le roman de Marie Moscardini

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Après une formation à Aleph en 2014, elle anime des ateliers d’écriture depuis 2015 dans des cafés, bars, restaurants d’une petite ville en Saône et Loire. Un ouvrage collectif « Les mots dans notre vie » recueil de textes issus de ces ateliers est en cours d’édition. Elle considère toujours et de plus en plus que la vie est dans les mots écrits et que les mots écrits sont dans la vie. Son site : www.nouvelles-a-ecrire.

20. Les yeux fermés


— -

Dans la nuit de ses yeux, une espèce de féerie, où elle s’appartient, elle rêve, elle médite, livre si loin. Ouvrir les écluses, regarder sur la route, tourner la tête, tout passe, tout fuit, une mobilité immobile. Un voile, un village au creux des falaises calcaires, des plages accueillantes. Au loin la Tour Eiffel illuminée, un chemin étroit, la chaleur impressionnante, la côte multiforme dresse ses rochers. Entre le chemin et la plage de grands arbres donnent de l’ombre sur une large esplanade. Un hôtel accroché à la falaise, un canapé rouge, un escalier en bois, une terrasse, deux silhouettes en silence, les gestes suspendus, les fauteuils renversés par le vent de l’océan. Une femme dessinée en robe de soie brune observe au loin un oiseau blanc annonciateur de voyage. Un panneau au loin avec une inscription "tout est possible". Au creux d’un rocher rouge-sang en forme de cathédrale un cow-boy sur son cheval. Sur la plage des barques échouées, un vieil homme bleu, le tee-shirt trempé, pleure ses yeux dans l’horizon rose indien. Une dentelle pourpre enveloppe le village, la bibliothèque aux secrets est fermée, le chignon d’une femme est penché sur une table. Derrière une fenêtre un livre est ouvert sur une page sans lettres, sans mots. Les grilles de l’hôtel sont tristes. Une paire de jumelles au milieu du chemin étroit est accrochée à la haie d’aubépines. Les bancs du parc recouverts de froid n’ont plus de lumière. La nuit s’accroche aux pages du livre non écrit, les étoiles l’enveloppent d’un éclat d’espoir, une chouette hulule sous la lune. Le peintre ne lui est plus nécessaire, le tableau n’a plus besoin du peintre. Elle ouvre les yeux.

19. Journal d’Hubertine


Vendredi 25 janvier 2013 – Un oiseau blanc panaméen ouvre la voie à notre paquebot dans la dernière écluse face à l’océan pacifique. À droite, à gauche, devant, derrière il y a tant à capturer, à photographier, à filmer. Je pose mon appareil, je me laisse aller. A quoi bon lutter, je vais simplement regarder et un tout petit peu, tout emmener pour me rappeler. Tant d’émotion au cœur devant tant de splendeur, j’abandonne et je me donne au paysage, au lac, aux côtes et aux montagnes. Surgis de nulle part des grattes-ciels immaculés me font douter de la réalité : La ville de Panama un mirage sous le soleil éclaté de cet après-midi enchanté. Il y a des paquebots, des plates-formes, des oiseaux, des remorqueurs, des cordes, des sirènes, des bras agités du haut des terminaux, des hommes, des femmes rassemblés pour nous saluer, et puis « le Serenity » un immense paquebot déjà croisé à Grenade. Nous revoilà côte à côte pour le passage des écluses, et puis à nouveau la mer, les côtes, les immeubles de cristal s’éloignent : nous glissons. Le chantier du nouveau canal va continuer sur des falaises d’ocre rouge, les camions et les énormes bus à tête américaine vont continuer de rouler, de transporter la terre et les ouvriers. La jungle va sûrement reculer en tout cas sous mes yeux puisque je ne fais que passer. Les pick-ups colorés chargés de fruits passeront sur les ponts reconstitués parallèles aux écluses, les oiseaux chanteront. Au loin le vent brode de la dentelle d’écume sur les vagues du Pacifique : faisons route en direction de Puerto Vallarte un port de la côte mexicaine.

