William Faulkner | J’entre dans ces livres comme on entre dans une pièce...

"j’ai pris tout ce qu’il me fallait partout où je pouvais le trouver"


En 1957-1958, William Faulkner est invité à l’université de Virginie. Il prononce des conférences, mais surtout rencontre les étudiants lors de multiples séances de questions réponses. Ces entretiens sont traduits chez Gallimard en 1964 (et désormais un gibier de bouquiniste)...

En tout cas, cela fait des années que ce livre est dans ce rayon très restreint de la bibliothèque, celui des livres pour écrire. Et recommandé cette année encore aux étudiants québécois, sur fond de cette question évoqué lundi dernier : de l’américanité, et de l’héritage européen des livres (plus la petit enquête sur les souvenirs Dickens, qui n’est pas un auteur jeunesse !)...

À vous de retrouver les questions, je ne copie que quelques réponses. Mais qu’on aille voir la dernière, à propos de ses lectures. Et ce ne serait pas une indication majeure ?

Voir aussi sur Tiers Livre : Faulkner en vendéen (à propos de Lumière d’août, et à propos du Faulkner de Pierre Bergounioux.

Photo : William Faulkner, 1954.

 

William Faulkner | Faulkner à l’université (extraits)


 

Non, un écrivain n’a pas à établir consciemment une analogie quelconque avec quoi que ce soit, parce qu’il vole, dérobe quelque chose à tout ce qu’il a lu, vu ou écrit. J’ai simplement écrit un tour de force et, comme fait tout écrivain, j’ai pris tout ce qu’il me fallait partout où je pouvais le trouver, sans aucun remords et sans avoir le sentiment de violer aucune morale ou de choquer les sentiments de quiconque, parce qu’un écrivain sent que ceux qui le suivront auront parfaitement le droit d’employer tous les trucs qu’il a appris, tous les arguments qu’il a employés...

 


Ecrire est un travail où l’on est seul... c’est-à-dire que personne ne peut vous aider, mais on n’a rien d’un solitaire. Je suis toujours trop occupé, trop immergé dans ce que je fais, soit que cela me passionne, soit que cela m’amuse, pour avoir le temps de me demander si je me sens solitaire ou non, c’est simplement un travail d’homme seul. Je crois qu’il y a une différence entre s’isoler et la solitude.

 


Je dirais que l’écrivain a trois sources : l’imagination, l’observation, l’expérience. Lui-même ne sait pas ce qu’il prendra à chacune et à quel moment, parce que chacune de ces sources ne sont pas elles-mêmes très importantes pour lui. Il peint des êtres humains et emploie ses matériaux en les prenant à ces trois sources comme le charpentier va dans son cabinet de débarras pour y prendre une planche qui doit faire l’affaire pour un coin de sa maison. Naturellement, tout auteur, pour commencer, écrit sa propre autobiographie, parce qu’il a découvert le monde et qu’il a découvert que le monde est assez important, assez émouvant, assez tragique pour le mettre sur le papier, en musique, ou sur une toile, et qu’à ce moment tout ce qu’il sait, c’est ce qui lui est arrivé à lui-même, parce qu’il n’a pas assez développé ses facultés de perception pour tirer des conclusions, pour pénétrer dans l’âme des individus. Sa seule connaissance du cœur humain c’est celle de son propre cœur et c’est dont une biographie, parce que c’est le seul étalon dont il puisse se servir, son expérience personnelle. A mesure qu’il vieillit et qu’il travaille davantage, son imagination est comme ses muscles, elle s’améliore par l’exercice. Son imagination se développe, son observation devient plus aiguë à mesure qu’il vieillit et qu’il écrit, de sorte que, lorsqu’il arrive à son apogée, à ses meilleures années, quand son œuvre est ce qu’il a fait de mieux, lui-même n’en sait rien et n’a pas le temps de s’en soucier et vraiment se moque pas mal de savoir à quelle source, parmi les trois, il a emprunté. Il peint des êtres, il décrit les aspirations, les ennuis, les angoisses, le courage, la lâcheté, la bassesse et la gloire de l’homme, du cœur humain.

 


Non, cela m’a paru simplement la meilleure manière de raconter cette histoire. Ce n’est pas un changement délibéré de style. Je ne... Je pense qu’un écrivain qui a beaucoup de ... qui le pousse à s’exprimer, n’a pas le temps de s’occuper du style. S’il aime simplement écrire et n’a rien qui le pousse intérieurement, alors il peut devenir un styliste, mais ceux qui sont intérieurement, violemment poussés à sortir ce qu’ils ont à dire n’ont pas le temps et ne peuvent être que maladroits et lourds, comme Balzac par exemple.

