Mike Kasprzak | Troisième oeil et compagnie

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l’auteur

« Mike Kasprzak est un auteur de romans, nouvelles et poèmes. À ce jour, il a bouclé un recueil de nouvelles qui sera publié aux éditions La matière noire, un recueil de poèmes et un roman en cours de publication. Arrivé sur le tard la plupart du temps, il raconte sa vie, arrangée ou non, brodée ou roulée dans la merde – l’odeur ne l’effrayant pas – et la manière dont il essaye de s’en sortir.

« Chez lui, rien est assez surprenant, étonnant, vivant. Le monde entier semble trop lent et trop surfait. Il hait la suffisance et la médiocrité, aussi bien la sienne que celle qu’il constate tous les jours un peu partout.

« Mike Kasprzak est un auteur en guerre – dès le matin, comme il le dirait lui même – contre tout ce qui peut asservir l’homme et lui enlever sa force et sa folie.

« Enfin, Il est un membre fondateur de la revue Cohues, revue de littérature et d’art graphique, dans laquelle il publie régulièrement des nouvelles et des poèmes. »

Visiter son site perso. Le suivre sur Facebook ou sur Twitter @MikeKasprzakFr.

le pitch

« Une nouvelle qui a vu le jour un matin, au réveil, en saisissant encore la force du rêve qui a vu naître l’histoire. L’intérêt de cette nouvelle est qu’elle semble partir sur une base science-fiction alors que ce n’est pas du tout le genre habituel de l’auteur. Elle traite ensuite, de la soumission, de la solitude, et de la difficulté de trouver sa place dans le monde. »

Repérée sur son blog, la voix étonnamment vive et rythmique de Mike Kasprzak, et une façon d’embarquer la short story dans cet univers familier aux Américains, sans se préoccuper des bords, et les univers de la science-fiction ou de la fantasy à égalité des autres terres d’imaginaire, ici le rêve. Content qu’il ait immédiatement accepté de proposer un texte pour nerval.fr, une veine qu’on est bien décider à suivre et renforcer.

FB

le texte

 

J’ai fait un drôle de rêve c’te nuit. Et j’avais rien pris ou quoi. Ni drogue, ni bière, ni vin, ni prière ou quoi que ce soit. Pas mon genre. Quoi que.

On devait être en fin d’après-midi vu la gueule du ciel. Et je me suis retrouvé au milieu d’une foule en mouvement. Ça puait la panique et je ne comprenais pas ce qui se passait. Si c’était un concert de Justin Bieber ou autre qui dégénérait, ça allait être le cauchemar. Donc j’étais là, bousculé par une flopée de bras, de jambes, et de corps inconnus, sans trop savoir pourquoi et tout le monde a eu l’air tétaniser d’un coup et ça s’est mis à courir. Mais je n’arrivais pas à comprendre ce qu’il se passait. J’ai cru voir des chevaux derrière nous. Peut être la Garde Nationale, j’étais peut-être dans une de ces putains de manifestations de hippies pacifistes qui finissent forcément par mal tourner, mais ça allait trop vite pour que j’arrive à bien cerner la situation. Je ne pouvais que suivre le mouvement.

On devait être dans une sorte de ville, pas une grande ville, peut-être un quartier, genre résidentiel et là, la route tournait à 90° vers la droite et droit devant nous ça montait tout d’un coup dans la forêt et on se disait qu’on allait jamais réussir à tous grimper là dessus, que c’était trop raide, trop instable, mais on a été bien obligé. J’ai vu des trucs voler au-dessus de nous, comme des coups de carabines, mais ça tirait jaune fluo et d’un coup une espèce de passage s’est ouvert, un gros tourbillon bleu qui nous aspirait et on était obligé d’aller se jeter dedans. Derrière ça hurlait, c’était peut-être la guerre, peut-être des aliens ou conneries de créatures dans ce genre, j’en savais foutre rien et je ne pouvais que suivre le mouvement.