La tentation était grande. Événement autobiographique, j’ai retrouvé ma propre traversée du Panama, et Hubertine l’une de mes personnages, l’observatrice qui ne quitte jamais ses jumelles lors de ses promenades matinales, n’a pas hésité à s’en emparer. Hubertine est donc une voyageuse diariste, je l’ignorais !

17. Cher livre


Tu ne seras pas enfin arrivé
impossible à transporter
un labyrinthe désespérant
tu ne seras pas "à quoi ça sert"
tu ne seras pas mon rêve achevé.
Cher livre
Tu seras mon espièglerie
l’humour doux
le vent qui souffle sur tes pages
la vie demain et hier
les départs les retours
le cœur battant des grands chênes
la couleur des rubans de l’arc en ciel
le geste de la main qui écrit les mots oubliés
l’énergie d’un beau soleil
l’ombre allongée de tous mes étés
le froid de mes hivers désespérés
la lumière apaisante des habitants du ciel
Cher livre tu seras ma nécessité
tu seras mon cœur qui s’emballe
tu seras ma liberté, mon inattendu
tu seras mon rêve.

Je ne suis pas complètement dans une détermination négative dans cette lettre à ce "Cher livre" mais me suis laissée aller à l’inattendu de l’écriture. Une façon de renouer avec cet atelier abandonné depuis presque un mois.

15. Madame Silver


Dans la bibliothèque le silence règne. Madame Silver, la bibliothécaire, pose sur sa table le livre qu’elle vient de descendre de la quatrième étagère, la plus haute. Madame Silver n’est pas bavarde. Elle sait, elle ne dit rien. Elle entend les commentaires des lecteurs quand ils rapportent les livres –- celui-là il m’a rappelé ma grand-tante, celle qui a eu trois maris, tous morts à la guerre, celui-là m’a fait penser à mon voisin qui me demandait toujours de garder son chat. Mme Silver écoute, n’en pense pas moins. Son chignon posé sur sa tête comme un pompon est beaucoup plus expressif que ses paroles. Il dodeline, acquiesce, tremble, virevolte, sourit ou bien tempête quand le livre rapporté a été mal considéré. Madame Silver est une économe des mots. À quoi bon parler, tous les mots sont déjà dans les livres et bien mieux arrangés que les mots de ma bouche : voilà ce qu’elle pense. Ce matin elle a pris l’escabeau, est montée sur la plus haute marche et a pris son livre préféré sur la quatrième étagère. Elle ne l’a jamais lu. Elle s’est toujours contentée de le regarder, de l’admirer. C’est celui que Raymond empruntait. Au bout d’une semaine il le rapportait, n’en prenait jamais un autre. Puis il revenait, il l’empruntait à nouveau pour une semaine, le rapportait n’en prenait pas d’autre et ainsi pendant des mois. Madame Silver pensait qu’il aurait pu l’acheter, elle avait même fini par s’imaginer que ce manège n’était que prétexte à venir la voir. Sa vie, ses espoirs s’étaient au fil des jours, calqués sur le rythme des allers et retours de ce livre et de son lecteur. Et depuis trois semaines plus rien. Alors qu’elle s’autorise enfin la curiosité à ouvrir le fameux livre elle aperçoit par la fenêtre une silhouette qui s’apprête à pousser la porte. Son chignon hésite à se réjouir. C’est Hubertine une habituée de la bibliothèque. Elle parait bien agitée, bien pressée, à peine bonjour -– Avez-vous le livre L’or de Blaise Cendrars. ? Madame Silver en perd le chignon, cache prestement le livre descendu de la 4ème étagère.

