emploi du temps par temps de Mousson

Pont-à-Mousson en théâtre et abbaye


 suite du compte rendu images : une simple cour d’usine

On n’a jamais fait le deuil d’une Thélème. Sans doute c’est ce qui a ancré Michel Didym dans cette Mousson d’été_ voir le journal de bord Temporairement contemporain auquel je participe aussi, puisqu’on en est la dixième édition. Les bâtiments sont austères mais immenses. Comme ils sont largement occupés par les services de l’état, ils ne portent pas forcément au rêve, mais partout, arcades du jardin, anciens celliers, ancienne bibliothèque, gymnase du lycée d’à côté, plus le chapiteau emprunté à l’école du cirque de Strasbourg, on peut s’installer, organiser une scène et des gradins. Il y a d’immenses couloir, le centre nerveux avec la table de livres de Géronimo, libraire à Metz, et un bar. Les chambres sont suffisamment dispersées dans les fonds de couloir ou les combles pour que chacun ait quelques mètres cubes réservés et inaccessibles : j’y suis, je travaille. La Wi-Fi est payante, merci Orange, mais elle existe : on n’est pas encore assez d’interneteurs en ce pays pour contrer ce racket qui devient la norme dans les gares et les villes.

On n’a pas fait le deuil d’une Thélème, paragraphe suivant de Rabelais c’est les heures et le temps. La cantine du petit-déjeuner, grandes bonbonnes de café - au troisième ça va mieux merci - là on reconnaît déjà, au troisième jour, des regroupements presque d’habitués, c’est qu’on n’a pas forcément envie de trop parler. Le monde du théâtre est nocturne par principe, ici il devient intermédiaire. Dès 9h30 stages et université d’été. Là aussi, dans la dispersion presque invisible des salles.

exceptionnelles collaborations d’une heure : Jacques Bonnaffé

Chez Roland Fichet, dans la première heure, on commente et analyse les lectures entendues et vues la veille. Problèmes de fables et paraboles, de sujet et de projet de sens, de figures et de personnages, d’intention et de débordement. Ils sont quatorze, un noyau vient de Bretagne, mais tous écrivent, c’est la condition. Ensuite, chaque séance, quelques-uns proposent un texte personnel, mais écrit sur une contrainte déterminée par Roland, à partir d’ailleurs du groupe et d’une des questions abordées auparavant. Moi-même, et Enzo Cormann le lendemain, on est accueilli pour échange la première heure, ensuite on les laisse à leur travail.

Roland Fichet en stage (au fond, son fils Alexis Fichet)

Repas dans l’église. Qu’en diraient les anciens Jésuites ? mais avec plus de 250 repas en self-service c’est plus fluide. Tables rondes. Les places s’échangent. Là s’ébauche le voisinage des métiers. Acteurs, musiciens, techniciens, auteurs, stagiaires. Comme par hasard, je me retrouve un peu beaucoup souvent entre Roland et Enzo.

la Lorraine des usines n’est pas loin, je la vois de ma fenêtre

Dans Thélème la part des heures réservées au travail : 14h à 22h c’est presque une journée d’usine. On n’assiste pas à tout évidemment. Mais parfois si. Un événement commence quand l’autre termine, on s’efforce de respecter les collègues du suivant en se tenant à l’horaire. J’aurai lu cinq jours de suite pendant vingt minutes, disons vingt-cinq, mais jamais trente, et ainsi Jacques Rebotier, puisque nos heures, dans le chapiteau de l’école de cirque, s’échangent de façon pendulaire.

Michel Didym et Jacques Rebotier en lecture

La caractéristique ici c’est que personne ne vient en sachant ce qu’on va découvrir : c’est le travail de Michel Didym. Ainsi personne d’entre nous ne connaissait Mathieu Bertholet, suisse de Sion, bilingue, vit à Berlin. A tiqué par un détail d’un film documentaire vu par hasard (il n’y a jamais de hasard) sur le fait que l’épouse juive de l’inventeur des gaz de combats s’est suicidée en 1915. Il a apporté avec lui la doc qu’il avait alors constituée. Les diagrammes, tous les faits. La pièce les enchaîne comme une suite d’esquisses parfois d’une ou de trois lignes, ou d’une scène complète. Pas de démonstration, ce serait le danger. Il y a sur le plateau Stéphanie Béghain, Bérangère Bonvoisin et d’autres. Ça va très vite. Un projecteur vidéo place au fond le repère de date. Il appelle ça « biographie onirique » comme pour mes Stones j’avais dit « une biographie des », peut-être nous tous on est moins culotté que Plutarque ou Michon, à ne pas oser dire seulement « vie de ». La question de toute façon est commune.

