un salut à Charles Juliet

parution du livre d’hommages "Attentivement, Charles Juliet"


A l’initiative de Marie-Thérèse Peyrin, les éditions Jacques André viennent de rassembler un bouquet d’hommages à Charles Juliet.

On en trouvera la
genèse et l’accompagnement dans La Cause des Causeuses, le blog de "MthP"-

Compte rendu aussi du voyage de Jean-Claude Bourdais depuis Thiron-Gardais, dans son Si le temps le permet.

D’autres extraits et vidéo sur le blog d’Armand Dupuy mots-tessons.

Et bien sûr lapage Juliet de son éditeur POL (Paul Otchakovsky-Laurens a d’ailleurs contribué au livre).

Ci-dessous ma propre contribution, trajet Poitiers-Pau le 30 janvier 2008, en lisant de Charles Juliet les Entretien avec Fabienne Verdier, peintre, paru chez Albin-Michel.

Merci à MThP.


d’un affrontement avec soi-même

 

Je sais combien la route est longue pour qu’un artiste devienne lui-même et soit en possession de ses moyens d’expression.
Charles Juliet utilise le verbe savoir et le pronom personnel à la première personne : je sais. Mais il n’a écrit qu’à l’intérieur de ce possible, sans certitude de réussite, qu’exprime le subjonctif devienne. Je ne sais pas une ligne de Charles Juliet qui puisse exprimer une possession.

 

Car peintre est un moyen de pénétrer en soi, de se découvrir, de prendre connaissance de tout ce qui dort ou s’agite dans le for intérieur, puis de figurer ce qui exige de prendre forme.
Alors, cette médiation et cet acte de volonté, ce que dit le moyen, ce que dit prendre témoigneraient de ce qu’on doit, nous au Journal : l’outil d’une collecte, et puis au bout le présent sans pronom, exige et qu’ici sont les autres livres, brefs ou durs, comme ces deux dates, douze ans marquées à la fin du livre pour l’élaboration de Lambeaux.

 

L’inachevé d’une toile sollicite l’imagination, ouvre sur un possible devenir.
Il n’y a pas d’achevé dans les livres, dans une phrase. Il n’y a peut-être pas non plus, dans le travail de Charles Juliet, de statut particulier attaché à l’imagination. Le devenir est en avant, il est ce qui fut, ce qui a été l’empêchement d’avenir de la mère, ou l’empêchement par le silence de celui qui dut écrire. Il y a des cycles chez Charles Juliet, ou le signe d’autres présences obstinées, Hölderlin par exemple. Œuvre d’après le possible devenir, et cherchant ce qui nous advient lorsque ce possible manqua : et c’est la voix propre, singulière à Charles Juliet, sa retenue dans le rythme.

 

Il est dit dans le Tao Te King qu’on naît vieux et qu’on meurt jeune.
Quand on apprend que Charles Juliet est en Nouvelle-Zélande, au Japon, ou bien qu’un enseignant de mathématiques à l’IUFM de Clermont-Ferrand vous raconte comment il est entré dans sa classe, et la discussion qui s’en est induite. Je n’aime pas, chez l’auteur de Lambeaux, la collusion des mots meurt et jeune. La mort qu’eut à traverser l’enfant : et que, hors ce livre bref et dense, dont je maintiens qu’il est un classique obligatoire de notre temps, ou de la séparation incluse dans notre temps. Qu’une œuvre s’inaugure pourtant, comme dans le seul effort de séparer les deux mots.

 

La maturité est venue. Vous n’êtes plus portée que par la nécessité de travailler et de vous accomplir. Parvenue à ce stade de votre parcours, connaissez-vous encore des périodes creuses, ces jours maussades où la source semble être tarie.
Moi qui tutoie tout le monde, je vouvoie Charles (ce n’est pas réciproque, et j’en suis fier). Il m’apparaît depuis que j’ai commencé de le lire, tout début des années 80, comme un aîné, et un aîné majeur, avec ces ombres derrière lui favorables, Bram Van Velde, Beckett. Dans ces lignes adressées à une personne précise (la peintre Fabienne Verdier), son vous est parfaitement reconnaissable. Il est l’automne inaugural qui fait toute l’écriture de Juliet. Ce vous diffuse et inaugure que l’écriture est acceptée par celui qui lit : ils sont peu, à avoir payé le prix pour venir là. Le mot source, je sais ce qu’il vaut pour Charles Juliet, et comme est fondateur, pour lui, le chemin de ronces qui descendait à la source. Dans cette phrase, j’entends qu’il n’en est pas libéré, lui, des jours blêmes, des jours taris. Je m’en effraie : parce que c’est justement ces jours-là, qu’il nous aide, par ses livres.

