le roman d’Antoine Hégaire

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Profession : libraire
Né à Paris-Ville en 1967.

19 & 20. On y va !


Hier mercredi 19.02.20. Après plusieurs échanges de courriels et un échange téléphonique, j’organisais donc hier cette visite demandée des lieux, en période de congé scolaire, pour que l’école soit vide. Participaient à cette visite-rencontre la victime (il), la directrice de l’école primaire et maternelle, et moi à titre de représentant de l’institution. La Directrice nous fait visiter. Au final c‘est intéressant pour moi, car je ne n’étais jamais venu dans cet établissement et sans doute aussi pour lui puisque les lieux ont changé depuis 1975. Cela apparaît dès notre arrivée. Un grand bâtiment moderne existe désormais sur la rue : il remplace l’ancien bâtiment principal de l’époque. De l’autre côté de la cour, un bâtiment scolaire de couleur bleue date clairement des années soixante-dix. Entre les deux la cour est très grande, sans arbre, en bitume, toute tracée de terrains de sport. Nous avançons vers son milieu. Il s’écarte de notre groupe et marche seul, comme il me l’avait demandé dans un de ses courriels. Il s’éloigne un peu. Il a demandé à revisiter seul. Il marche dans la cour à pas un peu plus lent que la normale. Je crois qu’il cherche des volumes, des espaces. Quand il revient vers nous c’est pour aller vers le bâtiment bleu. Il s’est arrêté pour mieux le regarder, mais il me semble deviner qu’il ferme les yeux. La Directrice lui dit qu’il reconnaît sûrement ce bâtiment du fond, car il a été construit en 1964, mais lui semble ne pas l’entendre. Durant le temps de la rencontre qui suivra la visite il nous expliquera que durant un moment il est tombé en confusion parce qu’il a entendu la directrice lui dire 75, qu’il n’a pas bien entendu 64, et qu’alors 75 cela ne collait pas, car à l’été 75 il était déjà parti, que sûrement la construction d’un bâtiment scolaire devait se faire durant l’été, alors qu’il avait bien quitté l’école en juin 75, et tout cela lui venait à l’esprit alors même que justement il lui semblait reconnaître ce bâtiment bleu, percevoir quelque chose de la forme, de la texture, des céramiques, sur cette façade de couleur bleue, mais bleu turquoise. Il lui a fallu refermer les yeux pour sortir de sa confusion et pour s’autoriser à reconnaître ce turquoise lumineux et sombre. Penser qu’il a toujours pensé cette couleur-là plus belle. Il remarque ensuite une grande salle de cantine, en rez-de-chaussée. Il pense que ce bâtiment était pour les grands, et qu’à la place de la cantine il y avait le gymnase qui était là pour tous. Les petits étaient dans l’ancien bâtiment détruit, mais c’est dans le gymnase bleu des grands, un jour des parents, qu’il se rappelle avoir reçu un livre en prix de fin d’année, prix de camaraderie ou même de gentillesse. Puis il retourne son regard vers nous, vers le nouveau bâtiment, celui qu’on a détruit aussi et nous dit : on y va !

Codicille : j’avais commencé avec un peu de retard en écrivant e semble 1 & 2.

Comme on fait son livre, on se couche sur le papier, voilà donc 19 & 20.

#19 Le journal et d’un autre et d’une autre couleur

#20 à celui qui ferme les yeux mais pour mieux y aller.

15 novembre 2020

18. Dunhill


proposition de départ

Les Michel, mes parents, sont allés prendre le café sur la terrasse de la maison des grands-parents paternels avec tous, avec les deux frères de mon père et presque toutes ses sœurs, mes oncles, mes tantes. Mon grand-père n’est pas là. Il est au Tennis-Club de La Nivelle, au Prix Mellerio. Si vous ne connaissez pas, c’est une compétition de golf. C’est mon grand-père qui donne le prix. Ma Grand-mère est restée à la maison. C’est elle qui apporte qui les cafés et les kanougas de la Maison Pariès. Sur le plateau rond et blanc, les tasses et soucoupes rondes et jaunes, le café foncé, mat, et les Kanougas dans leurs papiers brillants, argent, gris ou doré. Le soleil tape mais la terrasse est à l’ombre sous son petit toit qui avance devant la maison. Les cigarettes sortent des sacs à main en cuir des Maisons Lafargue ou Marguirault. Le truc à mon avis c’est plutôt d’avoir un sac Marguirault quand toutes les autres ont un Lafargue parce qu’un des fils Marguirault a été arrêté. Il faisait partie d’Ipparetarrak. On dit qu’il a plastiqué l’office du tourisme, ou fait sauter une voiture devant l’office du tourisme. Alors si le fils… aussi le père Marguirault qui fait les sacs ? Une de mes tantes est politiquement aux fraises dans la conversation. Elle confond tout, Ipparetarrk Herri Batasuna, l’Euskadi, l’ETA. Elle dit qu’elle a très peur de L’ETNA, en prononçant chaque lettre E T N A. Mais le vrai sujet du café n’est pas dans SUD-OUEST. Le vais sujet c’est l’oncle premier qui le tient, et n’en dit rien. Et mon père, fier et jaloux, perdant sans fin de son droit d’aînesse ne cesse de tourner autour du pot en récitant des choses lues du Figaro. Le vrai sujet c’est que Le Maire de Paris avant-hier a appelé mon oncle premier sur le téléphone de la maison pour lui dépêcher illico un hélico sur l’héliport de Biarritz et aller discuter secrètement avec lui en Corrèze. L’oncle est revenu le soir même et ce qu’ils se sont dit on n’en saura rien. Sur la terrasse ma mère sort ses Peter Styuvesant de son sac Marguirault. Le soleil tape toujours à l’ombre de la terrasse. On parle maintenant de quoi ? De la plage, du baromètre, des uns, des autres. Ma marraine fume des cigarettes dont les paquets sont noirs. Dunhill, c’est le nom du chien de mon oncle, réclame un sucre. Dunhill est un labrador noir. Les labradors sont plus ou moins cons et ce sont les chiens de ceux qui ont du pouvoir. Dunhill grogne. Dunhill. Dunhill grogne contre ma petite sœur qui s’est approché de lui. Il veut son sucre. Ma petite sœur ne veut pas de sucre mais elle est tout près du chien et le chien réclame toujours et grogne aussi. À cinq ans elle n’a pas compris qu’il est mauvais quand il grogne ? Le chien se tourne et lui saute à la gorge, la tombe et lui tient la gorge à la gueule. Ça gueule. Dunhill. Dunhill arrête. Ça se précipite. Le chien se barre au fond du jardin. La tante va le chercher et lui gueule dessus. Ma mère prend ma sœur qui pleure. Pour une fois ma mère est mal. Ça se calme. Mais il est dingue ce chien. C’est rien. Ça va. Elle va bien. Mais ça aurait pu être grave. Mais non. Ça va. C’est rien du tout. Elle n’a presque pas de marque. Et on fait quoi de ça Papa ? Ben rien. Hein. C’est quand même le chien de l’oncle premier. L’éditeur. Celui que Chirac appelle et il rapplique.

Le lendemain, j’y vais, malgré tout, malgré la peur et j’en parle avec lui, l’oncle, l’éditeur, parce ce n’est pas vraiment la première fois, et son chien il est fou. Il me dit Stephane, tu sais dans une famille il y a toujours un taré, c’est comme ça. Et je lui demande et c’est qui dans notre famille ? Et il me dit, c’est toi.

Codicille : c’est histoire vraie. Je l’avais oublié. Elle m’est revenue à chercher, rechercher, ce que je ne voulais pas.

17. ce que je ne veux pas


proposition de départ

Je ne veux pas que ce livre se répète dans le suivant.
Je ne veux pas qu’il construise la légende dont je me nourrirais.
Je ne veux pas qu’il conjugue le verbe vouloir au conditionnel passé.
Je ne veux pas qu’il confonde le conditionnel passé et le futur antérieur.
Je ne veux pas qu’il fonde la confusion à jamais.
Je ne veux pas y revenir.

 

16. il en manque


proposition de départ

1.L’abandon des demeures

C’est eux qui ont racheté les terres, le petit Bois*, et tout le plus gros.

NdT : le petit Bois* est bien ici « Le petit Bois des arbres généalogiques » qu’on retrouve souvent sous d’autres noms dans les mythologies d’Antoine Hégaire. C’est le plus souvent un petit terrain boisé proche de la Maison auquel il est rattaché. C’est parfois une parcelle attenante à la maison prenant alors la forme d’un jardin, d’une terrasse, d’un escalier extérieur ou d’une pièce d’eau. Les liens générationnels se révèlent fréquemment dans ces espaces satellites.

2. Sombres histoires de famille

Sombre histoire*

NdT : On retrouve ce Sombre histoire* en fin de phrase dans plusieurs romans du début du XXI siècle. La Sombre histoire évidemment constitutive du format roman, mais cette expression située en fin de phrase, semblerait être un marqueur de reconnaissance, le commun d’un petit groupe qui fut très proche du groupe d’auteurs et traducteurs dit du Tiers livre.

3. les généalogiques

sa mère*, son père, ses frères, ses sœurs, ses cousins, ses cousines, ses copains, ses copines.

NdT : l’auteur n’a jamais caché une addiction à la lecture à haute-voix des œuvres de Claude Ponti qui est en France à l’égal de notre Maurice Sendak. On trouve ici une quasi-citation tirée de l’album Le bébé bonbon. D’ailleurs sa mère crache sa Valda dans ce texte 3 Quitter Nanterre-Ville. On a vu par ailleurs l’influence de l’album l’Arbre sans fin du même Claude Ponti dans la mise en travail de l’arbre généalogique de greffe maternelle d’Antoine Hégaire.