Madame Silver pièce manquante du puzzle ? Je ne sais si j’ai réussi à la traiter sans empathie. Je l’ai considèrée. Elle s’est imposée et avec elle, non prévu, le lien à nouveau vers le livre L’or de Blaise Cendrars dont j’avais emprunté une phrase de la 4ème de couverture pour la P7 : « Il joue nerveusement avec l’anneau qu’il porte au doigt... » que j’avais transformée en « elle joue nerveusement avec l’anneau qu’elle porte au doigt.... » Et puis au-delà de ce livre ou grâce à ce livre, il y a Peter le mort qui parle, le chercheur d’or. Madame Silver ce personnage me permet aussi de mettre en scène deux de mes personnages : Raymond et Hubertine. Grâce à elle, j’ai l’impression d’apercevoir des clefs. Restent les portes à ouvrir.

14. L’observatoire


proposition de départ

Je t’ai vue hier soir ! Tu appelles le ciel ! Pas facile de choisir entre ciel et terre. Se faire brûler ou se faire enterrer. Je sais les questions que tu te poses. T’inquiète. Tout finit par se mélanger le ciel et la terre. Donc crois moi pas la peine de te tracasser, une fois mort on est propulsé dans l’infini. C’est pas si mal. En tout cas moi j’ai été enterré ! Je n’ai pas été brûlé. Joséphine m’a fait enterrer. Mais bien sûr pas dans la tombe que j’avais préparée pour moi et ma première épouse adorée Isidorine morte si jeune à Los Angeles. Mon chagrin était immense. Tu l’as vue cette stèle avec nos deux mains réunies, Isidorine et Peter. Je pensais bien la rejoindre un jour, là, dans ce cimetière de Prescott en Arizona. Le destin en a décidé autrement. Trop de Whisky un soir dans mon saloon avec les cow-boys, le corps avenant de Joséphine, et me voilà marié une seconde fois. Une femme à la maison pour un homme seul avec un saloon à s’occuper, finalement je n’ai pas regretté. C’était déjà mon deuxième saloon, le premier ayant brûlé lors d’un gigantesque incendie dans cette ville de Prescott. Il avait fallu tout recommencer mais les affaires marchaient bien. Entre parenthèse t’as vu il est chouette ce saloon, même si maintenant ils l’ont aménagé en boutique de vêtements, il reste reconnaissable. Donc pour en revenir à ma mort, un soir, je me suis affaissé d’un coup en allant donner à manger aux poules. Crise cardiaque. Oui je sais que tu le sais et je sais aussi que tu t’es dit – ça la fout mal pour un chercheur d’or de mourir en allant au poulailler – OK ! mais tu sais bien aussi qu’il y a La poule aux œufs d’or. Tu vois il est toujours question d’or. Et d’ailleurs, je me demande encore ce qu’elle en a fait Joséphine de notre poule aux œufs d’or. La lettre du notaire du consulat tu l’as lue ! Joséphine seule héritière ! Pas d’enfant avec Joséphine, pas d’enfant avec Isidorine. Non je n’étais pas stérile. Je peux bien te le dire à toi, toi qui appelles les cieux. J’ai eu un fils Hubert. Le soir où j’ai eu ma crise cardiaque j’avais dans la journée reçu la visite au saloon d’un jeune homme qui se prétendait être mon fils. Le fait est qu’il me ressemblait. J’avais eu une aventure, à l’époque de mon commerce de chevaux entre l’Argentine et le Chili, avec une jeune femme qui parlait français. La langue maternelle attire. D’après d’Hubert, et ce que lui avait dit sa mère qui venait de mourir, il y avait vraisemblance des faits. En même temps tu te doutes bien que j’avais eu d’autres aventures d’un soir. Les cow-boys ça se lave à la cow-boy et ça fait l’amour à la cow-boy, vite fait, bien fait et hop à dos de cheval à la conquête de l’Ouest. Oui c’était ça ma vie à l’époque. La belle époque. Un fils dans mon saloon ! Il parlait français ! Quelle émotion ! Le soir même mon cœur cède. Heureusement je n’ai rien abandonné. Je te le dis, c’est pas parce-qu’on est mort qu’on abandonne les vivants. Je te le dis vraiment. J’ai suivi Hubert du haut de mon observatoire. Hubert qui revenu le lendemain au saloon pensant m’y trouver, apprend ma mort, la mort de son père un jour après l’avoir retrouvé. Il est reparti dans la famille de sa mère. Oui bien sûr tu ignorais tout de cette histoire. Tu te demandes pourquoi il n’a pas cherché à connaître les origines de sa famille paternelle. Nous n’avions pas eu le temps d’en parler et je crois qu’il a eu peur de faire mourir quelqu’un d’autre. Tu le vois annoncer à mon frère et à ma sœur – Je suis votre cousin, le fils illégitime de votre frère Pierre-Peter le chercheur d’or, celui qui est parti, qui vous a laissé seuls avec votre mère veuve – Tu le sais bien toi que je suis parti sans même leur dire au revoir, sans même les embrasser. J’avais 18 ans, aîné de la famille, mon père était décédé, et je les ai laissés seuls, ma petite sœur de 9 ans, mon frère de 15 ans et ma pauvre mère. Je ne suis jamais revenu. Je ne les ai jamais revus. Oui c’est vrai nous avons échangé quelques courriers, tu en as lu certains. C’est ainsi que j’ai appris la mort de ma mère et ils ont appris ma mort par une lettre de Joséphine. Non, non pour Hubert c’était impossible d’aller à la recherche de cette famille. Je sais qu’il s’est marié, qu’il a eu des enfants. Je vois tout cela de mon observatoire. Un avantage certain d’être mort : voir sans être vu ! Tu te demandes pourquoi je te raconte tout cela. Tu n’as pas une petite idée ? Hubert/Hubertine ! Çà y est tu captes ? Ben oui les morts ça parle franc ! Je me suis dit que tu avais bien besoin de moi pour faire avancer ton histoire. Par contre ne compte pas sur moi pour faire tout le boulot ! J’en ai bien assez avec tous mes vivants à aimer et à conseiller. J’arrête pas d’être sollicité. Se faire brûler, se faire enterrer ? Ils ne savent plus sur quel pied danser !

