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parmi les e-mails récemment reçus


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Est-ce à cause de mon tumulte ? J’ai ouvert cette écriture pour aller vers le fantastique, me forcer à travailler des éclats, les laisser interagir selon la nature de l’écriture. J’essaye de peser sur les rythmes, les intensités : j’écris encore trop long. La contrainte de mise en ligne immédiate est terriblement priductive : on écrit l’instant, même en tant que parcelle d’un immense récit sous-jacent et inconnu, la figure émergée est celle d’un instant extirpé. Donc, est-ce que parce que même les amis me lisent à mesure, ils m’envoient des textes en dialogue, que j’aurais scrupule cependant à placer en simple contribution genre forum : peut-être devrais-je, maintenant que la direction s’affirme ? Donc, dans les envois reçus, d’abord, deux rêves, de PhR et de Jérôme P., déjà cités dans cette rubrique des mails reçus :

Rêve de PhilR. Le rêve de cette nuit a débuté dans l’apostrophe, j’ai entendu très clairement la voix N., mon ami d’enfance mort d’une overdose à 16 ans. Le soleil brillait, un verger en fleurs, mais un froid de février, et au loin, sur la droite, la barre violette du Jura d’hiver, pas un pet d’air, pas un zon-zon d’insecte, et soudain ça : « Je te hais qui préfères ma souffrance à la tienne ! ». Vague de tristesse, je tombe à genoux et je pleure, vient le soir. Un téléphone sonne, la mère de N. m’apprend que son fils est mort aux urgences de l’hôpital de Ny. Elle parle d’une voix d’hôtesse de l’air, me dit que N. sera enterré torse nu, et pieds nus, debout, dans son pantalon en cuir noir, avec ses plectres de basse à la place des yeux. Je raccroche. Le téléphone sonne à nouveau, c’est l’une de mes soeurs. Elle m’attend avec ses copines dans le champ qui borde le vieux cimetière de C. Il fait désormais nuit noire et une chaleur écrasante. On ne voit pas le ciel malgré le vent tempétueux qui fait tourner la poussière. Dans le champ fraîchement coupé, ma soeur et ses copines en robes de communiantes, des gosses d’une dizaine d’années, tiennent des torches et sont en train de foutre le feu aux festons de paille. L’incendie, porté par le vent, touche le cimetière, les trois premiers rangs des tombes les plus fraîches, celles qui ont encore leurs croix en bois, flambent. On entend craquer la terre. Je me mets alors à courir répétant « il faut sauver les morts, il faut sauver les morts avant qu’ils ne grillent ». Mais comment déterrer tous ces gens ? Soudain, une haute silhouette se dresse, fumante, entre les tombes. Je m’approche et je vois son visage, le visage souriant et rond comme une bille, et les grands yeux clairs, d’un tout jeune enfant. Je veux lui prendre le bras, mais il s’accroupit et plonge dans le sol, comme une taupe. Je plonge derrière lui. Je l’entends glousser au bout du long couloir en colimaçon, au sol en pente raide, aux parois poisseuses et glacées, qui s’enfonce sous le tombeau. Chaque fois que je touche le mur de la main, toute la chair se ratatine en crissant, jusqu’au squelette. Quand j’éloigne la main, la chair repousse. Mais sans les ongles, le bout des doigts est affreusement douloureux, et suinte. Je les approche de mes lèvres, puis les plante dans ma bouche, tout au fond, pour faire vomir. Il fait très clair, odeur de vieux feutre. Soudain une porte et l’inscription « exit », en lettres militaires. Je dévisse la roue métallique qui la verrouille, c’est une sorte de sas, derrière, une petite capsule métallique aux parois tapissées d’étagères rouillées. Un abri anti-atomique ? Sur chaque étagère, un amoncellement de sacs éventrés de cyanure. Une chambre à gaz ? L’enfant est assis par terre, il est couvert de poudre blanche et se lèche les doigts. Ses yeux sont deux surfaces de opaques et se mettent à bouillir. Je recule, il hurle et tente de recracher le cyanure, je lui dis d’attendre, j’ai peur, je vois derrière mon épaule gauche une poignée en forme de pelle, que j’actionne. La paroi coulisse et je suis devant les caisses enregistreuses d’un parking souterrain. Arrive un homme. J’appelle à l’aide, me précipite, mais le cyanure fait effet, mes poumons ne fonctionnent presque plus, j’écume. L’homme va s’enfuir, je parviens à saisir le revers de son manteau, il se débat, nous luttons. Je vois qu’il croit que je l’agresse, je parviens à murmurer, dans un sifflement « je ne suis pas raciste », et nous tombons tous deux à terre. Des gens accourent, je me réveille la tête à l’envers.