4. le saut dans l’angoisse

insomnie*

NdT : la traduction de cet exercice 4 m’a empêché de dormir.
Quel vidélire !

5. les traumas du rail

pourquoi il a dit non, pourquoi il a dit oui, et ce qu’il a l’a perdu ici, dans l’intervalle* qui reste, entre le marchepied et le quai de la gare où l’on va.

NdT : Cet intervalle comme une hésitation qui revient sans cesse entre l’importance à donner au train ou à la gare. Le train. Cette voiture 7. La figure du train revient toujours en pleine gueule d’Antoine Hégaire. Miniature, grandeur nature. C’est un objet majeur du texte. 7 fois 77 fois descendre en gare du train, dit-il.

6. les prénoms suicidés

Jean-Loup*

NdT : On sait aujourd’hui que le prénom de Jean-Loup (B) frère de Nicolas (Boulte), et faux cousins germains de sa mère, n’est pas un des nombreux pseudonymes utilisés dans les textes d’Antoine Hégaire.

7. les quatre histoires

Codicilles*

NdT : les 4 sceaux de familles, cristaux de coïncidences sur 4 temps historiques, sont évoqués dans les codicilles rédigés par l’auteur.

14-18 : Les Groult-Deyrolle,

39-45 : Les Jousselin-Charbonneaux,

Mai 68 : Les Boulte.

Années 80 : Nous

8. les photos

photos*

NdT : Le traducteur a pu avoir accès aux photos punaisées par l’auteur sur une grande carte de France Deyrolle conservée aux archives de la Compagnie de Jésus à Vanves. Quelques traits aux marqueurs autour des photos. Ronds. Flèches. Dates. Lieux. Une coupe transversale Calais / Paris / Brou / Saint Léonard de Noblat / Socoa

9. le corps du maître de natation

Monsieur Rosenbaum*

NdT : D’après mes recherche et dans le journal de l’auteur 03/10/2020, une référence à Matthias Grunenwald, Colmar, Saint-Nicolas du Port, Saint-Jean-de-Luz.

10. le saut de Sophie

Arrête ton cinéma*

NdT : Le Carrefour, 4 rue Monsieur le prince. 4ème étage rue de l’Odéon. Sophie B. Romy Schneider.

Codicille : Il en manque. J’ai projeté sur le mur les 10 premiers exercices de l’atelier, comme les fragments d’un roman, des outils dérangés. J’ai imprimé, coupé, scotché. J’ai épinglé dans l’épaisseur des papiers peints. Une carte se dessine, d’autres parcelles en France, des flèches vers l’Est. J’ai rajouté 10 post-it. Il manque encore des lieux. Il manque encore des morts. Je vois avec le post-it 10 qu’il me manque notamment des suicidés qui ont frappés ma vie. SB ici. GF aussi. LM aussi. Est-ce leur angoisse que je porte encore ? Ils manquent.

15. Antar, jamais en retard


proposition de départ

Il travaille à la station-service Antar du quai Boissy d’Anglas à Bougival. Antar, jamais en retard, fait l’ouverture de la station à cinq heures du matin et tient la caisse jusqu’à l’arrivée du gérant et des autres, puis il fait du ménage et du nettoyage jusqu’à dix heures trente. Dans la journée il reste chez lui dans un studio loué au même gérant un rez-de-chaussée, juste derrière, dans le haut de la résidence d’immeubles « La Montgolfière ». Le soir il revient pour fermer Antar à vingt-deux heures. Matin et soir il porte la tenue jaune et noir de la marque Antar. Le gérant de la station Antar l’a embauché pour son prénom ce dont il se vante à chaque réunion de gérance Antar Région île de France. La première fois j’ai cru que c’était une blague. Antar, à demain. Antar n’oublie pas de fermer ce soir. Antar va voir à la cinq. Antar remplissait ma facture de diesel quand j’osais un matin lui demander si c’était vraiment son prénom ou son nom. J’avais toujours trouvé ce type sympathique, pas causant mais très souriant, buriné. À chacun de mes passages, il me souhaitait bon voyage, c’est rare pour un pompiste. Moi forcément au-delà de la coïncidence j’avais pensé que c’était un nom turc, car la consonance m’évoquait Ankara ou Antalya, et à l’époque je démarrais des navettes mensuelles en camion une fois par mois entre le siège de La Française des pétroles à Rueil-Malmaison et le bureau qu’on montait à Ankara. Tout en sortant la TVA de ma facture de diesel, Antar me répondit d’une voix grave mais timide que ce n’était pas turc, mais arabe. Et puis en détachant la facturette, il rajouta après un petit silence, arabe ou Lorrain... près de Nancy. Antar c’est d’Arabie mais je suis né à Toul. À l’instant le gérant rentra et Antar se tut. En m’éloignant du comptoir je lui ai juste dit, Nicolas, en ouvrant les mains pour me désigner tout en le saluant.

De 1973 à 1975 les écluses de Bougival seront toujours mon point de départ. Je sais pourquoi. Je quitte Nanterre en vélo, je prends le camion en charge à Rueil, un des derniers SAVIEM-RENAULT, bleu comme la mer, je longe un peu la Seine sur la nationale 13, et m’arrête à la station Antar qui est pile en face de la rampe de pierre qui donne accès aux écluses. C’est mon coin. J’y fais le plein d’eaux de Seine, de péniches endormies, et de ce petit café comme un rêve de guinguette. J’aime ce coin juste avant le jour, ce qu’il en reste et puis demi-tour et retour au camion. Quand je tourne la clef, lance le moteur, braque le volant des deux mains et marche arrière pour me dégager un peu, je vois en double dans les rétros, l’image de la station-service encore éclairée dans le jour qui vient, c’est du Hopper au petit matin, j’adore, je pars. J’aurais pu lui dire à Antar que pour aller vers l’Asie mineur j’y passe à Toul et à Nancy. Bougival, Marly, Versailles, Orly, nationale 4, Toul, Nancy, et puis tout droit vers la Turquie.

Codicille : Je voulais que ce personnage secondaire soit à la caisse d’une station-service qui serait un point de départ. J’ai pris une station des Yvelines que je connaissais bien (on mettra ou pas une photo) et j’imagine pour Nicolas, Saint Nicolas moderne, un trajet Paris-Bari passant par Ankara, ou bien un simple Bougival-Nancy-Antalya, comme un long prolongement de la nationale 4 au-delà de Strasbourg. Je crois que Toul fut un petit hub migratoire quand les mines et les usines tournaient à plein régime. Ankara est un hub énergétique. Le personnage secondaire s’appelle comme son travail, comme avant comme on s’appelait de ce que l’on faisait mais là c’est la marque qui compte. Aujourd’hui cette station-service Antar est une Total Access.

14. Le mort a dit


proposition de départ

Le—mort—a—dit : debout ! Il a dit le—mort—a—dit, Le—mort—a—dit : debout, alors lentement, un par un, tous se mettent debout.

Le—mort—a—dit : assis !

Mais cette fois tu restes debout. Tu sors de table. Tu sors de la salle à mangez et buvez, voici mon sang et mes mensonges. Tu tords ton corps et tu sors de nos maisons qui ne sont jamais de famille que tant qu’aucun de nous ne s’y tue et par la terrasse tu pars, marches dans l’herbe, puis les graviers, puis sur la route, puis dans les arbres et tu écoutes. Tu quittes et je te parle.

À table ils t’ont dit qu’ils n’avaient plus cette photo de nous deux. Donc ils en avaient une. Et un jour ils l’ont jeté. Peut-être même juste avant de la jeter d’un geste ils l’auront déchiré. « Qui commet le meurtre d’un homme qui se tue ? ». C’est Camille de T qui t’a écrit cela. Il te l’a écrit de Thésée. Je l’avais vu l’écrire, souvent la réécrire. Et tout mort que je suis je te parle d’émotion à te voir imagine, reconstituer, recoller cette photo dans une bienveillance qu’on aurait cru à jamais perdue.

Je suis le codicille. Je suis Jean-Loup de l’exercice 6. Je ne t’ai pas fait de mal. Je me suis tué le 12 mars 1973 et je crois aujourd’hui que Nicolas, mon frère si important pour toi, ne se serait pas tué à ma suite le 10 mai 1975 s’il avait pu m’entendre comme tu m’écoutes à l’instant qui te parle et répond à ta marche pour d’autres. Nous nous reconstituons.