Circulation inconsciente de l’imaginaire. Cela m’impressionne cette histoire. Fiction ? réalité ? Peter ce mort qui me parle est le frère de mon arrière grand-père. En 2018, avec grande émotion, j’ai retrouvé la tombe d’Isidorine sa première épouse à Prescott en Arizona. Le nom de Peter – mon nom patronymique – est gravé sur la stèle. Ce cimetière dont les tombes sont sauvegardées est entretenu par une association. La deuxième épouse de Peter, Joséphine, l’a fait enterrer dans un autre cimetière de Prescott. Dans ce cimetière les stèles des pionniers ont été rassemblées dans une petite chapelle à vocation mémorielle. J’ai une bonne relation avec Peter, une relation joyeuse. Cela ne m’étonne finalement pas que ce soit lui le mort que j’ai choisi. Un vrai arrière grand-oncle d’Amérique. Tous ces prénoms en Ine – j’ai gardé volontairement les vrais – je n’avais jamais réalisé ce que j’en disais dans le codicille du texte trois. Circulation inconsciente de l’imaginaire.Trois jours que mature ce texte écrit à la cow-boy ! (Est-ce ma voix singulière, ma manière de phrase ? ) Des liens avec les précédents deviennent évidents. Hubertine un de mes trois personnages observe elle aussi comme Peter. Le texte sur les mains m’interpelle également. Des pistes pour la suite à venir ? Reste – entre autres – à mettre de la cohérence dans les époques, les générations. Un vrai travail de chercheur... d’or...

