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Les archives en guise de mesure du temps.

Anciennes, elles seront de papiers, de carnets, de pochettes, d’enveloppes, de livres, de livrets, d’opuscules, de revues, elles auront leur place dans un placard qu’on n’ouvre pas, en piles irrégulières sur des étagères qu’on se contente de regarder. Leur surface, leur volume définissent la cartographie de nos écritures, le dépôt séché du flux d’écriture. L’encre sur le papier s’efface tranquillement, mais plus lentement que nous, elle pâlit simplement. Les archives papier, anciennes, seront jetées, ou lues avant d’être jetées. Parfois, j’y pense.
Il y a cet auteur majeur de la poésie contemporaine, qui — sans en avertir ses enfants — a donné l’ensemble de ses originaux et travaux à différents fonds d’archives littéraires et sonores, et travaille depuis avec les archivistes au classement et à la conservation de son œuvre. Un grand courage, celui d’organiser sa disparition en manipulant tout ce qui en a fait la matérialité.

Une archive est donc une mise en ordre de jalons d’un présent aboli, un rappel des débuts et des continuités, une suite d’en-cours d’un temps qu’ils ressuscitent, les traces de fécondités ou d’éclats d’espoirs. On y aura indiqué — parfois après coup — des dates, des années, on n’y reviendra pas, mais elles comptent d’avoir compté. Les notes les ponctuent, des traces de lectures ultérieures, des sommes qui pèsent entre nos mains.

Dématérialisées, électroniques, enregistrées sur des disques durs, dans des dossiers de codes simples, rangées dans des espaces matériels, mais intangibles, elles occupent une place en perpétuel agrandissement. Dans des bases de données, l’archive de ses vingt dernières années a muté, variant dont on ne mesure pas encore les effets. De quoi seront faites les correspondances, les premiers jets, les prémices, les brouillons, quand tout cela sera l’objet de recherches ? Le travail minutieux à décrypter des écritures en frange d’invisibles sera remplacé par une patience de geek à faire revenir à la vie des supports obsolètes, des électroniques muettes, à passer des accords avec les héritiers pour explorer des nuages de données, dilués dans d’autres plus larges, ou officiellement fermés.

Enfin pour terminer cette rêverie, je ne peux m’empêcher de ressentir devant l’archive d’écriture électronique une expérience d’ubiquité : elle garde son potentiel de nouveauté, et elle apparaît quand on la convoque, comme le ferait un fichier de la veille : les signes, les polices peuvent — résultant des mêmes choix — avoir une parenté étrange avec le travail le plus récent. L’inverse du phénomène ressenti face à des archives d’images animées ou de voix, qui inscrivent si vite les signes du passage du temps. Contrairement au papier qui marque une époque, le carnet rouge, les notes d’Espagne, le document électronique est une autre approche du temps, l’expérience d’un temps de surface et non plus un temps de modèle linéaire.

Les archivistes tentent de nous le dire : la pensée de l’archive devrait commencer avant la première page du travail. Certaines, certains le font, d’autres non. D’autres un peu, pendant un projet et puis manquent le prochain départ, d’autres encore mêlent les supports et s’emmêlent dans les hiérarchies. Le rapport à l’archive est comme toute chose du temps, un rapport complexe, varié, empreint parfois de morale ou même de jugement. Marquer le temps prend du temps, quand sa devise est J’ai pas le temps, celui de l’archive est souvent celui d’un soupir.

entrée proposée par Catherine Serre

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entrée proposée par FB


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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 avril 2021.
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