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photographie


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Pratique quasi quotidienne. Le souvenir des images — elles restent pour la plupart enfermée dans l’écran, accompagne et nourrit l’écriture quotidienne. Cette réserve d’image n’est jamais abordée de manière volontariste. C’est à rebours de l’écriture que je comprends leur importance dans l’élaboration du texte.

entrée proposée par Nathalie Holt

2

La photographie a toujours fait partie de mon environnement le plus proche : stéréotypes chez les grands-parents, et leurs boîtes de visionnage, pratiques photographiques du grand-père paternel, ses anciens Kodak à soufflet, la Retinette du père. Très brève expérience de labo photo en seconde, au Foyer des jeunes de Civray, laissant empreinte profonde, mais pas au point d’en continuer la pratique. En 1978, lors des trois mois chez Tupolev à Moscou, dans l’obligation de dépenser des roubles non convertibles, j’achète un réflex Zenith (fabrication Allemagne de l’Est), shoote une pellicule que je ne ferai jamais développer, et donne l’appareil au retour. Dès publication de mon premier livre, collaboration régulière avec des photographes, mais justement : chacun son rôle. C’est Internet qui m’amène à la photo pour les besoins du site, premier minuscule et sommaire appareil numérique acheté fin 2002. Dans ces 20 ans, en changeant progressivement de boîtier, j’accumule plus de 100 000 images, qui me servent de base de travail permanente. En 2017 et 2018, donnant priorité à la vidéo, j’arrête complètement la photo, quel idiot : il m’aurait suffi d’un deuxième appareil. Cette distension photo et vidéo je ne l’ai toujours pas résolue. Je considère la vidéo comme une écriture du réel, au même titre que l’écriture littéraire, mais la photo m’a toujours semblé une fin en soi, auto-suffisante, excluant le texte alors redondant, même si dans mon journal images je continue de les associer. En ce sens, la photo ne documente pas : je photographie par séries, je ne sors l’appareil que si le sujet devant moi, tracteur, camion, paysage, portrait, m’autorise la série, et c’est la série qui constitue la narrativité propre à l’image. Ça va jusqu’à la sensation, d’avoir refusé si longtemps la pratique de la photographie, que c’était pour ne pas y sombrer, en tournant donc le dos au texte. Mais le numérique a levé l’obstacle principal : le labo, la technique. FinalCut (vidéo) est un logiciel d’écriture, Lightroom (photo) un logiciel d’images, mais les trois, écriture, vidéo, photo, se rejoignent en temps que représentation mentale avec effet de réel induite par une somme éditée de code. Quand je photographie, désormais, je vois le code et non le sujet-objet de l’image : d’ailleurs, c’est bien pour le voir malgré mes yeux, si réel et tangible qu’il soit, que j’en appelle à la photographie.

entrée proposée par FB

3

Dans une grande chambre, éclairée au rouge, les visages vieillis des derniers poilus vivants baignent dans des bacs, images révélées, mais non fixées. Un flash de lumière blanche et tous les visages se surexposent avant de s’effacer. C’est une installation d’Alan Fletcher que Georges me raconte — Georges n’est pas son nom, mais celui de son chat, croyez-moi sur parole : l’histoire serait trop longue à consigner ici et Georges n’est pas le sujet, mais le narrateur). Cette installation a fait le tour du monde dans les années 90, mais les flashs des appareils photo du public ont eu raison de son principe. Les poilus ont disparu, plutôt deux fois qu’une : corps et visage. Mais pas corps et âme, puisque voilà leur présence fantomatique dans la chambre rouge, leur effacement dans un éclair de lumière, fixés en moi, bien solidement, par l’évocation de Georges. Et je raconte cette histoire, et l’amour vient, à chaque fois, comme l’avait annoncé le Baal Shem Tov. ** Seule une toute petite voix dans cette cacophonie de douleur et de confusion peut dire : ce que j’ai là, comment le fixer ? Comment empêcher que cela disparaisse aussi sûrement que disparaitra le chant des oiseaux de nos oreilles dès que nous serons rendus à notre propre bruit ? Pourrais-je alors en conserver autre chose qu’une photo, comme celle de ce jour de soleil et de cerises dans le jardin de mon ami Bruno, polaroïd pour les nostalgiques des polaroïds, aux couleurs déjà passées dès la prise — nous renvoyons aux jardins de nos enfances dans les années 70, gommant le temps qui passe au profit fixateur d’un instant sans cesse — ?

entrée proposée par Emmanuelle Cordoliani

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Si, comme le dit Michel Butor, la photographie est une fenêtre, je crois que ceux qui s’imaginent écrire le réel avec des vidéos se fourrent, bien profond, le doigt dans l’œil. La photographie peut être révélation, fouille archéologique des écritures, voire support même de l’invention poétique. L’usage de la vidéo, son éventuelle et désormais facile synchronisation de l’image et du son, parce qu’il enregistre une durée peut donner l’illusion, jusqu’au dégoût, d’une réalité décrite, voire écrite alors même que le flux des vidéos devient le plus efficace des moyens de faire disparaître la diversité des réalités dans l’abondance déferlante de la diffusion de ces enregistrements. N’est-ce pas ce qu’il se passe quand la télévision prend la place de la vision ? Quand, comme le souligne Umberto Eco, le nombril de la néo-TV remplace la fenêtre sur le monde de l’archéo-TV ? Quand la recherche et le portrait de l’Autre sont effacés par les selfies et la mise en scène de soi ?