13.


proposition de départ

Le fait que l’eau coule du haut robinet pour se jeter en cascade dans l’évier de la cuisine, le fait que l’évier est régulièrement bouché et ne se vide pas aussi vite qu’il le faudrait par le tuyau qui court au bas du mur qui sépare ma cuisine du jardin puis passe sous la terrasse et débouche sur le tout-à-l’égout dans la rue, le fait que Marie-Paule de l’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture dit que vider quotidiennement le marc de café dans l’évier nettoie très bien les tuyaux et débouche les éviers, le fait que Raphaëlle au cabinet du ministère de la transition écologique pense que c’est une rumeur répandue par les plombiers pour boucher plus rapidement les tuyaux, le fait que le marc de café a toujours été recyclable, que tout est maintenant recyclable, même les routes, les tunnels, recyclables, les livres, les lectures, lecture de tasses à turcs, marc de café, marc du Starbucks, mugs en cartons, ton prénom, prémonitions, le fait que les probiotiques répandent leurs légendes urbaines dans des millions de petits pots vert bio, le fait que Blanche est constipée et à part ça ne mange rien d’autre et en même temps contrôle totalement son transit, le fait qu’au vingt et unième siècle un million et demi d’enfants de moins de cinq ans meurt chaque année de diarrhées, le fait que le Maire de Trèves certifie sur parole que l’eau de la fontaine du village est naturellement potable et que le Restaurant-Bar des Gorges du Trevezel lave sa terrasse à cette eau, le fait que le restaurant-bar des gorges du Trevezel dont on a fait agrandir une photo sur le mur de la cuisine, ne t’appuie pas dessus, sert ses repas aux locaux et qu’il n’y a pas de migrants à Trèves, le fait qu’il y a bien un phénomène cévenol qui inonde en quelques heures les causses et les gorges et qu’il n’y a pas de cas Covid à Trèves en Cévennes, le fait que Veolia transformera un jour toutes les eaux abusées du département et qu’Emmanuel Macron marche pieds nus sur les eaux du Bosphore, le fait que cent mille personnes meurent en quelques heures du choléra chaque année, et beaucoup plus désormais en Afrique qu’en Asie, le fait que pour un Hussard sur le toit vendu aujourd’hui dix humains sur la terre vont mourir ce lendemain du choléra en raison du manque d’eau potable et d’égouts pour les matières fécales où ils sont, le fait que je ne me lave pas tous les jours quand je suis épuisé du travail que je vends mal mais qui paie maintenant directement mes impôts grâce auxquels je me lave à l’eau potable quand je peux me reposer, le fait que si peut je repartirais en vacances dans un pays de langue qui m’est étrangère, le fait que je me repose dans un cimetière arboré de Prague, le fait que nous visitons toujours les cimetières juifs en voyage, le fait que si on reste on ira à Vanosc où nous aurons un double évier à l’ancienne ce qui est tellement mieux, le qu’il n’y avait pas de monument aux morts de Vanosc, le fait qu’on a alors inscrit le nom de tous les morts de Vanosc pour toutes nos guerres du vingtième siècle le long de toutes les rambardes en fer forgé de la place du village et que c’est très beau mais que les chiens bourrés pissent dessus, le fait que toutes mes arrières grands-mères étaient veuves de guerre, le fait que j’étais dans la chambre quand mon grand-père a pété pour la dernière fois, qu’il était dans le coma, que je lui tenais la main et qu’il est mort en pétant ♫ Grand-père était vétérinaire, il soufflait dans l’derrière des ch’vaux ♫, le fait que sa famille était des verreries champenoises, le fait que son premier frère était mort à Saint-Cyr expulsé d’un wagon par son cheval, écrasé contre la paroi d’un tunnel dans lequel son régiment du train s’était engagé, le fait que son deuxième frère qui était à la direction générale de la Société d’exploitation industrielle des tabacs et des allumettes n’est pas mort du cancer du poumon à Chatou, très belle maison, RER A, bord de Seine, l’île de la Grenouillère, les écluses de Bougival, la machine de Marly, les terrasses de Saint-Germain, le camp des loges, le Paris-Saint-Germain, le Quatar, le roi d’Espagne, nos châteaux dans les Yvelines, nos manoirs dans le Perche, nos maisons dans le Limousin, nos villas à Saint-Jean-de-Luz, le fait que mon autre grand -père est mort à Boulogne sur Seine, le fait qu’il avait menti sur moi à mon mariage devant tout le monde comme son beau cousin qui avait de fait dénoncé Jean Moulin en ne faisant rien de ce que Hardy lui racontait dans le train, Laure Adler seule le lui a fait dire, et il m’a offert douze coupes de champagne en cristal de Baccarat pour mon mariage et je n’ai remercié ni l’un, ni l’autre, ni mon père qui n’a rien dit à mon mariage et j’ai toujours les coupes dans leur carton, le fait que nous on ne boit pas de champagne, on préfère le Sancerre, Le Pouilly Fumé, les coteaux du Giennois, le fait que Saint-Yves mon oncle le frère de mon père a cassé une des coupes de champagne en cristal de Baccarat et que ce serait la seule chose qu’il aurait fait de bien pour moi sans le savoir, le fait que mon père vient de m’envoyer sans rien dire sept sceaux à cachet de cire de la collection de son père, le grand-père qui enjolivait la guerre de son beau cousin et la sienne, qui enjolivait 39-40 en moto avec De Gaulle, enjolivait sa pseudo résistance sur les voies ferrées, enjolivait sa remobilisation en Allemagne à la fin, mais mort il y a des années sans un mot sans une lettre à cacheter et je ne vais pas les redonner à mes fils ces sceaux à cacheter, ni à mes neveux, car ils me disent tiens voilà des crottes de nez de ton grand-père, le fait qu’il mettait ses doigts dans le nez en cachette, le fait que l’autre frère de mon père m’a suivi en Israël quand j’avais quatorze ans et tout le monde se demandait ce qu’il faisait là et lui non plus comme mon père il ne disait rien, mais peut-être qu’il n’avait rien à dire, sans pensée d’aucune sorte, rien à dire, à Saint Jean d’Acre on entendait des explosions au Liban-Sud, rien à dire, le fait que dans Jérusalem je me suis caché entre les deux esplanades qui tanguaient en surface, mouvements de foules et falafel, militaires et fedayins, guerres urbaines, guerres millénaires, rumeurs du monde, remugles, le fait que l’eau bouillonne toujours en surface, à la piscine miraculeuse de Bethesda, dans le port de Beyrouth, à la piscine municipale de Nicosie, dans le port d’Antalya, au partage des eaux qui bouillonnent depuis toujours en mer Égée comme Gaz et Guerre,

12. j’aurais voulu Saint Nicolas


proposition de départ

pas bouger coupe gorge coupe nuque empalé c’est pesé

plus bouger coupe un bras pas bougé coupe l’autre couche de sel des marais pas bouger coupe ma tête tombe dans mes bras couche de sel des marais coupe ma jambe tombe l’autre couche de sel des marais jette mon tronc par-dessus couche de sel

ferme tonneau tassé sel gros pique les yeux paupières foncées face tonneau pas bougé tangué rouvert à l’envers retassé vercle aux fesses retourné à l’endroit retassé fesses par terre jambes en l’air tasse ouverte resel recouvercle pas bouger au coin coincé cellier refermé frais

je ne sens pas mes mains coupées de ne pas bouger je ne sens pas les pieds de mes jambes coupées mes pieds sont-ils coupés des jambes je ne sais pas et ne peux vérifier en bougeant le sel fond dans le sang coagulant le sel ne fond plus oreilles bouchées mais sensation à peau de bois

logé tassé salé nourri sept ans blanchi au zoo petit farci

je suis de pierre je coule dans le sel fermenté fou mais conservé m’écoule au judas du tonneau je guette du bois qui respire pour moi l’été l’automne l’hiver à la porte appartement à mes parents je vois mars avril ça vibre et s’entend qu’on sonne pas bouger prêt

boucher bouchère voulez-vous me loger pas cher du petit salé depuis sept ans qui sans bouger tire à ma barbe aller allez vous en vous l’avez bien cherché

allongé pas bougé la tête sous le figuier vert je regarde le bleu qui passe au ciel une fourmi sort d’une figue
pas bougé la tête sous le noyer regarde le blanc du ciel passe lentement deux noix se sont rapprochées
la tête sous l’acacia je vois la Loire qui penche vers Nantes il pleut
allongé pas bougé la tête à l’écorce du hêtre de la forêt d’Ô mille arbres autour

Codicille : en lisant le début du livre de Sarah Chiche intitulé Saturne je croise encore Nicolas B. explicitement cité sans être nommé. Je me souviens qu’il vient chez moi, je suis petit, je voudrais qu’il soit un Lion, un Saint Nicolas à la crinière de barbe, je voudrais qu’il me sauve et rassemble les morceaux, j’aurais voulu. Aujourd’hui je ramasse et rassemble moi-même les morceaux.

11, bis. L’établissement des mains


proposition de départ

Ils s’établiront de leurs mains. Les mains prolongent les épaules, les veines des bras, des avant-bras, les poignets, les voilà, les mains, les paumes ouvertes, les doigts. Deux frères, quatre mains, vingt doigts. D’un geste ils voudraient tout quitter, et d’un autre ils voudraient tout embrasser. L’été 1968 les transforme.

Le matin à l’atelier ils fabriquent des canoés kayaks deux places. Ils apportent à bras les deux parties du moule et les posent ouverts sur les tréteaux à hauteur de travail. Ils cirent au chiffon l’intérieur insistant aux replis de la coque. Ils peignent soigneusement dans la forme au gelcoat de couleur rouge ou blanche. Nettoyer les pinceaux et les mains. Le lendemain ils coupent aux ciseaux des bandes de fibres de verre à coller, tapisser, toiles enduites détrempées de résine qui vous saoule et vous arrache la peau. Laisser sécher par couche. Décoller les mains des pinceaux. Le lendemain détourer au cutter pour rassembler les moules et les souder les morceaux il faudra voir et respirer par les mains. Le lendemain, démouler les bateaux. À midi ils rentrent chez eux à vélo. Les mains collent encore de résine aux guidons. Ils freinent le moins possible. L’après-midi ils vont aider aux champs, la moisson par parcelle. Ils ont leur façon de faire. L’un aligne les bottes pour en faciliter la saisie, ce qu’il reste de résine accroche la ficelle et la paille à ses doigts. L’autre enfourche et hisse les bottes sur la remorque, ce qu’il reste de résine lui soude les mains au manche.

La rentrée 1968 les sépare. Ils ne font pas la même dernière année d’études. Le premier restera à Paris. Les mains sur les cahiers pour écrire au mieux, puis les doigts sur le clavier pour écrire mieux. Il coupe, il fiche, mémorise, colle au tableau, se lance aux concours, rédige, s’établit une année chez Renault et puis regagne une place dans la recherche expérimentale. Le deuxième part en Allemagne de l’Ouest à Heidelberg. Il dessine, traduit sans cesse, trace à la règle, efface, compose, cale, règle, imprime. Il s’établira lui aussi une année, chez un papetier de Mulhouse, mais il retournera en Allemagne dans l’imprimerie comme informaticien.