Le temps de mettre en forme ce texte, je me dis que c’est bizarre la sensation, à dix semaines de tumulte, la sensation de ne plus rêver, alors que le rapport au rêve n’a jamais été si tendu, si précis : je me remémore d’anciens rêves, facilement d’ailleurs, et peux situer où et comment ils furent rêvés. Donc le second rêve, Jérôme P. :

Vrai rêve. En fin de nuit, dans un rêve, je sonnais chez moi, 14 Rue Basse (ancienne adresse, révolue depuis longtemps).

La rue était déserte et silencieuse. Tous les volets étaient fermés, lumières éteintes. Une très vieille femme passait. Maigre, rachitique, vêtue de noir. Visage osseux et fermé. Elle me disait, aigrie, énigmatique :

« Ces gens-là ne vous ouvriront que s‚il y en a un qui joue du pipeau » ( = trahissant par là leur présence ?).

Puis une fenêtre s’ouvrait, celle de ma chambre, tout en haut de l’édifice.

Il y avait une lumière jaune et je voyais Jean-Noël, avec ce visage comme sur un vieux photomaton. Il me faisait gentiment signe de monter.

J’ouvrais la porte de communication, bien que la poignée me semblât difficile à man˛uvrer.

Je montais dans les étages que je ne connaissais pas, avec des murs blanchis à la chaux, et de drôles de commutateurs à l’ancienne.

Les paliers me faisaient songer au labyrinthe du bâtiment où logeaient les prêtres qui enseignaient au collège Saint Hilaire, tout en haut de la Rue Basse.

Je me disais : je vais dire à Jean-Noël qu‚il doit se ranger un peu. Qu’il faut qu’il revienne vivre à Niort, s’il veut que l’on se rencontre plus souvent, sinon on va finir par ne plus pouvoir se voir...

C’est alors que je me suis réveillé, en réalisant qu’il était mort depuis si longtemps, douze ans déjà...

C’est terrible, de rêver à de telles choses.

Ensuite, mal réveillé, j’ai cru voir dans la NR un avis d’obsèques pour Michel Vaillant, le coureur automobile BD...

2

J’aime bien cette annonce d’un festival dans les Deux-Sèvres, transmise par Jérôme P. encore une fois :

FESTIVAL HIPPIE - PASS 2 JOURS.

Valable les 22 & 23/07/05 - 19h

Pop-rock

jusqu’au 23/07/2005

PLEIN AIR Plaine de Beaufief 17400 ST JEAN D’ANGELY
42,00 euros.
Réservez vos billets.

A savoir

LE 23/7 A PARTIR DE 19H : "Soul Power" groupe régional, hommage à Beverly Jo Scott et aux 70’s. Ronnie Caryl, guitariste de Phil Collins, hommage aux grands noms de Woodstock. Beverly Jo Scott - Planet Janis Joplin, Otis Redding, Dylan avec quelques guests... LE 22/7 A PARTIR DE 19H : "Band of Foxes", groupe régional, hommage à Jimmy Hendrix, Eric Clapton. "Barry ’the Fish’ Melton", co-fondateur du Country McDonald & Fish, présent à Woodstock. Le Groupe mythique Ten Years After.

3

Je garde le reste pour moi. J’aime bien celui qui m’envoie chroniques quasi quotidiennes d’exploration sous les tours de la Défense, pour un stage. J’aime bien l’échange avec Charles T., quand tout ce dont on s’occupe, c’est de se dire : si on rêve une pièce de théâtre, elle ressemble à quoi ? Du coup, on se raconte des bouts de vie, des bouts d’images. L’intersection du mail et du travail, c’est aussi cette possibilité, en temps réel, de s’explorer à tâtons, en laissant juste se tendre un champ transversal, même pas l’intention du projet, mais ce dans quoi on le baigne. Voilà ce que je lui envoie ce soir, rédigé depuis le train :

Après, visité à Beaubourg l’expo Big Bang : pour des raisons de réfection incendie, ils vont boucler tour à tour le 3ème et le 4ème étage, et donc proposent une compil des collections MNAM juste sur un étage, mais du coup dans un accrochage thématique et non plus chronologique. Ça donne des collisions vraiment étonnantes. Avec Tanguy Viel en novembre on fera un spécial Duchamp un dimanche matin, le PCF ayant mis en dépôt à Beaubourg la Joconde à moustache : bizarre de savoir que ce tableau pendant des décennies a trôné au-dessus de Georges Marchais. On lira chacun une fiction écrite pour l’occasion, et ensuite à 2 des extraits de Duchamp (je me souviens de celui-ci : "Qui protestera contre la paresse des rails entre deux passages du train ?").