D’un coup, on s’est tous retrouvés avalés, gobés, bouffés, et recrachés dans une autre dimension. OK. Le type délire dans ses rêves, oui, mais bon. Vous aussi non ? Et sinon peu importe. Donc on se retrouve tous là, comme dégueulés dans une dimension parallèle. Illico presto, j’ai pris le pouls de la situation. Rêve ou pas. Je savais qu’il fallait vite s’esquiver. À peine sur mes genoux, j’ai sauté sur le côté et j’ai atterri dans des sortes de buisson. Des buissons noirs, brûlants et tranchants comme la gueule d’un requin affamé.

De mon poste, j’ai vu défiler une bonne centaine de personnes, peut-être même plus, pas facile de rester précis dans ce genre de situation. Je me prenais pour un soldat en guerre. Ou plutôt pour un survivant sur une planète hostile. Puis j’ai vu sortir – ou rentrer, dépend de la où on se place – nos assaillants. Ils montaient des chevaux violets et avaient une gueule de squelette. Que du cartilage sur leur gueule. Une gueule de mort, rien à dire. La Mort sur le visage. Blindés de haine et de meurtre. Mes pauvres congénères en prenaient pour leur grade. Pas l’habitude de tout ça, de la violence, de la guerre, des coups de fouet, de la sueur, du courage, de la résistance. Ça suait de trouille.

J’ai regardé la cavalerie fondre dans la vallée et le portail s’est refermé. C’est dingue comme on arrive à donner des noms précis à des choses abstraites ou inexistantes. Je viens de désigner logiquement un passage entre deux dimensions parallèles par le nom de portail ! Toute une magie !

Je suis resté dans mon coin un petit moment. Comme si j’avais développé instinctivement une sorte de génie militaire. Les lectures d’Hemingway ça, sans aucun doute.

Alors j’observais la situation. C’était un pays en guerre à n’en point douter. Il faisait nuit aussi, enfin je crois. Le ciel était teinté de mauve et il y avait très peu de lumière, mais peut être bien que c’était leur jour à eux ! J’entendais hurler, et gémir, et courir, et peut-être mourir aussi. La cruauté régnait, ça se lisait sur le paysage.

Fallait que je trouve comment me barrer de là. Mais pas facile. Perdu comme ça, seul, dans un monde hostile, sans attache ni rien, sans repère.

Juste en face de moi, de l’autre côté de là où j’ai débarqué, j’ai vu qu’il y avait un bâtiment. Ça entrait et sortait. Peut-être un poste de contrôle, une taverne ou quelque chose du genre. Il y aurait sûrement des renseignements à choper là bas, je me suis dit. J’y ai été discrétos. J’y ai vu un humain. Il faisait le guet ou quelque chose comme ça.

« C’est quoi ce bordel ? je lui ai gueulé.
— Chut, chut !!! Tu viens d’arriver toi ! Fais pas tant de bruit, on va se faire repérer !
— C’est quoi ce bordel ? je lui ai dit.
— Bon OK ! Ce qu’il se passe, c’est qu’ici on est pas sur Terre. Ici c’est la guerre. Je sais pas d’où ils ont débarqué. De très loin sûrement. Mais ils sont armés, méchamment armés ! Et indétectables. Faut pas compter sur l’armée pour les déglinguer. Ce qu’ils cherchent c’est de l’humain. Pour le faire bosser. Ni plus ni moins. Il cherche de l’esclave c’est tout. Et l’humain a du potentiel à ce niveau ! »

Ça, j’en doutais pas. J’avais passé pas mal de temps à bosser dans des boulots de merde, et voir l’humain servir d’esclave, et même le voir avaler tout ça jusqu’à ce qu’il en soit heureux, ça ne me choque pas. Ils avaient bien choisir leur cible. Mais comment sortir de là ?