Chaque été ils se retrouveront dans le sud de la France pour une descente en canoés kayaks deux places, puis deux canoés pour quatre et bientôt une remorque pour quatre canoés. Ils montreront à leurs enfants comment réparer les embarcations à la fibre de verre. Ils rament toujours avec plaisir. Des gouttes d’eau tombent sur leurs épaules, coulent le long des veines de leurs bras, coulent sur leurs avant-bras, coulent sur leurs poignets, et finissent sur les mains fermées sur leurs pagaies.

Codicille : J’avais déjà en tête ce titre, l’établissement des mains. Je pense que c’était pour l’exercice #3 Quitter la ville. Je voulais parler de Nanterre et des établis. Mais je ne suis pas établi. J’ai imaginé une histoire de mains, et d’établis en quatre ou cinq petits paragraphes. Une sacrée histoire, mais dure, amère à certains.

11. Les mains mirabelles


proposition de départ

C’est un soir de semaine, de travail, de fatigue, ils ont parlé après dîner, elle a téléphoné à l’un de leurs enfants, il a écouté et rangé préparé la cuisine, car il est déjà tard quand ils montent tous les deux l’escalier pour aller se coucher et dormir pour reprendre à demain la tâche qui leur incombe. Le soir banal elle n’a pas l’énergie dans laquelle il voudrait s’écouler avec elle, mais c’est elle qui se tourne vers lui se rapproche et pose sa main sur lui, qui répond en glissant une de ses mains sous elle.

À l’immédiate sortie du rêve, il n’identifie pas cette collègue avec laquelle il termine au café le repas d’une pause de midi, lui dit qu’elle se sent vieille, son visage trop ridé, pense faire un lifting. Passant le bras par-dessus la table, il a doucement tendu sa main vers la joue de cette femme, l’a touchée.

Sa main prend une mirabelle et la porte à sa bouche, met en route le café, récupère le noyau, reprend une mirabelle et la porte à sa bouche. Il ouvre le lave-vaisselle qu’il vide et qu’il range, récupère le noyau. Sa main laisse un mug au rebord de l’évier, prend d’autres mirabelles et les porte à sa bouche. Il ouvre et referme le frigo dont il sort un porridge, un fromage, un pot de confiture offert, d’une main récupère les noyaux, de l’autre se verse le café, et tenant retenant les noyaux qui s’y colle, de sa main à nouveau mirabelles, et les porte à sa bouche.

Codicille : trois mouvements mains, juste de la veille, juste du matin, et pour le rêve, du week-end, sur une invitation de fb à revisiter nos mains dans nos rêves, effectivement.

9. Sur la plage


proposition de départ

Dans une ville atlantique, une longue plage courbe et pentue, sombre le matin, son sable humide et dur. La plage descend vers une mer calmée, marée basse ce matin, à l’ombre d’un soleil qui ne passera que tardivement par-dessus les montagnes. Dans le sable brun les talons s’enfoncent un peu si l’on marche juste au bord du rivage, où l’eau va et vient très doucement, salée, claire, transparente, sans reflet. On entend tout, le pétillement du retrait de l’eau, le bruit ricoché du moteur d’un bateau passant les digues vers le large, le son des cloches d’une église. Un tracteur remonte de la plage nettoyée. Sur l’étendue de sable se dresse le grand portique et ses fanions rouge et blanc, l’immense toboggan, le pont de singe et le petit toboggan, la cage à poules, le sautoir et les quatre poteaux du petit et du grand terrain de volley.

Un tout jeune homme, short rouge et large tee-shirt blanc du Club des Marsouins plante des lignes droites de lourds et dangereux pieds de parasols dans lesquels il glissera-ouvrira ensuite ces grands parapluies rouges à frange blanche. Il va vite, porte à l’épaule, marche ferme dans le sable sec, mais encore frais du haut de la plage, fait des allers-retours efficaces dans la pente de la plage entre une cabane de rangement en haut collée à la jetée et les emplacements, plus ou moins bas selon la marée, au pied desquels il lui faudra faire encore des trajets pour déposer-déplier les transats de toiles bicolores. Il monte la plage le matin et la range entièrement le soir. Ces deux temps de travail ont bien des avantages. Le matin satisfait son plaisir à bien faire les choses tout seul. Il ne fait pas chaud, c’est sportif, il se muscle. En fin d’après-midi il défait la plage torse nu, soleil haut Ouest vers l’horizon, les heures de fin de journée beaucoup lui parlent, le remercient, puis les potes qui ne font que vacances passent le voir tandis qu’il remonte les toiles pour échafauder les plans du soir et devant eux intérieurement il est fier de ce qu’il gagne par ce travail dont il avait besoin.

Monsieur Rosenbaum a déjà ouvert le nouveau et grand parasol du club. Monsieur Rosenbaum est toujours le premier sur la plage. C’est un peu à lui qu’il revient de lancer la plage pour la journée, comme l’ont toujours fait son père et son grand-père avant lui, ici plagistes concessionnaires balnéaires depuis l’été 1920. Durant l’année il est Philippe Rosenbaum professeur de gymnastique au Lycée de Colmar, mais l’été il est Monsieur Rosenbaum, directeur, Maître-nageur, du Club des Marsouins, de pères en fils. Grand, châtain, fin, doré, la quarantaine en pleine santé, sa vraie vie c’est ce club de plage familial, cette plage, la gymnastique qu’il dit traditionnelle et le volley sur le sable. Il aime son métier d’enseignant son Alsace, son accent, mais son ressort intime, il est ici. Il défait le cadenas et la chaîne qui retient le canot de sauvetage, retourné sur le sable, un canot rectangle insubmersible, en plastique dur orange et blanc, qu’il remet à l’endroit, le tire pour le descendre dans l’eau et le rattache à une bouée. Il remonte au parasol chercher le matériel dont il a besoin pour les cours individuels de natation par lesquels commence toujours sa journée. Le matin est plus calme pour enseigner la nage. L’après-midi est le temps du tohu-bohu et des jeux collectifs des ados. Ce qui émeut discrètement, mais réellement ce grand type baraqué c’est d’apprendre à nager aux petits, leur apprendre à nager la brasse, la simple brasse, celle qui rend les enfants autonomes en bord de mer, la nage qui sauve sur la plage.

Le petit Paul est déjà prêt à l’attendre au parasol comme convenu. C’est sa neuvième leçon. Il a déjà froid. Il suit Monsieur Rosenbaum qui redescend vers le canot. Monsieur Rosenbaum encourage Paul dans la descente de la plage d’une main à peine posée sur le cou du petit. Paul est si maigrelet que ses deux omoplates ressortent de son dos comme deux ailes d’oisillon. Ce matin c’est prévu on ira là où l’on a plus de pieds, s’éloignant du rivage vers le ponton flottant, mais gardant deux flotteurs à la ceinture. Pour gagner son étoile de mer dans quelques leçons Paul devra nager sans flotteur jusqu’au ponton, en faire le tour et revenir sur la plage. Pour commencer Paul doit faire quelques brasses au bord et s’éloigner du rivage pas à pas en rentrant dans l’eau. Il avance les jambes, la mer froide lui saisit le zizi, il passe et l’eau lui fait un trait glacé juste au-dessus du maillot maintenant trempé et continue de s’enfoncer jusqu’avoir de l’eau presque au cou. Il se retourne alors lentement vers Monsieur Rosenbaum qui lui aussi s’est avancé les deux jambes dans la mer, mais si grand que la surface de l’eau s’arrête juste sous son maillot de bain. Le corps de Paul prend un peu d’appui des flotteurs, son regard remonte vers le torse puis le visage de Monsieur Rosenbaum et derrière lui vers la plage qui monte, les parasols qui s’installent et au-dessus sous la montagne, sous les maisons, sur la jetée la silhouette de sa mère et son geste fébrile d’allumer une cigarette comme si de là dans l’eau il entendait le cric du briquet qui s’enflamme, Allez Paul, on y va, grenouille et pousse, on allonge ! Une Peter Styuvesant bleue.

Codicille : le Décor 1 déployé est donc le premier de la liste des 8 décors de l’exercice 8.

Rien n’est donc mentionné des inquiétudes de 3 des 4 personnages ici présents. Je me demande si c’est déjà assez doucement inquiétant, ou pas ? Le tout jeune homme et premier personnage du texte n’a aucune raison d’être inquiet. Je voudrais que les trois autres le soient.

8. De quatre extérieurs vers quatre intérieurs et retour


proposition de départ
1

Dans une ville atlantique, une longue plage courbe et pentue, sombre le matin, son sable humide et dur. La plage descend vers une mer calmée, marée basse ce matin, à l’ombre d’un soleil qui ne passera que tardivement par-dessus les montagnes. Dans le sable brun les talons s’enfoncent un peu si l’on marche juste au bord du rivage, où l’eau va et vient très doucement, salée, claire, transparente, sans reflet. On entend tout, le pétillement du retrait de l’eau, le bruit ricoché du moteur d’un bateau passant les digues vers le large, le son des cloches d’une église.

2

Sept heures sonnent au loin, en montagne. Le clocher haut carré de l’église d’un village est le premier à recevoir le soleil. Sa pierre s’illumine dorée alors qu’il fait déjà bien jour. Son trait se détache sur un fond de forêt vert foncé. Par-dessous lui, les toits des maisons font la ronde dans le versant qui regarde vers la mer. Aux rebords des toits, des pierres sont posées sur les tuiles.