En sortant de Beaubourg, rencontré sur le trottoir Erwin Ronai, traversée à pied du ghetto de Varsovie à Paris avant-guerre, et la rue des Rosiers depuis. Je ne sais pas quel âge a aujourd’hui Erwin : sans doute entre 91 et 93, comme Claude Simon ou Julien Gracq. Incroyable visage qui s’inscrit sur son propre visage. Ces gens qui portent l’histoire, on dirait que c’est elle-même qui vient s’écrire sur les rides. Ou même, le vieux texte de la Bible qui s’écrirait à même la peau. On a passé un coup de fil à H..., sa fille, juste pour lui dire qu’on était ensemble, et des arrières-petits enfants. Mais ai aussi pensé à la disparition de ton père l’an dernier, au fait que je ne l’aie jamais rencontré, à cet autre chemin dans la même diaspora.

Puis repassé chez Fab Caz reprendre nos sacs, lesté via les Cahiers de Colette de quelques kilos de bouquins de philo qu’il faut à ma fille pour sa prépa, métro jusqu’au parking souterrain où on avait laissé la bagnole, et là on la trouve les 2 pneus arrière crevés au cutter.

Incompréhensible. On remonte cinq étages de sous-sols avec les deux roues à plat. Discussion avec le gardien, téléphone à un chef injoignable et puis qui n’y peut rien. Je change une des deux oures pour la roue de secours, mais le vandale au couteau a fait les deux côtés. Re discussions, le parking (Vinci, c’est son code) n’est pas résponsable, d’ailleurs un maître-chien n’est-il pas là ? Je mpontre obstinément mes deux pneus crevés ? Et demain féréié, et le prix d’un dépannage etc... On injecte une bombe anti-crevaison, puis porte d’Orléans au pas : un 13 juillet à 9h du soir impossible faiure quoi que ce soit, du coup une bonne heure dans une station-service prépiph parisien, discussions avec les employés, tout ça assez halluciné ou hallucinant. Finalement on a laissé bagnole dans... autre parking souterrain, toujours pneu crevé, et on rentre par le train d’1h du mat... Tout ça je n’ai jamais compris si c’était exprès comme ça présent dans ma vie comme une espèce de tableau général. Remonterai vendredi pour promener mes roues crevées et les remplacer à moindre frais. J’ai beaucoup d’incompréhension du monde, mais finalement elle n’est jamais complète.

Pourtant un parking calme, celui qui est juste devant le 5 Sébastien-Bottin. J’élimine pourtant l’hypothèse d’une vengeance de quelqu’un de chez Gallimard. Incompréhensible pourtant : dans ce sixième sous-sol il n’y avait quasiment pas de voitures, et seule la nôtre, cabossée, avec ses sièges de gosses et tout, avait été vandalée.

Et dans le train d’Austerlitz qui nous ramenait, ma fille et moi, via Orléans et Blois, se dire pour se consoler que par exemple, ce midi rue Rambuteau, aux Cahiers de Colette, croisé Christian Boltanski : est-ce que ça ne fait pas un contrepoids de proportion bien plus forte ? Ça me remplit toujours de bonheur. Lui ai parlé des Beaux-Arts, puisque j’ai des élèves de son atelier dans mon UV, et ensuite d’une émission de radio faite au printemps avec son frangin Luc sur leur maison d’enfance en Mayenne. Et tout en discutant, me suis dit : il te répond, te dit oui, mais il ne t’a pas reconnu. Je connais assez ça pour comprendre. Bizarrerie, à peine trente minutes plus tard, de me retrouver devant son "mur" de boîtes métalliques d’archives, ces 546 boîtes à biscuit en alu montées en mur, chacune remplie de photos, notes, dessins que personne ne verra jamais. Et on reste planté devant ce mur, qui fait face au "mur" de Breton dans l’expo Big Bang (mais j’espère y revenir dans ce mail). Ce qui vous revient forcément du hiatus, entre le discret, le souriant et dans la lune Boltanski, et l’âpreté et le silence et la dureté et l’impact mémoire et plastique de ce "mur" que je voyais et touchais pour la première fois...


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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 juillet 2005
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