— Oh mec – parce qu’il était humain aussi – comment ça se fait que toi, il te laisse libre ? Y en a d’autres des comme toi ? Comment je peux sortir de là ?
— Écoute, nous, on a des couilles, on en a dans le calbute, et on a refusé de bosser, malgré leur coup de fouet et leur torture. Alors ils nous on relâché. C’est pour ça qu’on est là, libre.
— Mais pourquoi vous retournez pas de l’autre côté alors ? Au lieu de rester là !

Le type s’est mis à rire et j’ai pas compris tout de suite pourquoi, mais peu importe.

— Bon, dis-moi comment passer de l’autre côté !
— Bon, écoute, c’est pas si dur. Le passage s’ouvre à une heure bien précise. Le seul souci c’est qu’il y a des gardes, mais je peux leur graisser la patte. Tu m’as l’air d’être un gars bien, donc je peux faire ça pour toi. Mais je suis sûr que tu reviendras. Ha, ha, ha.

J’ai pas compris pourquoi il s’est mis à rire comme ça, mais je lui ai dit que ouais, j’étais OK pour repartir de l’autre côté. Il me restait deux heures à attendre.

Alors que j’attendais, j’ai vu un des ces crânes maltraiter un des miens. Merde alors, ça me faisait chier quand même. Je savais que c’était juste un pauvre type, un parmi des milliards, mais quand même. Je voulais l’aider. Courage ou pas. Rien à battre. Amour de l’autre ? Chiure ouais ! Je voulais surtout tuer de l’ennemi.

À côté de moi, j’ai vu une pierre, je l’ai ramassé, et je l’ai balancé sur crâne d’os. Je sais pas si c’est la gravité ou quoi, mais le caillou a filé. Droit sur sa gueule. Le type – ou quoi que ce soit – est tombé raide mort. J’ai été voir l’humain et il se tenait le visage comme un gosse.

— Merci ! Merci ! il m’a dit.
— On a pas que ça à faire ! Viens avec moi !

Je l’ai embarqué et je l’ai ramené près du douanier. Il m’a fait chier comme quoi on était deux, mais ça pouvait passer quand même.

— Bon ils vont sûrement se pointer d’ici 15 minutes – temps terrien – et là il faudra foncer dedans sans réfléchir ! Ici c’est la guerre ! Il doit y avoir un millier de morts par jour, y a du sang, du viol, du meurtre, faut pas traîner si vous supportez pas ça !

Je le regardais d’un drôle d’oeil. Comment lui pouvait supporter ça ?

On a attendu un peu et en effet, le portail s’est ouvert, on entendait toujours la mort hurlait dans les collines. J’ai dit à mon gars :

— T’es sûr que tu veux y aller ?

Il m’a dit oui, sans hésitation et je me demandais bien pourquoi je lui avais demandé ça !

Le gars du portail nous a dit « c’est bon allez-y ! » et on y a couru et on est revenu de l’autre côté ! Sur la Terre ferme ! Sans chevaux ailés, ni coups de fouet, ni buissons noirs et brûlants.

On est retourné au point de part, dans la ville. Le gars m’a dit qu’il habitait pas loin alors je l’ai suivi. Sur la route on a discuté.

« J’ai eu peur avec tout ça ! J’ai mon boulot ! Ma femme, ma fille, tu comprends ? »

Et oui, je le comprenais, j’ai une fille aussi – dans la réalité, pas dans ce rêve, enfin il ne me semblait pas –, pas facile tout ça. Je l’aimais bien quand même ce gars, même s’il ne ressemblait pas à grand-chose.

Je le suivais vers chez lui et on discutait de sa vie. Il se plaignait de sa femme, de sa fille, ouais, normal. On est arrivé près de sa baraque, et il m’a dit :

« Bon j’habite là, à bientôt ! »

Et c’est tout. Je l’ai vu partir là, le dos courbé, avec son presque rien dans le calbute ni autre part. Et je pensais qu’il allait au moins se retourner et m’inviter à boire un verre. Mais non, rien, que dalle.