3

Sur une large terrasse encastrée dans la pente juste en contrebas d’un village, un terrain de tennis. Un vieux panneau de bois sculpté « Terrain Yannick Noah ». Des lignes blanches peintes et repeintes sur un patchwork de goudrons rouge plus ou moins foncé et réparés à l’occasion. Côté vue sur la mer un assemblage de grillages hauts pour arrêter les balles. Côté village une tribune en pierres sèches d’où l’on salue la vue, le jeu et l’entêtement des joueurs à rattraper les faux rebonds.

4

L’escalier extérieur qui relie les deux étages d’une maison située dans une pente juste au-dessus d’un terrain de tennis sert aussi de tribune haute les jours de fête du club ou de trop de soleil. Collé à la façade nord de cette vielle ferme, l’escalier est en béton peint en blanc et repeint si souvent qu’il en est frais et doux. On y est plus haut, on y voit toute la vue sur la mer aussi. Les jeunes le squattent souvent quand les Parisiens sont absents.

5

Seul un escalier extérieur relie les deux niveaux de la maison. Au rez-de-chaussée, le foyer, la grande cheminée, avec la porte du four à pain, et devant le gros canapé foncé de velours épais, usé à tous coins, la table bois rectangle, ses huit chaises, et autour quatre portes, les trois portes qui vont vers la cuisine, la salle d’eau et la chambre des parents, la porte d’entrée qui donne sur l’extérieur. Il fallait sortir et faire le tour par dehors pour monter même la nuit l’escalier qui menait au grenier où dormaient les enfants.

6

C’est un dortoir d’enfants, un grand grenier un peu aménagé. De grandes toiles de jute bleues délavées sont clouées entre les poutres. Elles sont gonflées d’un isolant improbable qui déborde autour du vasistas. Il y fait très chaud l’été, il vaudrait mieux laisser la porte ouverte, pour l’air et pour la lumière. Pas d’armoire sous les pentes du toit. En plus de cinq lits simples, au fond un lit double, sans oreillers, semble servir à tout, aux valises, aux amis, à jouer, à sauter, à renverser le jeu.

7

Dans le coin au fond à droite d’un grenier aménagé, le circuit d’un train électrique fait un huit dont une des boucles fait le tour du pied d’un lit double. Deux empilements de légo montent les piles d’un pont qui passe les rails sur le rebord intérieur d’une boîte de jeux de société ouverte sur un jeu de l’oie d’une part et de petits chevaux d’autre part. Posée dans la partie jeu de l’oie, une boîte à chaussure jaune fait office de gare pour le train qu’on arrête en coupant le courant du circuit.

8

Sur une boîte à chaussure dans la laquelle se range les wagons d’un train électrique, il est écrit Gare des Bons Enfants. Le train miniature à l’arrêt en gare de cette boîte à chaussure est composé d’une locomotive bleue et de deux wagons verts à compartiments. Dans les wagons des petits personnages en plastique sont collés sur de petites banquettes. Au-dessus des banquettes de très petits rectangles dessinent les emplacements de miroirs et de photos de paysages en noir et blanc qui décorent les compartiments. Quatre photos dans le premier compartiment d’un des deux wagons : Maisons à Espallion (Aveyron), Le Viaduc de Garabit (Cantal), La Meije vue de La Grave (Hautes-Alpes), La presqu’île de Crozon (Finistère).

Codicilles :
 1 Extérieur plutôt autobiographique, on pourrait imaginer une côte basque très resserrée.
 2 Extérieurs vus qui mélangent Les Causses et le Vivarais.
 3 Extérieur imaginé en Vivarais sur goudron du Nivernais.
 4 Extérieur imaginé.
 5 Intérieur double par l’escalier (situé à l’extérieur) et déplacé du Perche. L’idée c’est que là on ne sait plus exactement pour l’escalier ce qu’il a de l’intérieur ou de l’extérieur.
 6 Intérieur confus et confusant.
 7 Intérieur avec extérieur miniaturisé pour le mettre à l’intérieur.
 8 Intérieurs miniatures proposant quatre extérieurs larges.

Je profite de l’exercice pour chercher à exprimer une difficulté à bien distinguer l’intérieur et l’extérieur dans des souvenirs d’enfance.

7. Présent des passés simples


proposition de départ

Paul imprima la fiche de décès en noir et blanc, format A3. Trouver la fiche numérisée d’un soldat mort de la première guerre mondiale dans la base de données Mémoires des hommes du Ministère des armées prend un certain temps, le temps pour Paul de comprendre qu’un libre accès lui est donné à ce million de documents d’archives, le temps pour lui de retourner sept fois cette idée dans sa tête, le temps de lancer cette recherche sur le nom de Groult et d’obtenir instantanément soixante-dix-sept résultats. Pour Groult prénom Marcel, quatre gars positifs dont un seul est mort à Perthes. Gabriel Louis Marcel Groult, tué à l’ennemi le huit octobre mille neuf cent quinze, à l’assaut de la Butte de Souain (Souain-Perthes-les-Hurlus). Le Baron de Münchhausen renvoie côté France son journal à sa mère. Marthe sa veuve en épouse un autre et ouvre une autre voie côté pères.

Paul demanda l’acte de baptême de sa mère prénommée Chantal dans une paroisse de Passy (Paris, seizième arrondissement). La secrétaire lui remet l’acte sans souci mais non pas sans façon et belles lettres bien penchées à l’anglaise. Le courrier confessé à moitié pardonné ne cache pas un baptême précédent à Notre Dame de Boulogne (Boulogne-Billancourt). Paul s’y rend rapidement. Il y retrouve sa mère sous le double prénom champêtre et charmant de Marie-Marguerite, mère X, père X, sise à la pouponnière voisine de la rue Denfert Rochereau. La marraine de Paul habite la même rue et Paul l’avenue du même nom (Paris, quatorzième arrondissement), petites coïncidences comme pour tout à chacun, suivies pour tous de très grosses incidences quand l’Assistance lui renvoie plus tard son dossier côté jardin. À Brou, Frazé, Nogent-le-Rotrou, Rueil et Chatou, frères et sœurs par hasards sont aussi ses voisins. La vie est ainsi dense.

Paul copia-colla la page Wikipédia de l’appel du 22 mars. La veille Paul rêve de deux suicidés qui lui donnent une idée. Il demande explications à la mère qui là reste sans voix. Son père évoque les B, un PB peut-être, un NB plus sûrement. Paul demande NB à Google qui lui propose DCB qui le 22 mars exige la libération de XD et NB. NB. Paul avait quitté Nanterre-Ville par Nanterre U où il se retrouve à nouveau. Sa mère lui dit non, fins de non-recevoir, son NB l’adoré était chauffeur routier et de toutes les façons il était tellement gros qu’il ne la voyait plus. Paul n’avale pas.

Paul tendit son Tigre en papier à Olivier Rolin. Médiathèque de Saint-Jean de la Ruelle, il ne sait pas comment il va l’aborder, lui parler. Paul demande à OR s’il a connu NB ? Olivier Rolin lui dit qu’il le connaît de nom mais ne l’a pas connu. Que d’autres l’ont connu qui étaient établis à Renault mais pas lui. D’autres dont il lui donne deux noms qui eux sauront peut-être. Il ne dit pas à Paul ce qu’il lui faudra lire et remonter de fils, du Vietnam à la GP, de la Catho à Nanterre-U, de la JUC au Comité de Lutte, de Billancourt au Père-Lachaise, de LIP à Verdier, de sa mère aux fusils, de son père à son père, il lui dit : sombre histoire.

Codicilles :

1 : je m’appuie sur ce site sur lequel je reviens souvent comme une mémoire externe pour tous.

2 : je me suis appuyé sur les archives religieuses précieuses dans les familles bourgeoises. Elles sont moins rigoureuses que les archives publiques. Elles sont souvent coupables ou culpabilisées.

3 : j’ai hésité sur la conjugaison du verbe copier/coller. J’ai opté pour le trait d’union avec double conjugaison.

3 et 4 : J’ai hésité à nommer par noms exacts, surnoms ou acronymes. Pour garder de la vitesse au présent, je vois que j’ai choisi les plus courts. Néanmoins j’ai gardé le prénom et le nom parce qu’il est écrivain.

6. trouver le nom du chat


proposition de départ

Je m’en vais trouver le nom du chat. Je m’allonge dans l’herbe sous un prunier, les yeux bien ouverts à l’écorce, aux branches, au vert des feuilles, au bleu du ciel par-dessus les feuilles. Le chat se signale d’un miaulement et s’approche, je sais que ce n’est pas un chat mais une chatte. Elle vient frotter sa tête conte moi, puis pose deux pattes sur le haut de ma cuisse, vérifie je ne sais quoi de ses griffes dans la toile de mon jean, monte et s’installe son ventre sur le mien, la tête vers mes pieds, sa queue balaye mon visage et s’arrête sur mon épaule. Je ne sais que c’est une chatte que par son nom. Elle répond quand elle veut à celui Popée, seconde épouse de Néron, Néron étant par ailleurs son frère, tous deux seuls chatons survivants de la dernière portée Cléo leur mère morte il y a maintenant deux étés. J’écarte un peu Popée en la repoussant délicatement. J’ai besoin de vérifier si j’ai nommé des personnages dans les exercices précédents.
Effectivement dans l’exercice 1&2 j’en trouve trois d’affilée, trois personnages secondaires : Dubreuil, le petit d’Étienne et Gilberte. « Ils se mettent encore d’accord pour comment on va aider Dubreuil à démonter et remonter par chez lui le hangar métallique à travées de six mètres. Le petit d’Étienne lui s’achète l’établi à bois, pour quinze, et une caisse à pommes pleine d’outils en vrac, pour cinq. Il a repéré de bons ciseaux dans cette caisse. Un gars de La Bassée a pris les clôtures électriques. C’est Gilberte qui a acheté le fusil, et sur ce fusil silence, personne n’a renchéri. Ça évitera encore plus de malheur qu’il n’y en a déjà dans cette fête. »

Dubreuil n’était pas rentré. En le cherchant sur la route je trouvais rapidement sa remorque chargée en valdingue au fossé, et le tracteur avec une roue de l’avant soulevée, sans bonhomme sur le siège. Bon sang, il n’était forcément pas loin. (Dubreuil, c’est le patronyme d’un ami, d’un copain, d’un voisin. Dubreuil dans cet exercice c’est un nom qu’on devrait comprendre comme le nom d’un gars du coin.)

