Howl : Ginsberg traduit et dit par Darras

[audio] deux fragments de la retraduction inédite de Howl par Jacques Darras, comment et pourquoi


A Saint-Malo, le dernier après-midi d’Etonnants Voyageurs, invités par Yvon Le Men, nous lisons dans la chapelle de l’Ecole de marine marchande. Ce n’est pas rien, déjà, dans ce genre de festival, le privilège d’accéder à des lieux sinon inaccessibles.

Chapelle : un lieu fait pour la voix, la chaire, l’orateur. Un lieu qui magnifie et amplifie la voix, une réverbération géante. A nous, en lisant, de désamorcer. On a tôt fait de poser les micros et partir rien qu’à la gueule. Ce n’est pas Yvon, grand proférateur, capable de tenir, depuis Névénoë début des années 70 des auditoires géants captivés par un des mille poèmes qu’il sait par cœur.

Dans les quelques-uns qui ont enseigné à ceux de ma génération l’art de la voix, ou d’écrire pour la voix (où il y a notamment Valère Novarina, Christophe Tarkos, ou Jacques Bonnaffé), Jacques Darras a compté : il ne lit pas, il danse. Mais il écrit pour cette danse. Et le fait avec son pays, ses traces.

Je ne savais rien de son histoire avec Ginsberg. Il pose sur la table, en arrivant, la minuscule édition carrée, la toute première, en 1956, produite par Lawrence Ferlinghetti pour son légendaire City Lights. Je ne peux m’empêcher de prendre et feuilleter, la découvre entièrement annotée.

Jacques Darras expliquera et racontera ses voyages américains, en 1982 puis 1992, et la rencontre de Ginsberg. Il resituera pour nous la rupture qu’est cette parution, et comment, après le destin européen de T.S. Eliott et Ezra Pound, se fonde un autre territoire pour le présent de la profération. Et que le contexte en est violent. Il suffit d’écouter les premiers mots :

J’ai vu les meilleurs cerveaux de ma génération sombrer dans la folie hystériques affamés et nus traînés colériquement dans les rues maigres à l’aube la poursuite d’une dose gueule d’anges brûlant pour l’ancienne connexion paradisiaque avec la dynamo les étoiles dans la grande machinerie nocturne loques minables aux orbites ravagées par la défonce passant leur temps à fumer à flotter à contempler le jazz par dessus le toit des villes assis dans l’obscurité surnaturelle de chambres à lavabos d’eau froide oui qui se décalottaient la cervelle pour voir le ciel le métro aérien sous les ailes illuminées pour voir le prophète Mahomet sur les terrasses des immeubles…

Et moi aussi je trompe Ginsberg à supprimer la coupe du vers et en faire cette phrase sans ponctuation que j’y entends… Parce que Ginsberg est toujours devant nous : à mesure que s’éloigne le folklore de la « contre-culture », et qu’on comprend justement quel genre de rupture s’inaugure avec ceux-là, dès 1955.

Lors de ses séjours à Paris, Ginsberg était hébergé chez Jean-Jacques Lebel, le premier à avoir traduit Howl. A mesure que ce contexte esthétique devient plus perceptible, et que nous-mêmes construisons une langue initiée par ces ruptures, comme dans toutes les traductions le travail est à refaire : et c’est chaque fois (pour Shakespeare, ou Hölderlin, ou la Bible, ou Dostoievski, ou Kafka) un hommage aux premiers traducteurs, ceux qui nous ont mis ce texte-là dans les mains. C’est pour le maintenir vivant que nous avons à le prendre dans nos mains, et le porter à nouveau au jour, dans nos propres techniques, notre lecture du monde. Moi aussi, dans mes recoins d’ordi, j’ai des bouts de traduction de Howl.

Les héritiers d’Allen Ginsberg ont décidé de ne pas accorder de droits nouveaux de traduction, et que celle de Jean-Jacques Lebel soit ainsi protégée.

Alors Jacques Darras se livre au seul exercice qui reste permis : nous lire un fragment de Howl en anglais, et puis prendre ces feuilles dactylographiées avec sa propre version du texte, la traduction interdite.
En hommage à Ginsberg, pour relire Howl, mais aussi en hommage à ces ouvreurs de chemins que sont les quelques-uns comme Jacques Darras.

Voici donc la voix :
  Jacques Darras lit le début de Howl, traduction inédite, 5’40.

Et puis, à la fin de la rencontre, Yvon Le Men accepte la suggestion d’un autre fragment. Je suis à côté de Jacques Darras, je mets mon appareil photo numérique en position film, et je déclenche. C’est trash, cela saute dans tous les sens, mais il y a le rythme, le geste Darras… Alors qu’on pardonne la prise trash :
 
Howl, captation appareil photo numérique, lu et traduit par Jacques Darras
, 4’.

Avec en prime, au début de son intervention, le problème de traduction : comment rendre dans la continuit de souffle le Who anglais, quand nous avons la percussion de qui… et tout d’un coup s’ouvre le travail de la langue.

Je ne demande pas la permission à Jacques : juste cette énergie, ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu. A vous de prolonger par le travail de Jacques Darras écrivain… On l’a signalé plus haut : il y a un site Jacques Darras.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 15 mai 2008
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