Jean-Marie Graas | Oh la mer

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l’auteur

Je suis né à Ougrée (Seraing) en 1956, je vis et travaille à Liège. Après des études de psychologie à Leuven, d’arts plastiques à Liège, et un service civil à Bozar Bruxelles, j’ai travaillé en psychiatrie pendant une trentaine d’années dans un « Centre thérapeutique à activités structurées », notamment en y animant des ateliers Peinture, Dessin et Carnets de bords. J’ai eu l’occasion, au sein de différents collectifs, de participer à la publication de quelques textes et catalogues aux éditions de La Lettre volée et Lamiroy (Bruxelles), aux éditions de la Province et du Club André Baillon (Liège) et chez Tiers Livre Éditeur (François Bon).Je consacre désormais davantage de temps à l’écriture…

le texte

Que chaque texte et chaque image puissent se lire et se voir indépendamment les uns des autres tout en essayant aussi de créer des liens entre eux (à partir de l’eau, des rivières, du Parc, des arbres, de la cuisine, du quotidien, des accidents…) ; ce qui permettra à ce travail d’encore évoluer sans pour autant être certain que cela devienne un livre…

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 sommaire novembre 2021.

Été pluvieux

Le vacarme des hélicoptères et des sirènes des services de secours, la puanteur mélange de putréfaction de merde et de mazout ont disparu, tout au moins à l’intérieur de la cité, restent les va-et-vient des charrois de tracteurs agricoles industriels reconvertis en semi-remorques tout-terrain qui traversent la ville d’une périphérie à l’autre pour charger et décharger des tonnes et des tonnes de détritus et de déchets, à ne plus savoir qu’en faire, où les stocker, comment les trier, ces aller-retour permanents rappelant à bon escient que tout ce que nous possédons peut être réduit à néant en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire.

Il y a la froideur des chiffres, même s’ils varient, 40 morts, 1 disparu dont on dit que le corps pourrait tout aussi bien être retrouvé à Liège, à Maastricht, voire dans la Mer du Nord, des milliers de maisons inhabitables, 14 000 familles sans gaz, pas avant l’hiver, 2 péniches coulées près du port des yachts, obstruant la moitié du couloir de navigation sur une zone délimitée par d’énormes bouées jaunes, empêchant à cet endroit et pour un certain temps le croisement des gros tonnages, 1 vache sur le Pont de Fragnée, 1 veau (le sien ?) dans le bien-nommé Parc de la Boverie devenu piscine arborée, mais ne faudrait-il pas revenir à sa première appellation de Jardin d’Acclimatation, ne sommes-nous pas devenus exotiques à nous-mêmes, quelles nouvelles accoutumances nous faudra-t-il inventer s’il en est encore temps, 8 ponts inutilisables dans les vallées de l’Ourthe et de la Vesdre, le tunnel sous-Cointe toujours hors service transformant toutes les heures du jour en heure de pointe, 40 000 voitures déclassées, des centaines et des centaines de potagers, prairies, terrains de sport contaminés pour des années, 150 000 tonnes de déchets, 1 500 000 000 d’euros (estimation basse) de dommages à indemniser par les sociétés d’assurances…

Puis la vie a repris son cours de long fleuve intranquille, ainsi le weekend dernier une bagarre entre deux consommateurs a éclaté sur la terrasse d’un café africain du quai de la Batte, un des deux protagonistes finissant par chuter dans le fleuve, une troisième personne voulant lui porter secours a plongé mais elle a, elle aussi, disparu, leurs deux corps sans vie ont été retrouvés le lendemain quai des Tanneurs, sur l’autre rive ; le surlendemain deux ouvriers qui travaillaient sur le chantier de l’écluse d’Ampsin-Neuville sont tombés à l’eau, pour une raison inconnue, si le plus jeune a pu être secouru, le plus âgé, 63 ans, à deux mois de la retraite, a été retrouvé noyé, 48 heures plus tard, à Amay.

Que s’est-il exactement passé la semaine du 14 juillet, pas d’orage, pas un éclair, pas un coup de tonnerre, mais trois jours de pluie droite, drue et continue, davantage que ce que les prévisions les plus pessimistes avaient imaginé, l’équivalant pluviométrique de deux mois d’été concentré en 72 heures, les surfaces de sols encore capables d’absorber saturant les eaux ruisselant dévalant vers les rues et les rus devenant torrents les rivières débordant sur les quais inondant d’abord les caves, à cela s’ajoutant, dans la nuit du mercredi au jeudi, selon de nombreux témoins, deux tsunamis, vers 2h30 et 3h30 du matin, il faudrait plutôt parler ici de deux vagues scélérates correspondant apparemment à deux lâchers d’eau successifs du barrage d’Eupen réservoir d’eau potable devenant paradoxalement instrument de mort et de désolation ravageant toute la vallée de la Vesdre sur son passage, n’aurait-il pas fallu faire des vidanges préventives dès le lundi, a-t-on voulu protéger la métropole en sacrifiant les vallées périphériques, une commission parlementaire devra répondre à ces questions mais jusqu’à présent aucun institut d’enquête n’a réagi à l’appel d’offre du gouvernement.
Une conséquence inattendue de ces inondations risque bien d’être la prolifération d’une plante invasive rhizomique : la Renouée du Japon, plutôt jolie avec de grandes feuilles vertes pointues et des plumets chargés de petites fleurs blanches, deux mètres de haut, si pas davantage. Il faudra y être attentif et intervenir autant que faire se pourra.