Le petit d’Étienne, c’est Julien, le petit dernier d’Étienne, mais je ne sais pas pourquoi à chaque fois son prénom m’échappe et ça me va le plus vite de pas le nommer et de dire le petit d’Étienne que de rechercher son prénom. Dans cette hésitation à nommer en ne trouvant qu’un détour de filiation je cherchais sans doute à exprimer l’idée d’une appartenance familiale.
Gilberte est célibataire. C’est tout. Ce n’est pas la facilité, c’est la vérité. On ne lui a jamais connu quelqu’un.

Dans l’exercice j’ai nommé deux personnages Paul et Martin. Paul est le personnage principal du texte, celui qui quitte Nanterre-Ville. Martin est sans doute son meilleur ami. Pourquoi Paul ? C’est doux, c’est franc. Franc comme Franck, mais Paul est plus réfléchi. Paul est aussi moins doux que Jean. Mais je repense au chat, aux animaux totem, aux chevaux d’un Philippe dont le rêve transperçait un secret, et je pense à Paul-Loup, à Paul-Loup pour Jean-Loup. Pour nommer ce personnage principal, j’ai donc fait un choix autobiographique, en espérant faire mieux, puisque Paul quitte Nanterre-Ville. Martin l’ami des Paul, c’est Martin, sur qui on peut compter, avec qui on va pêcher longtemps, en remontant la Loire. C’est peut-être aussi le Martin de la grande Sophie, celui dont elle attend un signe de la main. Ce choix de Martin c’est plutôt un rêve de biographie.

5. Douze fois descendre de la voiture Corail : ouvrir la porte, actionner la poignée, pousser pour écarter cette porte, descendre les marches du wagon et franchir l’intervalle entre le marchepied et le quai.


proposition de départ

Est-ce que tu sais porter une gare ? Est-ce que tu sais porter deux gares ? Trois gares ? Quatre gares ? Sais-tu porter cinq gares ? Sais-tu porter six gares ? Tu ne sais pas porter six gares ? Tu ne sais pas porter un cigare ! Tu ne sais pas crier Gare !

Le train de 18h09 entre en gare. Il est composé d’une locomotive BB 22200 orange et grise à nez cassé et de 9 voitures Corail rénovées. Il a déjà fortement réduit sa vitesse. À l’approche de la Voie 6, il cadence encore son arrêt de trois coups de frein prolongés produisant des cris de mammifères marins. La descente du train se fera sur la gauche. On s’y prépare. La locomotive s’arrêtera à quelques mètres du bout du quai, face à la gare et relâchera en un souffle bruyant toute la pression du voyage. Tous les voyageurs déjà prêts à descendre, debout devant la porte située du bon côté, pionniers de leur wagon, vont effectuer en même temps les mêmes gestes : abaisser la poignée, écarter la porte, descendre les marches, passer l’intervalle entre le marchepied et le quai, et sur le quai se diriger vers la sortie.

Voiture 1. Porte avant. La vitre de la porte encadre le visage transpirant d’un homme barbu de 3 jours, la quarantaine, bien portant, 77 kilos, costume bleu trop brillant, chemise blanche sans cravate. Au coup de frein final, juste à l’arrêt complet du train qu’il a l’habitude d’anticiper, l’homme abaisse de sa main droite la poignée de la porte, et dans le même temps il la pousse fortement en avant pour l’ouvrir. La porte s’écarte sur le côté, il descend les deux marches du wagon, le regard vers ses pieds, un, deux, trois, son pied droit passe au-dessus du marchepied et se pose le premier sur le quai. En terrain conquis, il regarde maintenant vers la sortie de la gare. À la porte arrière de cette première voiture, une étudiante, natte, jean, grand sac à dos vert fluo, converses blanches sur chaussettes arc-en-ciel, plie genoux, main gauche sur la poignée qu’elle fait descendre en rotation, et pousse du poids de son sac sur la porte qui s’ouvre. Main droite en appui sur la porte, un pied sur une marche, et la marche suivante qu’elle trouve en tâtonnant et tournant sa cheville, un pied maintenant sur la grille du marchepied, et le regard sur la bande blanche au sol, et la voilà sur le quai, poids du sac qu’elle remonte sec d’un coup d’épaules.

Voiture 2. Porte avant. Un homme sans âge mais énergique, petit genre nerveux, 65 kilos, jean et veste en jean, a déclenché la porte, avant même l’arrêt du train. Penché en avant épaule gauche collée à la vitre, il tire du bras gauche sur une barre de la porte, en même temps que du bras droit il abaisse la poignée, et force violemment l’ouverture en pivot. Porte ouverte, il adore voir le qui train qui roule encore un peu glissant le long du quai. L’homme saute du train et se réceptionne d’un pas de footing, le regard vers le sol et tout de suite vers l’avant, assez content de voir qu’il a cette fois encore grillé l’habitué du premier wagon, il accélère son pas vers la sortie, sans même voir l’étudiante devant lui qui amorce sa descente.

Porte arrière de la voiture 2, une femme souriante, en robe de coton, bras découverts, serre fort de sa main droite la lanière de son sac qui lui cisaille l’épaule, et appuie de sa main gauche sur la poignée, qu’elle pousse en avant et la porte s’ouvre. Elle descend attentivement cherchant quelqu’un du regard, sourire plus fort encore. Sa robe est turquoise. Un collier de bois rose.
Voiture 3. Porte avant. Très légèrement en retrait de la porte, une grande femme, la cinquantaine, short ou jupe coloniale, chaussures plates, coince d’une jambe musclée sa valise, tandis que de son autre jambe, elle barre le passage à quelques inconnus silencieux, tous à la file derrière elle dans le couloir qui longe l’autre côté du wagon. La femme attend l’arrêt bien marqué du train, et abandonnant un instant sa valise se rapproche de la poignée, l’abaisse de la main droite, pousse la porte, descend un pied sur une marche et l’autre pour tenter un grand écart jusque sur le quai, avant de se retourner immédiatement vers la porte afin d’attraper la valise. Elle est surprise et bien ravie de s’apercevoir qu’un des jeunes inconnus la lui a avancée pour qu’elle puisse s’en saisir. Ah merci vous êtes bien aimable.

Porte arrière de la voiture 3, un autre jeune homme, lunettes de soleil sur la tête, aucun sac, tenant simple un livre jaune foncé de sa main droite, l’index en marque-page, ouvre de la main gauche, et descend facilement, une marche, la suivante, et le pied sur le quai par-dessus le marchepied, de sa main libre il ramène ses lunettes au visage.

Voiture 4. Porte avant. L’homme abaisse la poignée main gauche. Rotation. Poussée. Porte plaquée sur le côté qu’il maintient bloquée avec sa mallette, main droite. Amorçant une bascule vers dehors, en même temps que sa main gauche semble accompagner vers le bas la sortie de sa première jambe, sa main droite élève la mallette dans les airs comme s’il fallait contrebalancer la descente. Il retrouve équilibre sur le quai.

Porte arrière. C’est en queue de voiture 4 qu’à partir d’un téléphone gris plastique maintenant raccroché, le contrôleur avait mis en garde l’ensemble des voyageurs de l’arrivée en gare du train dont la descente devra impérativement s’effectuer sur un quai et à l’arrêt, en prenant garde à l’intervalle entre le marchepied et le quai. Un court instant, il pense. Il n’a plus rien d’autre à faire car le déverrouillage des portes s’effectue de nos jours automatiquement à vitesse lente et dès l’abord du quai. Il est à cet instant comme tout le monde. Seul son uniforme le distingue. Il pense à nouveau que les poignées de porte de ces vieilles voitures corail ressemblent à des points d’interrogation qui n’attendent aucune autre réponse que celle d’être cassées un instant vers le bas, ce qu’il fait lui-même à sa porte, pousse, ouvre, et descend lui aussi, un, deux, trois, sur le quai, regards immédiatement à droite, et à gauche, et même surtout à gauche vers l’arrière du train, au-delà de la voiture 5 condamnée pour cause de climatisation en panne.

Voiture 5. Voiture fantôme.

