ou Saint-Fric ?

Non plus autour de la base sous-marine, mais dedans. Françoise Houriet rêve d’événements musicaux et de "culture émergente" derrière les palissades de la réhabilitation : moi je viendrais bien lire ici avec Pifarély, Ségal ou Toepliltz...

Pensée amicale pour Jean Rolin, qui n’en saura rien.

Réflexe avec le petit appareil-photo numérique : les inscriptions. Celle-ci, sur du granit reconstitué en provenance d’Amérique du Sud comme s’il manquait en Bretagne, n’est pas chic pour une ville bombardée, qui a tant souffert.

Quiconque connaît Saint-Nazaire (qui rassemblait autrefois un célèbre festival du roman policier, Port du Crime, dont Pouy et Daeninckx n’étaient pas les moindres piliers) connaît cet immeuble, dont les appartements donnent d’un côté sur la mer, de l’autre côté sur le port. Et tout en haut, sur la terrasse, l’appartement réservé à un écrivain qui vient y résider 4 mois, invité par la MEET (maison des écrivains étrangers et traducteurs), dont les bureaux sont au 2ème étage. En bas, il semble que le bar le Skipper soit aussi une adresse bien repérée dans la ville. J’y retrouve Patrick Deville, écrivain et ami, directeur de la MEET.

Côté mer, fleurs fraîches pour un mort inconnu. Je reste longtemps ici, vent d’ouest violent, ça vous lave le dedans.

On grignote au Skipper (et même un peu plus), le vin blanc sec est de la région, qui s’y connaît dans le domaine. Sur le port, le ciel du crépuscule devient blanc et l’eau grise, restent les points de couleurs des bateaux, et quelques cormorans fous. Présentation de la saison du Fanal : des concerts de jazz, de la chanson, de la danse, du théâtre. Le Fanal a 2300 abonnés dans la ville de 69 000 habitants : une confiance qui incite à l’échange.

Creux de nuit, réverbères, rues désertes d’après pluie. En voiture, Françoise Houriet [1] me fait faire le tour des chantiers, entre Alstom et Airbus. Grilles, vigiles, et puis l’élévation imposante d’un méthanier ou d’un paquebot en cale : une échappée fantastique.

En direct de l’auberge du Bon Accueil, 2ème étage chambre 11, 1h du matin, WiFi gratuite pour donner l’exemple !

[1Que cette page soit à sa mémoire.


responsable publication François Bon, carnets perso © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 10 septembre 2005
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