13. Les éventails


proposition de départ

Le fait que les éventails remuent l’air comme les drapeaux aux frontières, que l’air est à tout le monde, qu’il faudrait se concentrer sur sa respiration parce que sans respirer la vie s’arrête comme l’oiseau trouvé mort devant la porte ce matin au petit-déjeuner, que les pesticides interdits vont être autorisés pour la culture des betteraves sucrières, qu’il y aura des dérogations que finalement tout ça va continuer à polluer l’air qu’on respire même si on se concentre sur nos poumons, le fait qu’il y a des arbres coupés dans la forêt, qu’il faudra les transporter, qu’il y aura d’énormes camions sur les routes, et des voitures derrière eux en train de klaxonner parce-qu’on est toujours pressés, que la chasse est autorisée le mercredi jour de repos des enfants, qu’on ne peut pas aller se promener dans la campagne sans risque que les coups de fusils transpercent le silence, que les chevreuils atterrissent dans les assiettes les soirs de réveillon, le fait que chacun.e y trouve son intérêt, le fait qu’il ne sert à rien de discuter, comme les limitations de vitesse à 80 km/h certain.e.s sont pour et d’autres non, le fait qu’on fasse la fête des voisins, on n’est pas toujours d’accord, on boit un coup et on fait comme si, pour y trouver son confort, le fait que plus personne ne se sert de mouchoirs en tissu avec des initiales brodées, il y en a dans un tiroir là où son rangés les souvenirs qu’on peut toucher et respirer, le fait que les vêtements sont trop serrés sur les portiques de présentation dans les boutiques et magasins, le fait qu’il y en a trop que ça ne sert à rien, que des enfants au détriment de leur santé travaillent dans certains pays pour coudre ces vêtements et qu’on continue à en acheter au delà de nos besoins, le fait que le coleslaw est une salade populaire aux Etats-Unis, le fait que les vaches n’ont plus rien à manger dans les prés aux couleurs du désert, que les frelons grignotent les framboises, le fait que les noisettes sont bonnes à ramasser, que les médias sont des marchands d’angoisse, qu’un jour il fait canicule et le lendemain froid, que la chatte est très indépendante qu’il faut lui acheter des croquettes, que la viande pour chat elle n’en veut pas, que le temps n’est pas assez grand, le fait qu’en marchant j’ai lu Mrs Dalloway de Virginia Woolf, que j’ai trébuché plusieurs fois sur les trottoirs, le fait que je ne bois jamais l’eau du robinet, que je m’interroge toujours sur les signes que nous font incidemment les objets et le moment où ils choisissent de le faire, que quand je suis deux je ne pense pas toujours pareil, que la solitude s’installe en présence de l’autre, que nous sommes complètement tributaires des super-marchés pour la nourriture, que nous ne produisons rien, qu’il nous faut tout acheter, que les courses sont devenues une corvée à expédier vite fait, le fait qu’Elsa Triolet ait été la première femme à obtenir le prix Goncourt et que c’est la première et dernière fois pour un recueil de nouvelles, le fait que les appareils ménagers et les appareils en général ne sont plus fiables, que leur durée de vie est programmée à la baisse, enfin c’est ce qui se dit, et le fait que de toute façon il y a trop de magasins, le fait que c’est une difficulté de choisir tant il y a de yaourts dans les rayons et qu’en plus les adultes n’ont pas besoin de boire du lait, le fait qu’on nous manipule, qu’on nous infantilise, que nous perdons notre sens critique, qu’on nous dise ce qu’il faut penser, qu’on nous harcèle de publicités, le fait qu’Emily Dickinson, et bien d’autres femmes poètes ne sont pas assez lues, que la poésie devrait remplacer la publicité dans les journaux, à la radio, et qu’un poème devrait être lu chaque jour, qu’il devrait se consommer à l’apéro pour l’ivresse des mots, le fait que la terre est ronde, que j’y pense quand je marche, que j’ai conscience de cette planète suspendue dans l’infini et que sans la force d’attraction je ne tiendrais pas debout, le fait que les journaux servent aussi quand on épluche les légumes et que les épluchures atterrissent sur les photos des grands de ce monde, que ça m’amuse et que j’espère qu’un masque aux fanes de carottes ça pourrait leur remettre les idées à l’endroit, le fait que maintenant il y a une sonnette au portail avec une portée de 100 mètres et qu’en réalité elle ne fonctionne pas, le fait que sur la table basse il y a deux revues, Télérama et L’Humanité Dimanche et qu’elles on l’air de bien s’entendre, le fait que le coq chante et les cloches de l’église sonnent toutes les heures, le fait que sur le compte-rendu du conseil municipal il est écrit la demande de les arrêter la nuit, le fait que quelques hommes et femmes au pouvoir décident de l’avenir des peuples et que les chiens continuent d’aboyer, le fait qu’il faut choisir entre laisser pousser l’herbe ou désherber, le fait qu’il aurait peut-être fallu faire une grande baie vitrée, le fait que.

