on ne cherche pas nos auteurs, on les trouve

entretien bref sur publie.net



 Grand moral pour publie.net : prochaines mises en lignes, les SMS de la cloison de Philippe Rahmy, déjà disponibles sur remue.net, mais dans une recherche page/écran de Fred Griot, et une incise sur un moment décisif du Journal de Kafka, La Nuit du Verdict, par un des auteurs dont j’apprécie le plus la démarche et la radicalité dans le fantastique, Eric Faye, qui viendra tenir compagnie à Eric Chevillard et Xavier Bazot...
 On tient sur le forum la rubrique Ils en parlent, mais heureux de voir notre petit laboratoire signalé par Alain Beuve-Méry dans le Monde :
En revanche, l’expérience poursuivie par l’écrivain François Bon, avec Publie.net, mérite attention. Son site ressemble plus à une véritable maison d’édition sur la Toile. Publie.net propose près de 140 textes contemporains, qui n’ont d’autre existence que numérique. A côté d’auteurs confirmés comme Jacques Roubaud, Olivier Rolin ou Bernard Noël, figurent de jeunes écrivains encore inconnus. Et, pour 5,50 euros, dont la moitié est reversée à l’auteur, les internautes peuvent acquérir un exemplaire en ligne. Dans un billet du 16 mai 2008 sur son blog Tiers livre, François Bon remarquait que pour une grande partie des auteurs "les éditeurs papier n’impriment plus les textes qui nous concernent" avant d’ajouter : "Pour que la littérature pèse, pour que le monde des logiciels et des outils prenne en compte nos textes, nos exigences, à nous de les proposer dès à présent sur le Net."
 Selon principe de ce que Thierry Beinstingel nommait autrefois tentative d’exposition du travail littéraire à la vue de tous, ci-dessous mes réponses, à l’instant, à Julie Delvallée pour Métro, et l’autorisation expresse d’en reprendre et citer ce qu’elle souhaite, d’où la mise en ligne ci-dessous de la version intégrale. Tant, chaque fois, à répondre on apprend soi-même quelque chose...
 Et salut depuis New York aux fidèles de tiers livre, avec vue de mon 17ème étage provisoire en prime !

PS : membre de la SGDL, je suis bien sûr par le fait solidaire de l’appel pour le livre en circulation ces jours-ci, renouvelant avec fermeté soutien à la loi Lang, dans un contexte où ça bouge de tous les côtés, et le territoire de cette loi sans doute de plus en plus parcellaire dans nos problématiques globales de littérature, notamment pour ce qui concerne nos expériences en route sur le Net...

Et nota : à la suite de l’entrefilet du Monde, nous ne cessons de recevoir des manuscrits. Merci de prendre d’abord connaissance du site, de télécharger quelques textes : vous pourrez alors nous dire pourquoi vous vous sentez en affinité avec la démarche. Et merci pour les auteurs du site que vous aurez soutenus : c’est quand même mieux pour commencer le chemin, non ?


publie.net, c’est quoi ? – entretien avec Métro

merci à Julie Delvallée

 

Pour un nouvel auteur qui veut publier son manuscrit sur votre site, comment cela se passe : quel est le parcours à suivre, comment fonctionne le comité des lecteurs ? Globalement combien de nouveaux auteurs, à peu près, avez-vous découvert depuis le début de cette aventure ?
Pour notre équipe, il s’agit surtout de rendre compte des recherches en cours, de comment l’outil numérique déplace la façon de tenir récit, ou bien comment l’écran peut faire surgir des formes nouvelles. Nous allons donc plutôt chercher nous-mêmes de nouveaux auteurs. Cela n’empêche pas de faire la connaissance de nouvelles démarches. A réception, je mets une copie des textes proposés sur le serveur, l’équipe de rédaction en prend connaissance, et chacun « adopte » alors un de ces textes pour mise en page, corrections, jusqu’à la mise en ligne… Nous proposons 2 nouveaux textes par semaine, dont à peu près 1/3 sont d’auteurs jusqu’à alors inédits…

Un petit retour sur la création de publie.net. Pourquoi avoir crée ce site ? Comment l’idée vous est-elle venue ? Une idée entre auteurs ? Est-ce que cela répondait à un besoin sur la Toile ?
Ce n’est pas une idée née de rien. Dès 2000, j’avais lancé un site collectif de littérature, avec revue en ligne, remue.net. D’autre part, depuis 2 ans, je dirige une collection de littérature contemporaine au Seuil, avec 6 parutions par an. Côté remue.net, l’envie d’aller plus loin dans les mises en ligne, travailler vraiment avec les critères de l’édition graphique, donc disposer de moyens matériels pour le faire. Côté collection Déplacements, avoir été mis en contact avec de très nombreuses démarches qu’il ne m’était pas possible de demander aux éditions du Seuil de prendre en charge, dans les critères actuels de diffusion commerciale. Ainsi, de nombreux auteurs travaillent sur des formats brefs, ou des formes de mise en page très radicales. Le Net permet tout cela.