Farben de Mathieu Bertholet avec notamment Stéphanie Béghain

Hier soir c’était Lionel Spycher. Deux acteurs entourant une batterie de micros en reliefs dans l’espace, le bruiteur inclut dans l’espace son, Claude Guerre officiant à son habitude parmi les acteurs eux-mêmes (Gilles David, Charlie Nelson), une histoire sombre comme un dessous de politique dans une transition de pouvoir, mais c’est rigide, rapide, deux draps blancs découpent les silhouettes soigneusement disproportionnées des acteurs : un profil net fixe, deux jambes immenses en premier plan, on est dans l’histoire, chaque spectateur un casque sans fil sur les oreilles, on reçoit le mixage en direct de l’émission à mesure qu’elle se fait. Claude Guerre est un peu comme un frère depuis notre travail Led Zeppelin, il n’hésite pas à coucher les acteurs au sol pour des effets de cave garantis...

Claude Guerre répète Lionel Spycher

Je suis les performances scéniques, même texte en main, de Quentin Baillot, Luc-Antoine Diquero, Marie Desgranges. C’est comme ça qu’on apprend. Parce qu’on voit l’acteur non pas dans un projet mais dans quatre, voire dans cinq apparitions, le texte paradoxalement se retire, qu’il soit de Fabrice Melquiot ou Enzo Cormann encore, et c’est le travail de l’acteur qui vient à la surface, encore non : sa prise de travail, la façon dont il surgit et esquisse ce dépassement qui s’appelle théâtre. En tout cas, quand on en parle entre auteurs, avec Enzo ou Spycher ou les autres, c’est cela qui nous frappe. On sait se lire les uns les autres, mais c’est ce travail là qui nous sort de notre boîte et fait que peut-être on peut leur fournir leur charbon dans l’écriture, aux acteurs. Chez Melquiot, on convoque la vieille farce à la Scapin, le cabaret musical, on se promène dans d’étranges silhouettages surdécoupés, et ça marche.

Enzo Cormann en répétition avec Bérangère Bonvoisin

Et ce qu’on a de commun c’est que la rencontre elle-même est un travail, travail sur soi, travail de soi vers l’autre. Ainsi, plusieurs acteurs amis et non des moindres (Gaël Baron, Julie Pilod) m’avaient dit leur intérêt pour le travail de Gildas Milin. Non pas dans l’idée d’une conversation de salon, on a d’autres repères, plutôt comme on signale un centre de gravité, un objet spécifique dans l’espace, à partir de quoi un champ de forces se réorganise. Hier j’ai parlé une heure avec Gildas Milin, et voilà une transcription (je devais l’inscrire dans Temporairement contemporain, le petit quotidien déposé sur la table chaque repas de midi) de ce qui pourrait être, là encore, comme une « biographie onirique », celle qui mène à l’écriture.
Gildas travaille aussi beaucoup la musique, quoi qu’il en dise, et hier dans la nef self-service on était avec ses amis du groupe Garçons d’étage, on parlait guitare (Vassia Zagar), batterie, des studios de musique expérimentaux paraît-il installés dans les sous-sols du conservatoire du 10ème arrondissement à Paris.

Gildas Milin, biographie onirique

Et moi, donc, chaque jour, qu’un acteur surgisse une heure avant ma lecture, que je lui ai arbitrairement sélectionné un texte, en dédicace, en hommage, ou comme on suppose qu’à cet endroit et avec cette personne on pourrait glisser vers une frontière et y découvrir ?

A Bérangère Bonvoisin j’ai proposé cette Femme devant sa fenêtre, qu’elle a si magistralement lu, à la presque limite du silence, à Quentin Baillot j’ai proposé une suite de rêves (on ne peut faire ça qu’entre garçons), hier à Jacques Bonnaffé j’ai dédié Ce serait comme une lettre, et tout à l’heure à Stéphanie Béghain je proposerai cette suite de textes autour De l’importance de parler ou pas. Chaque jour, pour partir d’un chantier différent (puisque le but de Tumulte c’est que ces chantiers soient tous acceptés et s’entrecroisent), j’ouvre par la convocation d’un auteur. J’ai apporté Kafka (Fenêtre sur rue), Baudelaire (Onéirocritie), Artaud (Ombilic des Limbes), Paul Valet (Je dis non), et Perec (L’Inhabitable, dans Espèces d’espaces).

Quentin Baillot dans les rêves de Tumulte

Michel Didym finira la série, j’ai décidé qu’il lira cette variation sur le crâne de Baudelaire. Je l’attends.

 suite du compte rendu images : une simple cour d’usine


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 27 août 2005
merci aux 3742 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page