Renouer avec le Japon, pays de toutes les catastrophes, dont on percevait confusément qu’il avait été notre ennemi, mais dont la culture, au-delà des conflits du vingtième siècle, méritait d’être mieux connue. Chez Le Livre aux trésors, librairie bien appréciée de la place, on est tombé par hasard dans le grand bazar du rayon Beaux-Arts, sur un dictionnaire japonais de combinaisons (348) de couleurs, l’auteur en étant Sanzo Wada, artiste avant-gardiste né à l’heure en 1883 et mort dans les temps en 1967. Même si notre ancien directeur, aujourd’hui décédé, estimait qu’étudier un dictionnaire n’était pas nécessairement le signe d’une bonne santé mentale, on se plonge volontiers et avec apaisement, en ces temps de pluie et de confinement, dans ce livre sans mots, on en reste sans voix, mais pas sans gestes.

Péniches obsessions

Les deux péniches DOVE et QUINTUS QUARTET qui, n’ayant pas résisté à la force du courant, avaient coulé le vendredi 16 juillet à côté du port des yachts, ont pu être renflouées le mardi 31 août grâce à une énorme grue sur barge venue tout exprès de Rotterdam. Elles pourront ainsi rejoindre bientôt l’armada déjà constituée au gré de promenades le long du fleuve. Au cas où vous souhaiteriez organiser un défilé, nous vous conseillons une distance de sécurité de trente-trois caïmans entre deux chalands, pour rappel, sur autoroute, elle est de trois crocodiles entre deux automobiles, (on peut compter à voix basse) , on n’arrête pas une péniche comme une voiture. Quoiqu’il en soit, nous avons l’insigne honneur de vous présenter :

SPERA / SPES MEA / MIRA VITA / MIRA AXIOMA / ALTAMIRA / ANTARTICA / ARIZONA / AVALONA / VENEZUELA / LUALABA / HIROSHIMA / EUROPEO / GENO / MALMÖ / COPENHAGEN / BIBERACH / ZUGERSEE / SCHELDE STAD / WELLAND / SELAVMI / POSSIDI / PEN HOET / SOLENTE / HALLAY / RIVAL / LITTORAL / MISTRAL / PARSIFAL / MAGELLAAN / PAYS DE LIÈGE / TCHANTCHÈS / HELLBOY / MOSAN / SATANAS / SAINTE RITA / SERENITAS / ASANA / BARAKA / BANCO / LA LIBERTÉ / GLADIATOR / ZWAANTJE / KANAAL 69 / VERBROEDERS / VOLENDAM / LABE 26 / SAMOREUS / FIDUCIE / EXPANDED / DRIVING 2 / DISCOVERY / MGM / FLUVIUS / SKYLINE / TURQUOISE / STRANGER / YANKEE / FIGHTER / CHEYENNE / VAYA CON DIOS / CON AMORE / CONFORZA / COMUS / NEPTUNIA 44 / MERCURE / NAUSICAA / POSEIDON / PEGASUS / SALAMBO / ALENA / MARIA B. / LAURA / GWENDOLINA / ISELLA / ILINA / LAETITIA / LIA / ROSALIA /

ADRIANA / WILLINA / SABRINA / DORIA / GEMMA / JOHANNA / CATHY / GABY / NICKY / FLORENCE / PAULINE / JENNIFER 2 / LUCIENNE D. / CHRIS LI / GUNTER DEMANI / HENDRICUS / QUINTUS QUARTET / SEBA / MAARTJE / MARTCILINO / MATTHIAS OELRICH / ZEBULON / AMBIORIX / GWENN / LAMBADA / ZONGA / EL PASO / CALYPSO / CORSO / CURSOR / CORYLOPHIDA / INCA / TAMARIN / ALPINIST / BIG BEN / BEN D’OR / DOVE / LAGO / VIRGO / BRAVA / SANCTA MARIA / STELLA MARIS / POOLSTER / TYCHO / ISTAR / CALISTERA / DUO / DOLFIJN / FLIPPER / AQUARIUS / NARWALL / TAURUS / LI TORÈ / JAGUAR / CHARLES-EUGÈNE / CHARLOTTE / DUCHESSE / CHÂTEAU LAFITE / LACOSTE / LINDELO / SESANDA / ULEKRITE / QUDAJO / JOPA / MI-VIDA / CUTTY SARK / FACTOTUM / SPERANZA / NADA / SEMPER AVANTI / ALEA JACTA EST / KEDYS / KENAVO

Oh la mer

Au plus vite sans court-circuit juste quelques bulles ou serait-ce la digestion d’une carpe muette profitant du jour comme il vient attendant le meilleur dans son court-bouillon.

Deux hérons pieds dans l’eau décollent lourdement la rétine suit le virage large le rase-mottes le rase-remous leurs reflets flous sur la surface fragments mouvants d’idéogrammes chinois.

Le fleuve et la dérive-rivière réunis dans la largeur dans leurs largeurs par-delà le ponton mitoyen leur confluence obligée élargie par les circonstances atmosphériques.

Oh la mer dira un enfant.

 



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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 octobre 2021.
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