Je l’ai regardé rentrer chez lui. Dans sa belle baraque. Il est passé par le jardin sur la droite et sans même me faire un dernier signe il a disparu.

Je restais là, seul, dans ce quartier résidentiel. Si, vous savez, ces quartiers, avec une centaine de bicoques, toutes pareilles, collées les unes aux autres, avec des petits jardins devant et derrière et rien d’autre ailleurs. J’étais là seul, au milieu de tout ça, au milieu de toute cette normalité, avec une sorte d’espace vert devant les habitations, comme pour aller faire jouer les gosses, et les étoiles, au-dessus, avaient l’air bien ternes et rien ne vivait autour de moi. Rien ne vivait. Et j’errais là dans leur banalité. Et tous ces pavillons étaient fait pour héberger des couples tous pareils, trente-quarante ans avec des gamins assez jeunes. Et ça se comprend. Chaque baraque était habitée par un couple, qui faisait des marmots, et quand ces marmots avaient l’âge de se tirer, genre dix-huit ans, pour le boulot ou l’université, le couple se retrouvait seul dans une habitation bien trop grande pour eux et revendait à un autre couple de jeunes qui allait faire des gosses jusqu’à ce qu’ils se cassent, etc. Comme un renouvellement d’êtres humains. Comme un flux de marchandises.

Je me suis promené un peu là dedans. J’étais seul. Je n’avais nulle part où aller. Une femme s’est pointée, elle devait rentrer chez elle, et elle marchait dans ma direction. J’ai eu envie de faire causette, mais quand elle est arrivée à ma hauteur, elle regardait ailleurs, par terre peut-être, la gueule plantée sur le bitume. Pour m’éviter. Inhumaine. J’ai pas cherché. Ils sont justes là pour aller bosser, bouffer et engendrer de la marmaille. J’ai quitté ce quartier d’ahuris et je me suis retrouvé sur la route. Aucune idée d’où allait. Dans ce rêve, j’étais peut-être clodo, vagabond. Inactuel. Ça transpirait la solitude et le silence partout. J’ai regardé les chemins que je pouvais prendre. Rien. Pas un bruit, pas d’odeur, juste le gris de la chaussée et un ciel sans vie. Pas une âme. Merde alors. Même dans un rêve j’arrivais à me faire chier. Et eux ils devaient tous être pleinement satisfaits dans leur salon immense, la télé en fond sonore, les passions ayant déjà largué les amarres.

J’ai regardé tout autour de moi, et j’ai revu cette montée, la même que celle du début. Avec le tourbillon bleu comme le trou du cul d’un Dieu fou au sommet. Merde, je me suis dit, je vais quand même pas retourner là-bas. Et si.

Je me suis posté et j’ai attendu. Si ça marche dans un sens, ça doit bien marcher dans l’autre. Et au bout d’un moment, j’ai été absorbé de l’autre côté.

La jungle. Ça bourlinguait dans tous les sens. Enfin un peu d’action, de sang, et de guerre.

J’ai retrouvé le type de la taverne et il m’a fait rentrer. Ça devait être la nuit et on était tous entre résistants. Ils m’ont payé une bière. Une bière extra-terrestre. Ça dégoulinait de vie – au sens propre comme au sens figuré !

Je me suis posé à côté d’eux, ils avaient tous des gueules venues d’ailleurs, trompe au milieu du visage, troisième œil et compagnie. On biberonnait peinard, suintant d’existence, des femelles extra terrestres sont sorties de nulle part et se sont mises à danser, lascivement, et elles savaient y faire, on se payait une bonne tranche, la Mort sous le coude, et au loin on entendait la Cavalerie en train de charger et on savait tous que ça n’allait pas rigoler. La Mort nous fondait dessus, mais on était là pour ça, la rage dans le creux du ventre, prêts à mordre comme des animaux furieux, on attendait tous d’en découdre, une bonne fois pour toutes, et de faire saigner l’Univers tout entier.



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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 juin 2013.
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