Voiture 6. Porte avant. Un homme descend rapidement se retourne et attrape les roues avant d’une poussette, puis toute la poussette à bout de bras. Une jeune femme descend prudemment un bébé entoilé serré sur son ventre. Porte arrière. On abaisse la poignée main droite, avant-bras croisés, chevalière à la main droite, pousse et en même temps tire inutilement de la gauche, alliance à la main gauche. La porte s’écarte à gauche, pied droit sur une marche, pied gauche sur la suivante, pied droit sur le quai. Personne ne l’attend. La femme qui attend là, la femme qui fume là devant lui, elle attend quelqu’un d’autre.
Voiture 7. Porte avant. Ses deux mains serrées sur la poignée, un enfant de six ou peut-être sept ans, tant il est dégourdi, culottes courtes, chemisette à carreaux, portant un petit sac à dos à sa taille. Il va descendre tout seul, comme on vient de lui dire de le faire. Il appuie sur la poignée de son peu de poids mais de toute sa force. La poignée cède et casse bien vers le bas mais la porte ne s’ouvre pas. Il ne pense pas qu’il faudrait encore la pousser en avant vers l’extérieur. La femme qui l’attend l’aura bien aperçu. Elle jette sa cigarette sur le quai et l’écrase tout en se rapprochant de la porte du wagon qu’elle tire elle-même pour l’ouvrir. Du quai au pied de la voiture elle lui sourit. Hel-lo mon grand ! Dis donc, mais dis donc ! lui dit-elle le toisant ! Elle le prendrait bien directement dans ses bras s’il n’était pas là si haut et déjà un peu grand. L’enfant descend les premières marches, lui tend une main, mais, au moment de passer l’intervalle entre le marchepied et le quai, tourne tête et jette un regard vers la porte arrière de la même voiture 7, dont descend, assuré, un élégant transportant deux valises identiques, coins renforcés de cuir. L’homme ne peut s’empêcher de croiser également le regard de l’enfant, ce que la femme remarque. Tu le connais ? Non, dit l’enfant, je ne le connais pas. Elle photographie néanmoins par réflexe cet homme dont l’étrangeté tient à son allure d’un autre âge, celle d’un représentant de commerce de luxe d’une tout autre époque. Mais l’enfant a dit non, et elle enserre dans ses bras et revient à sa joie. Que nos vacances commencent ! On y va ? On y va. Et tous deux, femme, enfant, se tenant par la main, se mettent ensemble en marche direction la sortie. Et cinquante ans plus tard l’enfant se demandera encore pourquoi il a dit non, pourquoi il a dit oui, et ce qu’il a l’a perdu ici, dans l’intervalle qui reste, entre le marchepied et le quai de la gare où l’on va. On y va ? Dis-moi mon grand, est-ce que tu sais porter une gare ? Deux gares ? Trois gares ? Six gares ? Cinquante-six gares ? Tu ne sais pas porter cinquante-six gares ?

Codicilles :

 Personnel : j’ai choisi un geste compliqué, ou plutôt un enchaînement rapide de plusieurs gestes, qui m’étaient quotidiens mais peut être par trop important. Je n’ai pas su m’en détacher et je me suis peut-être un peu enferré à en rassembler la répétition dans un ensemble. Je n’ai pas voulu regarder la présentation des autres pour ces gammes #5 et j’ai raté les visioconférences des 10 et 17 juillet pour cause de travail.

 Cinéma : j’ai pensé à Hitchcock, aux trains qui rentrent en gare, à lui qui monte un violoncelle ou une contrebasse je ne sais plus, dans l’inconnu du Nord-Express. Je l’ai aussi imaginé descendant son violoncelle d’une voiture Corail. Je voudrais le rajouter dans la liste mais il est plus que temps d’envoyer cet exercice pour profiter des vacances et rattraper les wagons des exercices suivants.

 Ferroviaire : plusieurs milliers de voitures Corail sont encore en fonction sur le réseau SNCF. Il existe deux types d’ouvertures de portes ; Mielich, système à poignée, la porte se replie sur elle-même pour s’écarter et dégager l’espace, ou Faiveley, système à bouton carré vert, la porte coulisse. J’ai choisi le système Mielich, le plus ancien et sans doute le plus courant, sur les trains Corail.

4. insomnie, errance, espérance


proposition de départ
insomnie 1, espèce d’errance (ton dur)

J’erre. La nuit continue de pencher. Je tourne carré. J’occupe tour à tour chaque espace de mon appartement ; bureau, salon, chambre, et la cuisine — salle de bain, mais sans personne pour me dire : « comme c’est original cette douche dans la cuisine ». Chambre, lit, clavier, canapé, cuisine, évier, café tant qu’à faire. De la fenêtre ouverte du salon un peu de vent, d’air tiède. Je m’en rapproche. C’est la rue, la nuit noire, la nuit blanche, au sol des aplats noirs, des lignes blanches, en face enfoncements noirs et encadrements blancs. Mon insomnie s’écrit, comme souvent en blanc sur noir. Aucune voiture au carrefour, le feu rouge pour personne. L’orange clignote sans fin. Orange pour personne. Véhicules immobiles sur les deux rives, toutes les places sont prises, les vélos serrés en grappe. Aucun bruit n’extérieure, j’entends surtout mon bruit de tête. Un disque, ça s’écoute, mais pas fenêtre ouverte quand ça dort de partout. Je reprends mon clavier. Je pourrais finir ça, ce travail. Quitte à être épuisé d’une nuit blanche complète, au moins ce serait fait, d’autant que finalement, j’en ai bien assez fait et j’en ai même trop. Je sais qu’il me faudrait surtout plus de sommeil. Je n’ai plus vingt ans, ni trente, ni quarante, mais cinquante. Cinquante. Café. Chicorée. Chorégraphie et voici que je redessine mon corps à l’infini. Chambre. Lit. Livre. J’éteins tout à nouveau. Je compte jusqu’à cinquante, cinquante et un, cinquante-deux. Je recompte. Me relève. J’ouvre cette autre fenêtre et cherche le courant d’air. Il vient. Je me rejette sur mon lit, mais je perds ce fil d’air, lit trop loin ou trop bas du courant d’air, je pars en vrille, le vent ne porte plus. Je pense que je suis au-delà de la fatigue, mais encore en deçà de l’épuisement. Elle n’est pas là. Je n’en dormirais pas. Je connais la fin de l’histoire. Elle n’est pas là et rien ne me calme à cet instant. Rien ne me prend non plus dans le courant des choses à faire. Le temps des choses à faire démarre seulement dans quelques heures, et en attendant j’erre. J’erre en célibataire, dans ma chambre célibataire, sur mon grand lit célibataire, mes étagères célibataires, ma colloc de célibataire, avec sa douche dans sa cuisine. Une cuisine – salle de bain, c’est original ! Mais n’est-ce pas quelque peu exhibitionniste ? J’aime bien, c’est vrai. Mais c’est juste une douche, et c’est juste ancien. Une douche à l’ancienne qui a remplacé la bassine qu’on mettait entre l’évier et la gazinière. Et si tu restes, on fera attention. On fera peut-être autrement. On trouvera. Si tu veux prendre une douche maintenant je te laisse dans la cuisine et je vais ailleurs dans le salon ou mon bureau. Tu m’appelles quand tu veux ou quand tu as fini. Voilà. Tu as fini ? Tu as fini de délirer dans l’insomnie ? Parce que là, il n’y a personne, tu sais ? Bien. Tiens ! Range quelque chose. Fatigue—toi. Tourne—droit. Range tes textes. Relève—toi. Je pose le Mac sur le bureau. Je ressors du mode veille. Mot de passe : efface tes données. J’hésite à vider ma corbeille trop rapidement. Je fais plutôt une sauvegarde.

Vider sa corbeille fait venir le sommeil.

insomnie 1, espace d’espérance (ton doux)

Je gère. J’ai bien appris à faire tout seul, avec Angoisse et Insomnie, quand elles viennent toutes deux, sur rendez-vous, ou sans prévenir. De fort longtemps, éveillé à la nuit, je sais quand elles vont survenir. L’éveil à la nuit même, et l’inquiétude du lendemain, sont signes de cette venue. L’angoisse et l’insomnie me viennent ensemble de ma rue, à pieds ou en taxi. Elles passent les portes cochères. Elles apprécient nos digicodes. Elles remontent l’escalier, prennent parfois l’ascenseur. D’une façon ou d’une autre je les entends déjà sur mon palier. Elles rentrent dans mes serrures blindées, elles sont mes clefs perdues. Elles savent où me trouver, dans la pièce où je suis. Mais selon j’ai les armes et quelques sortilèges. Si je suis au travail, à ma table de travail, elles doivent attendre encore. Je sais là les bloquer quelques temps. Il me suffit de penser à me regarder travailler par-dessus mon épaule. Se faisant, me regardant par-dessus mon épaule, je les empêche, de me toucher, de me paralyser et je m’autorise à continuer d’écrire et terminer mes phrases. Mais l’heure tourne, et elles n’ont pas la notion du temps et je finis par m’arrêter. La nuit l’heure tourne toujours en leur faveur. Si je suis au salon, à lire, procrastinant, leur tâche est plus aisée. Ma concentration lâche et je pense aux ratages. Je cherche mes affaires. Les objets s’éparpillent. Et tout manque à l’appel de ce dont demain à besoin. Sans oublier de me faire oublier l’essentiel, l’angoisse prend le pouvoir et installe son ménage. Une chose rangée est vérifiée, revérifiée et bien sûr reposée à côté, donc, instantanément perdue. L’heure tourne encore. La fatigue se panique. Cette panique m’alerte. J’en appelle alors à une ruse qui demande expérience et à n’utiliser qu’à ce moment précis. J’ouvre grand mes fenêtres et assez tranquillement, m’y assois dangereusement. C’est assez haut sur rue. Elles pensent avoir gagnées. Mais regardant la rue, je sens l’air, je m’installe et je fume, si possible je bois chaud. Je regarde la nuit, ce ciel de couleur noire étiré de hauts nuages blancs. Je regarde le vide, bras et jambes vers le vide et ce qui se devine aux fenêtres des autres. Cette mise en danger, assis à la fenêtre, elles ne la comprennent pas. L’insomnie est une table une personne, réservée pour diner, dont le service en salle ne crache pas sur les restes. Là je leur donne à manger, l’entrée de ce diner. Et mis en appétit, pour le plat principal, je me rends dans ma chambre. Elles me suivent. Je m’allonge sur mon lit, couché sur un côté. Elles ne se gênent pas. Elles se font plus pressantes, elles se font oppressantes. Ma peau figée se glace et je me recroqueville. A nouveau elles se disent le voilà bien coincé mais sans leur crier gare je prépare l’évasion. Lentement et dans un même mouvement j’allonge une jambe et remonte un genou. Je cale ma position. Lentement et dans un même mouvement j’allonge un bras et je remonte une main. Je les caresse toutes deux, caresse surtout l’angoisse. Je ferme les paupières. Je les regarde écrans, mais sans m’y attarder. Et dans ce noir profond je travaille à nouveau et mets mon énergie à tomber l’angoisse. Et j’y tombe entièrement comme une pierre dans le puits, rien de moi ne la fuit et j’y trombe en un trou noir sans plus le moindre espoir et ma chute, en l’espèce, créée l’espace.
Je sais qu’à mon réveil elles auront tout perdu.

