le roman de Lamya Ygarmaten

–> AUSSI DANS CETTE RUBRIQUE
Enseigne les Lettres modernes aux indigènes et le français aux nouveaux-venus, dans des lycées, écrit des chroniques de lectures sur ikosiumestuneile.blogspot, et maintenant les dit sur youtube (Ya Lam).

1. ce fut l’apparition


proposition de départ

Ce jour-là, Ameur l’a vue. Il ne l’avait jamais vue encore. Il se tient pourtant assis au même moment de la journée, au même endroit du parc, sur ce petit muret, ou plutôt ce qu’il reste de muret, qui se trouve heureusement là, comme s’il avait été mis là un jour exprès, construit de telle façon qu’il puisse s’effriter, mais pas trop, pour que puissent s’asseoir Ameur et ses amis, tous les jours à partir de 16 heures, une fois que le soleil se fait moins fort, une assise parfaite pour accueillir leurs bavardages, leurs plaisanteries, et un point de vue parfait pour voir et ne rien rater de tout ce qui a lieu dans ce parc de centre-ville. Ce petit muret, comme le canapé-lit contre le mur de sa chambre comptait parmi ses lieux de vieillesse, là où il se laisse vieillir doucement, ses habitudes lui offrant un apaisement, un confort ouaté, pour oublier la peur de la mort qui approche. Alors il est aux aguets de la moindre chose qui pourrait l’ébranler. C’est pour cela qu’il l’a immédiatement vue entrant dans le parc, hésiter se demandant s’il fallait tirer ou pousser le petit portillon, gênée déjà de ne pas savoir, se sentant bête de ne pas pouvoir ouvrir d’un coup, sans se poser mille questions, il a vu ses yeux qui regardaient de toutes parts, craintifs de tomber sur un visage. Elle remontait son pantalon qui ne tenait pas, ses bourrelets n’y rentraient pas et la ceinture, de façon contre-intuitive, peinait à s’y agripper ; c’est ce qu’Ameur a vu en premier ; ses mouvements gauches et enfantins, essayant de tirer sur la ceinture du pantalon pour le remonter, et se dandiner un peu pour essayer de s’y engouffrer. Elle n’était pas à sa place ici. Elle n’était à sa place nulle part. Son corps, trop gros, le monde trop étroit, son pantalon et ce square trop petits. Il faudrait qu’elle mange moins la gamine. Mais bon, il ne connait que très bien l’appel du sucre, depuis son diabète tardif, c’est compliqué pour lui aussi. Il n’a jamais eu de problèmes de poids lui, avant. C’était le plus beau du quartier. Il était même connu dans toute la ville, à l’époque où il travaillait comme receveur, les bus et les tramways de sa ligne ne désemplissaient pas des jeunes femmes, qui faisaient parfois des détours, ajoutaient une correspondance, simplement pour le plaisir de voir son regard souriant, sous sa casquette fière. Il a connu sa femme comme ça d’ailleurs. Leur couple interrogeait, lui grand et beau, elle petite et rondelette, peut-être que c’est pour cela que maintenant, il était autant concentré sur cette passante, elle lui rappelait en quelque sorte sa femme, par ses rondeurs, mais sa femme était solaire et rigolote, celle-ci qui venait d’arriver apportait avec elle la pénombre et le malheur sur son dos vouté.

Codicille : Le personnage qui entre dans le square est une femme sur laquelle je veux écrire depuis des années (fictive), ici c’est à travers les yeux de mon grand-père que j’ai essayé de la voir (réel).

 



Tiers Livre Éditeur, la revue – mentions légales.
Droits & copyrights réservés à l'auteur du texte, qui reste libre en permanence de son éventuel retrait.
1ère mise en ligne et dernière modification le 20 juillet 2020.
Cette page a reçu 220 visites hors robots et flux (compteur à 1 minute).