Les gros sites de vente de livres neufs ou d’occasion, comme Priceminister ou Amazon pour ne citer qu’eux, représentent-ils une concurrence pour vous ? Ou vos lecteurs sont-ils au contraire des personnes à la recherche de nouveaux manuscrits ?
Parler de concurrence n’a aucun sens : on n’est pas dans l’économie de marché ! On est un laboratoire de recherche, de découvertes. D’appui aussi aux livres de littérature contemporaine : pour être auteur, aujourd’hui, impossible de se contenter d’un seul support. L’édition tend à se replier sur quelques modèles de rentabilité avérée, le temps de présence des livres en librairie est de plus en plus court. C’est une autre façon de faire exister une exigence, ou bien des chemins imprévus. Et c’est aussi l’esprit web 2.0 : affirmer une communauté, des échanges. Les auteurs publiés amènent leurs amis, les blogs répercutent notre démarche…

Publie.net. est lancé depuis janvier 2008. A l’heure d’aujourd’hui, le bilan est-il selon vous satisfaisant, concernant des acheteurs et des auteurs ?
Quand j’ai lancé l’expérience, je pensais plutôt trouver sur ma route ce que chacun d’entre nous, auteur, garde en réserve dans son atelier : textes de revue, conférences, inédits ou textes épuisés. Je me suis vite aperçu que ceux qui avaient le plus besoin de cet outil, c’était ceux qui pratiquaient eux-mêmes Internet. Les consultations augmentent régulièrement, les téléchargements aussi, et 50% du prix perçu est redistribué aux auteurs, selon ce principe de « coopérative ». Mais le grand fait nouveau est venu des bibliothèques : que ce soit les médiathèques ou les bibliothèques universitaires, il y a un vrai besoin de ressources numériques, qui soient autre chose que la disponibilité des best-sellers, ou les textes en domaine public. Grâce à l’aide de la BPI (Beaubourg), nous avons dédoublé publie.net, un site « miroir » propose les textes en lecture intégrale, via abonnement des bibliothèques. Ça, c’est la révolution inattendue, mais tout d’un coup le public qui compte : les étudiants, ceux qui ont vitalement besoin de littérature, dans ses formes d’aujourd’hui.

Quel est le genre de manuscrits qui est le plus vendu ? Avez-vous des retours des acheteurs et lecteurs, que pensent-ils généralement de ce nouvel accès à la littérature ?
Ce qui nous fait surtout plaisir, c’est le lecteur qui achète timidement un texte pour faire l’essai, et qui découvre que ça n’a rien à voir avec un article de blog, et revient 10 jours plus tard pour un autre, puis continue. On constate aussi que plusieurs de nos auteurs, désormais, sont invités ensuite par des revues, des festivals, ou sollicités pour d’autres textes et interventions. Au début, nous pensions proposer tous les textes au même prix, 5,50 euros. Sur un coup de tête, on a décidé de diffuser toutes les semaines, le samedi matin, une « forme brève », entre 20 et 30 pages, toutes les audaces permises sur contenu et mise en page, pour 1,30 euros, et c’est un des points forts du site. Imprévu aussi : les formes spécialement écrites pour le Net trouvent plus vite leurs lecteurs que les « romans » ou formes transposées de l’univers du livre. Pour l’autre versant de la question, bien penser qu’on est dans un univers où tout se déplace : lire sur écran une forme longue, c’est encore difficile. Mais le nouveau « reader » d’Adobe, Digital Editions, transforme votre ordinateur en vraie machine à lire… Les machines évoluent très vite, les pratiques aussi. Là, à New York d’où je vous réponds, je suis en train de faire des tests sur dernière tablette Sony, chaque fois le nouvel outil provoque le besoin de nouvelle mise en page, et à son tour la façon différente de lire impulse de nouveaux fonctionnements de récits. Dans les trajets du matin pour le travail, on écoute des textes en podcast, on lit des articles compliqués sur son iPhone, à nous de prendre de l’avance pour proposer dès maintenant des récits, tentatives poétiques ou critiques, qui collent à ces supports.

Pour finir, vous devez avoir de nombreuses anecdotes à raconter. Parmi tous les manuscrits reçus, avez-vous eu beaucoup de « navets » ?
Bien sûr, on reçoit des textes qui ne sont pas pour nous. Mais Internet, avec lulu.com ou autres plate-formes, peut permettre à ces écritures de trouver leur forme de publication. Autrefois, à côté des éditeurs traditionnels, il y avait La Pensée Universelle, qui accueillait tout et n’importe quoi. Nous tenons plutôt à nous affirmer comme catalogue. C’est le lien entre le texte et ses enjeux, la démarche d’un auteur, qui compte. Ce qui est plus excitant, pour nous, c’est les textes dont on ne sait pas quoi faire, parce que trop court, parce que trop long, dont on sait parfaitement que l’édition traditionnelle ne pourra l’accueillir, et la question : comment recréer avec l’écran un plaisir de lecture identique ? Et l’autre plaisir : que des auteurs qu’on estime, qui, au début, jugeaient l’expérience un peu gadget, nous confient des textes imprévus.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 3 juillet 2008
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