Codicille : Pour figure de solitude le choix de l’insomnie.

L’insomnie se vit solitairement.

Quand elle s’invite, elle s’impose, elle ne s’évite pas.

J’ai essayé l’insomnie qui tourne mal, dans l’évitement, sur un ton dur, et celle qui tourne bien, dans l’affrontement, sur un ton doux.

3. quitter Nanterre-Ville


proposition de départ

Quitter Nanterre-Ville (version longue).

Paul a quitté Nanterre-Ville par Nanterre-U et sa mère avec. Le 21 octobre 1985, il a quitté Nanterre-Ville et sa mère et le lui a écrit. Il lui a laissé des mots qu’il imagine enragés sur la page arrachée d’un cahier grands carreaux encore vierge, ce lundi d’octobre 85, aux aurores, avant cours et TD qui venaient à peine commencés, auxquels il n’ira pas, il est parti comme ça de Nanterre-U. Il a laissé le mot bien en évidence sur son bureau, une grande planche blanche, sur deux tréteaux de métal, et le cahier il l’a pris avec lui, ainsi que quelques fringues, son opinel, un seul livre dans son sac, et le sac sur son dos, il est sorti du pavillon par la fenêtre de sa chambre, par discrétion et aussi comme toujours par bravache à se suspendre au rebord pour sauter en silence dans la rue Alexandre Dumas. Il se dirige d’abord vers Marcelin Berthelot. Il monte sur le toit d’un garage, prend un caillou dans une gouttière et le jette sur la fenêtre de Martin qui sait ce départ et attend ce caillou. Martin se penche un peu qu’ils se voient mieux. Ça dort encore. Ils se font simplement chacun deux fois un signe de la tête. Pour Martin le départ de Paul est entendu mais incompris. La veille au soir, jusque tard, Martin a vu la frayeur de Paul continuer de se transformer en délire enthousiaste que plus rien ne pouvait interroger. Il a perçu que la peur de Paul, cette peur à fou rire au lycée, ce moteur à tout risque dans la cité, il a compris que cette peur de toujours a muté en une pure angoisse dès la rentrée universitaire. La peur s’est butée, cristallisée, décadrée, une trouille des autres, de tous les autres, une paralysie, et maintenant cette solution, partir, partir tout de suite, immédiatement, une fugue majeure. Paul lâche le premier cet échange de regards, saute du toit du garage et repart vers l’Université parce que c’est par là Paris et au-delà. Sans sommeil il demeure exalté, il se sent libéré. Il traverse les voies SNCF par le petit chemin et remonte au RER côté fac par la passerelle, déserte, soleil levant, carte orange vers l’Étoile, la Gare de Lyon, les Cévennes, il ne reviendra jamais à Nanterre-Ville. Jamais. Penses-tu ? Il faudra qu’il revienne à Nanterre-U. Ce départ est fou. Et pour cause il ne sait pas qu’il fuit, ne sait pas ce qu’il fuit, ni qui il fuit. Il ne sait quasiment rien de l’autre, rien encore de ce que sa mère lui cache sur l’autre. Il a bien un souvenir mais rien pour le relier à sa panique. Les pauvres mots qu’il a laissés ne sont rien comparer à ceux qu’il l’écrira 30 plus tard quand il saura. On ne peut pas quitter ce dont on ignore l’existence, il n’y a alors pas d’autre choix que d’en remonter le fil.

Quitter Nanterre-Ville (version courte)

Au cours de sa vie Paul a quitté 1001 fois Nanterre-Ville, Nanterre-U, Préfecture, sa mère, son père, ses frères, ses sœurs, ses cousins, ses cousines, ses copains, ses copines : 30 ans de départs de gosse. Jusqu’au soir où il a fait cracher sa valda à sa mère et son histoire sur Nanterre Université et cetera et que je te raconte à nouveau cette histoire mais tu remarqueras sans jamais nous dire exactement ce que sa mère lui a vraiment dit ou pas, jusqu’au jour de ses 50 ans où pour qu’il arrête le disque on lui a tous offert un atelier d’écriture. Une smart Box Creative Writing, et pas en promo. Et bien ça a marché comme sur la lune, ce que sa mère lui a vraiment dit il l’a écrit dans l’atelier et écoutez bien le truc Nanterre deux-points ouvrez les guillemets « 

Pour la version longue / roman
 1) J’ai d’abord écrit Je. Comme je ne m’en sortais pas j’ai plutôt cherché à faire appel à un narrateur omniscient et extérieur (cf 1-2)
 2) J’ai eu du mal à m’arrêter

Pour la version courte /nouvelle
 1) j’ai changé de point du vue, sans doute celui du Martin bien des années plus tard
 2) pour faire plus court j’ai pris la forme d’une conversation plutôt à l’oral. En général cela dure moins longtemps.

1 & 2. puisque c’est comme ça


proposition de départ

De part et d’autre du chemin qui amène à l’ancienne ferme, les véhicules, voitures et quelques camionnettes, venant de tous les villages environnants, se sont garés sur l’herbe qu’on n’aura même pas fauchée. Pour l’événement les gens ont envahi la cour. On n’a jamais vu autant de monde, même aux mariages d’aucun des membres de cette famille dont cette vente aux enchères signe la fin. Et cette foule se déplace en vagues à-coups, en suivant la sono du crieur aux enchères, l’homme en bleu avec son grand chapeau noir, qui vend tout, tout ce qu’il voit, tout ce qu’il désigne du bout de son parapluie, ou lui tombe sous la main, comme il marche à grands pas entre la maison, le corps principal, bien haut de deux étages, la grande grange, les deux autres granges, l’étable, la fosse, la petite porcherie, les deux celliers, tous bâtiments déjà vendus 400 000 aux Parisiens chez notaire la semaine précédente. Et 400 000 pense le père, c’est rien. Pour les terres, on s’est arrangé avant comme il faut. Et ce dimanche si la ferme est sans animaux, du jamais vu, c’est qu’on les a tous vendus hier. Ce dimanche on vend la fin du travail, le matériel agricole, du plus gros au plus petit, et après merde, comme le père l’a dit à son fils : puisque c’est comme ça, on te ferme la ferme. Pour le gros matos ce matin on a fait les enchères sous la grange, et tout vendu, la moissonneuse-batteuse, les trois tracteurs, le vieux Massey encore rouge, et tous les autres engins, herses, charrues, bineuses, rouleaux, une déchaumeuse toute neuve, une vis de tarare et les remorques, trois, et j’en passe et maintenant c’est autour de tout le reste, des sacs d’engrais, des bâches, des enroulés de barbelés, des auges, des seaux, une pompe, des tôles, des bidons, une tonne d’eau, un gyrobroyeur, des outils, de la ficelle, un arrosoir, une grande bassine, pelles, pioche, tout je vous dis, tout, il n’en restera rien de cette ferme. Et ils suivent en famille, en couple, en copains, celui qui crie au micro portable les quantités, noms et prix des objets avec un tel accent percheron que les Parisiens ne comprennent de rien, même pas les chiffres. Les voisins, les vrais, sont restés pour parler entre eux, du côté de la fosse. C’est eux qui ont acheté les terres, le petit Bois, et tout le plus gros. Ils se mettent encore d’accord pour comment on va aider Dubreuil à démonter et remonter par chez lui le hangar métallique à travées de 6 mètres. Le petit d’Étienne lui s’achète l’établi à bois, 15, et une caisse à pommes pleine d’outils en vrac, 5. Il a repéré de bons ciseaux dans cette caisse. Un gars de La Bassée a pris les clôtures électriques. C’est Gilberte qui a acheté le fusil, et sur ce fusil silence, personne n’a renchéri. Ça évitera encore plus de malheur qu’il n’y en a déjà dans cette fête. Comment dire que c’est comme si c’était la fête quand même ? Deux jours de vente. On a aussi monté la buvette. Le charcutier de Saint Anthelme fait des sandwichs rillettes, jambon, andouille. Il a aussi ramené son vieux triporteur à glaces. Il précise bien que non son triporteur n’est pas à vendre. Sur la pierre plate, au seuil de la maison, les Parisiens diront bientôt Le Manoir, le père reste à côté des Parisiens, malgré la gêne, il se tient droit comme il peut, dans son dos une main tient l’autre serrée au poignet. Il voit son fils qui est venu. Le fils a laissé sa moto à l’entrée du chemin, tout au bout. Il a marché vers la cour, mais n’y pénètre pas. Le bleu qu’il porte c’est un jean neuf. Il garde son casque à la main. Il salue ceux qui s’en vont déjà mais il n’entrera pas. De là, il reste à l’écart, il veut voir. Sombre histoire.

Ce texte pour rattraper la marche d’approche #1 & #2

28 juin 2020


 



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1ère mise en ligne 28 juin 2020 et dernière modification le 15 novembre 2020.
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