entrée proposée par Ugo Pandolfi

5

La femme assise sur les marches de bois avec ses nattes et sa couverture sur les épaules. La femme de ce cliché de 1920 ou 1921… C’est ton arrière-arrière grand mère t’avait-on dit. Quel âge a-t-elle sur cette image ? Sans doute près de 70 ans. C’est en Floride. Ce pourrait-être quelques mois après la naissance de ton père. C’est la grand mère de ton père ; celle qui fut enlevée par des indiens et qui grandit auprès d’eux. Celle qui buvait du pétrole disait la légende. Une Irlandaise, une O’hara, apprendras-tu plus tard. La femme assise sur les marches de bois. La femme du perron. (tu penses à la femme en crinoline assise sur les marches de pierres, celle qui n’a pas de visage - juste une tache blanche – ce portrait de la mère de Baudelaire . C’est cette photographie qui te fait t’embarquer un matin, au havre dans la brume. C’est cette image que tu ne regardes même plus — elle doit être dans un carton à la cave, que tu as presqu’oubliée qui te fait écrire ce matin là. C’est l’image d’où s’origine le récit fiction qui portera d’abord le nom imaginaire de la femme du perron : Danish-Red-Skin… celle qui est assise sur les marches de bois. C’est la photographie d’un groupe d’hommes — leurs yeux et leurs joues sont des trous. C’est cette photographie qu’il avait toujours dans sa mallette de dessin. Cette image que tu as regardée un nombre incalculable de fois. Cherchant à voir derrière l’ombre des yeux. C’est cette image qui se superpose à l’image de la femme assise sur les marches de bois. Ce sont elles…

entrée proposée par Nathalie Holt

6

Ce qui relierait l’image photographique à l’écriture, et si c’était le prisme des durées ? Il y a eu l’Instant T de Cartier-Bresson, longtemps on s’est imaginé ou on a simplifié en se faisant croire que l’image n’avait pas de durée. Pourtant, Baudelaire et Rimbaud quand ils posent pour Carjat, ils doivent bien garder la pose cinquante secondes ou deux minutes, et c’est ce qui crée la tension de la photographie. Dans la photographie de Jeanne Duval par Nadar, la légende veut que l’ombre fantôme derrière le rideau ce soit Baudelaire, entré puis ressorti aussitôt s’apercevant que ce n’était pas le moment, comme ces voitures enfuies dans les flous des sténopés. C’est le film qui nous a réappris la durée des images : une entrée de métro filmée au 10 000ème de secondes, et tous les corps seront des statues. Selon qu’on filme à 24, 30 ou 50 images/secondes, on règle l’obturateur pour que chaque exposition dure exactement la moitié de l’image : un film est pour moitié fait des images absentes, que la reconstruction mentale ignore. On s’est éduqué à ne plus considérer la photographie comme instantanée, mais construction de durée, les rafales dans la photographie sportive, les 16 images successives (recopie de l’avant-déclenchement pour les 8 premières, et l’après-déclenchement pour les 8 suivantes) qui nous donneront l’illusion, une fois réassemblées que l’iPhone voit clair, malgré son capteur comme une moitié d’ongle, ou la pause presque infinie des photographies d’étoiles. C’est ce que ça induit pour le récit qui nous concerne : le temps photographique est celui du voyage, de la marche, de la préparation du matériel, de l’anticipation mentale de l’image, du geste qui va autoriser le déclenchement (qu’il y ait visée ou pas, comme pour les villes de Daīdo Moriyama, que l’appareil soit fixe ou mobile, comme au bout du bras de William Klein), puis le transfert ou le scan, puis le temps logiciel de préparation d’image, et l’idée aussi que la captation brute, même en RAW, est un algorithme et pas une image : le temps photographique est la superposition de tous ces niveaux de temps chacun à échelle différente. Et si la relation du récit à ce qu’il représente participait du même prisme, d’un arrêt de réel à l’accompagnement continu de réel ?

entrée proposée par FB

7

Matériau précieux enclos dans un album, une boîte en carton, une malle remisée à la cave ou au grenier. Matériau qu’on va chercher au moment opportun parce qu’on se souvient avoir déjà vu quelque part cette image noir et blanc de l’arrière-grand-tante le jour de ses noces ou du père dans les bras de sa mère (non, impossible puisqu’il l’avait perdue deux mois après sa naissance, alors tout seul assis par terre devant la ferme, ou en compagnie de sa cousine qui avait quelques années de plus que lui) et parce qu’on a besoin d’examiner ça de plus près. Ou bien matériau qui resurgit au hasard d’une fouille, d’un déménagement alors qu’on ne s’y attend pas. Matériau de papier impressionné. Matériau capable de livrer quantité de détails, enfin plus ou moins selon la qualité de la prise de vue et du grain : silhouette, posture, coupe de cheveux, facture des vêtements, force du regard ou façon de joindre les mains, le genre d’éléments si délicats qu’on peut mesurer soudain le temps enfui et qu’on peut parfois reconstituer la pensée des personnages sur la photo qui ont succombé à l’âge ou à la maladie, et façonner ainsi le roman. L’écriture ne peut s’en passer. Elle ne peut se passer de ces clichés anciens plus ou moins sépia dont on a hérités et qu’on a mis de côté quelque part, qui, ravivant le mystère de notre origine, nous prennent au cœur.

entrée proposée par Françoise Renaud

8

Photographie : certaines comme réservoirs romanesques, embrayages d’imaginaires. Le cerveau alors à s’échauffer, à s’emballer. Après quelques embardées sur la page, tu réalises que plus que son écriture, c’est la possibilité de l’histoire qui t’importe. Une photo, tu te la prends pleine face avec le tout qu’elle est. Un texte, dans ta tête, il entrecroise ses lignes de mots avec tes souvenirs pour la tisser progressivement, l’image.

entrée proposée par Jérôme Cé


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1ère mise en ligne 11 avril 2021 et dernière modification le 11 mai 2021.
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