 


Je pense que la meilleure façon de lire... non, je ne peux pas dire la meilleure façon, c’est ma façon à moi de lire : je prends le livre et je peux dire, après avoir lu deux ou trois pages, si je désire lire le livre en entier. Si ce n’est pas le cas, je le pose et j’en prends un autre. Je dirai que pour mes livres il faut prendre la même manière et de lire une page ou deux jusqu’à ce que vous en trouviez une qui vous donne envie d’en lire une autre.

 


Oh, je ne crois pas que l’écrivain trouve la paix. S’il la trouvait, il cesserait d’écrire. Peut-être que l’homme est incapable de trouver la paix. C’est peut-être ce qui différencie l’homme du végétal. Et peut-être le végétal lui-même ne trouve pas la paix. Peut-être n’existe-t-il rien qui ressemble à la paix et que c’est un état négatif.

 


Les écrivains... je me demande si un écrivain a jamais une conversation intéressante avec un autre écrivain. Je veux dire par là que l’écrivain, à moins d’avoir épuisé ses idées, est trop occupé à essayer de dire ce que son démon le pousse à dire, avant de mourir, pour avoir le temps de causer boutique avec un autre écrivain, et alors ils parlent de la condition humaine, et cela n’a aucune importance que deux écrivains parlent de la condition humaine ou deux artisans ou deux hommes de loi ou deux médecins. En réalité, un écrivain n’a presque rien de commun avec un autre écrivain. Il... il est simplement poussé par le même démon.

 


Je suis complètement désordonné. Je n’ai jamais appris à accrocher quelque chose ou à remettre quelque chose là où je l’avais pris. Ainsi je travaille... eh bien, comme dit l’athlète, quand je suis échauffé. Et je n’aime pas travailler, de nature je suis paresseux. Je remets à plus tard tant que je peux, et puis, quand je commence, c’est un divertissement. Je pense que la raison pour laquelle on écrit, c’est parce que c’est un divertissement, que vous aimez ça, c’est votre tasse de thé. C’est pourquoi j’écris jusqu’à ce que je décide de m’arrêter, parce que la seule règle que je suive en écrivant, c’est de laisser ça pendant que je suis encore échauffé, afin de pouvoir recommencer le lendemain. Mais je n’ai jamais eu d’ordre. Certains écrivains ont de l’ordre : ils bâtissent d’abord une intrigue ou un plan, ils prennent des notes, ce qui est une bonne chose et les satisfait, mais pas moi. Je serais complètement perdu. Probablement que si je prenais des notes, je me dirais : eh bien, ça suffit, je n’ai plus besoin de travailler, et je laisserais ça là. Ainsi je remets le travail à plus tard aussi longtemps que je le peux et je fais autant de recherches et prends autant de notes que je peux là-dedans [nota : il montre sa tête], c’est ensuite que je commence à écrire.

 


Je pense que l’écrivain est trop occupé à essayé de créer des personnages de chair et de sang, qui tiennent debout et projettent une ombre, pour avoir le temps de se rendre compte des symboles qu’il met dans son œuvre ou de ceux que les lecteurs peuvent y découvrir. S’il avait le temps de... c’est-à-dire que si un individu pouvait peindre un personnage authentique, croyable, fait de chair et de sang et en même temps délivrer un message, peut-être le pourrait-il, mais je crois qu’aucun écrivain n’est capable des deux à la fois, je crois qu’il faut qu’il choisisse l’un des deux : ou il délivre un message, ou il essaie de créer des êtres humains de chair et de sang, vivants, souffrants, angoissés.

 


Je lis Don Quichotte tous les ans. Je lis l’Ancien Testament. Je lis un peu de Dickens tous les ans, et j’ai un Shakespeare de poche que je porte avec moi, Conrad, Moby Dick, Tchékhov, Madame Bovary, quelques romans de Balzac, et presque tous les ans Tolstoï. La plupart des Français du XIXème siècle, je m’en impose la lecture chaque année. J’en compte à peu près cinquante que je lis... j’entre dans ces livres comme on entre dans une pièce pour y trouver de vieux amis, j’ouvre le livre par le milieu et j’en lis quelques pages et je crois que, tous les dix ans, je les ai tous relus.


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1ère mise en ligne 29 mai 2005 et dernière modification le 15 juillet 2013
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