 

William Blake a noté qu’il est nécessaire de « nettoyer les portes de la perception ».
Il n’y a pas de mode d’emploi pour écrire. Dans sa préface à l’entretien avec Fabienne Verdier, Charles Juliet revient sur cette première phase de l’apprentissage pour la peintre de vingt ans : venue en Chine, elle pose devant la porte du vieux maître, chaque jour, une calligraphie qui reste sans accueil, sans réponse. Le Journal de Charles Juliet, ou la récurrence de tant de livres minces, c’est encore et toujours cette page que nous venons poser, mais nous, en littérature, sans savoir même si un maître est de l’autre côté de la porte. Nous allons vers les autres auteurs et tâchons de savoir ce qu’ils ont pu en savoir, eux, de la porte (et c’est le thème encore du rêve dans la cathédrale, au cœur du Procès, certains savent). Il choisit William Blake, et c’est encore une porte, mais elle renvoie à l’instant, au dehors, à cette légèreté et l’abandon au présent. Je n’ai jamais pensé à Charles Juliet comme à un être d’abandon : ses livres, oui, mais totalement.

 

Où naît en vous le geste qui conduit au coup de pinceau inscrivant une forme sur une toile ?
Tout est si simple, apparemment, pour le peintre. Pour ceux des mots, pas d’atelier. L’attente d’un train dans une salle à courants d’air peut suffire. Et l’obstination des livres : mais aussi bien garde-t-on Rimbaud dans sa poche. C’est l’atelier-monde : il résonne dans le Journal, aux frictions du quotidien encombré de mots. Je ne me souviens pas des visages, mais j’ai mémoire de ce que j’ai lu, et des voix : je convoque si facilement, parce que si rare d’espace et d’attente, la voix de Charles Juliet au téléphone. Installer l’attente jusque dans cela, l’encombrement du monde. Je ne sais pas où naît le geste, ni même s’il y a geste. J’aime les périodes d’obéissance : se mettre au travail le matin avant l’aube, et finir brutalement avec le jour, attendre le lendemain que ça recommence, faire en sorte d’être prêt. Puis : longues traversées, attente sans promesse. Peut-être la violence de la question qu’il pose à Fabienne Verdier (« je vais vous poser une question difficile, une question peut-être sans réponse ») est dans le où qui en fait l’incipit : lieu sans lieu, de pure traversée, qu’on peut éventuellement circonscrire, mais à l’approcher plus rien que vertige.

 

Peindre est un affrontement avec soi-même, avec cette réalité interne toujours en mouvement , où des énergies s’entremêlent, se heurtent, parfois se combattent.
Charles Juliet a été deux fois écrivain de récit. Pour le premier d’entre eux, L’Année de l’éveil, le vocabulaire ici convient bien, et tous ces mots qui assignent, en amont d’eux, celui de réalité. Affrontement et mouvement sont des mots symétriques, et la prose est sans doute la langue mise à disposition des verbes. Est-ce qu’on choisit son lieu d’écriture ? C’est elle qui vous l’assigne. Pour moi, il est resté dans ce fracas de verbe. Lecteur, c’est pourtant de l’autre côté, dans l’écriture comme expérience, ce qu’on nomme poésie, que je prends indication et ce mot ici central, énergie. Je ne le vis pas comme résignation ou manque, j’y ai la vieille fraternité des tordeurs de fresque, des musculeux de la langue. Mais dans ce mot interne, Charles Juliet désigne une frontière : comment tendre suffisamment pour qu’elle tremble ? Le mot éveil.

 

Il faut, n’est-ce pas, que vous viviez à l’écart, préserviez votre solitude ?
La timidité à envoyer ces mots vers l’œuvre de Charles, la fraternité même qui intimide. Ce qu’il nous offre en rencontre : générosité du silence.

 

 Les phrases en incise de chaque fragment sont extraites des questions de Charles Juliet à Fabienne Verdier, dans Entretien avec Fabienne Verdier, Albin-Michel, 2007.
 à écouter : sur remue.net, Charles Juliet lit deux textes...


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1ère mise en ligne et dernière modification le 21 mars 2008
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