12. Ciel immuable


proposition de départ

Regarder fenêtre ouverte le ciel attendre allongée sans bouger étirer ce corps aux orteils recroquevillés impossibles à redresser les pieds déformés ne plus savoir avancer ne plus pouvoir être debout

les ondes des cordes redressées des nœuds aux pieds dans les mollets une espèce d’empêchement aux premiers pas le couloir est immense les yeux prennent le pouvoir la voix demande à soulever et emmener ce corps les larmes essuyées d’un revers de la main le mouchoir impossible à attraper

âme d’enfant dans ce berceau, le lit trop grand les barreaux les cris impossibles à déchirer le cœur brûlé d’espoir ne pas y croire ne se plus se projeter dans le loin de l’esprit

essayer jusqu’à la nausée se rassembler en boule crier ça va passer ne plus pouvoir s’étirer couper le fil rêver de l’impossible vouloir ne pas pouvoir entendre sous la peau vibrer les émotions rêver de s’envoler se déconnecter de la réalité entendre flux reflux frapper les murs vaisseaux sang de la mer agitée regarder fenêtre ouverte ciel immuable.

J’ai laissé aller et pour une fois n’ai pas trop tenté de corriger. Je sais avoir parfois un rapport très physique à l’écriture, le corps tout entier tendu vers l’imprévisible des mots.

11. Soulever la page


proposition de départ

Elle demeurait encore dans son corps
Parfois ses mains émettaient quelques signes
Posées sur le coussin elle semblait les regarder
Elle les rêvait peut-être plus agiles
Elle les désirait
Est-ce que ses mains se souviennent
De toutes les portes ouvertes
De toutes les larmes essuyées
Des jours à espérer
De la buée enlevée sur la fenêtre
Réchauffées à la chaleur de la cheminée
Déjà elles l’attendaient
Elles se disaient qu’elle lui écrirait
Si seulement elle avait pu lui caresser le visage
Lui prendre ses mains dans les siennes
Tenter de le retenir
Posées sur le coussin elle semblait les regarder
Se souvient-elle
De toutes les portes fermées
Du départ à jamais
Mais que faisaient ses mains
La seconde d’après
Ont-elles coupé les fleurs fanées
Peau transparente fine comme les pâtes
Quand elles sont étalées il faut voir lumière
Et puis sans attendre les couper
C’est ce qu’elle disait
Perdu son regard sur ces deux parchemins sans ombre
Comme deux chiffons usés par les rayons du soleil
Les travaux de la terre le lait à tirer
Les douleurs de l’hiver le bois à transporter
Revenir et embrasser
La chair des autres mains aimées et désirées
Il a ouvert et fermé la porte avec ses mains
Sans se retourner
Posées sur un coussin elle semblait les regarder
Elle demeurait encore dans son corps
Parfois ses mains émettaient quelques signes
Une lumière verticale en direction du ciel
Il en aurait fallu si peu pour soulever la page

« Il en aurait fallu si peu pour soulever la page » Cette phrase inspirée d’une poésie dont je n’ai retrouvé ni le titre ni l’auteur.trice m’a emmenée vers ce texte sur les mains. J’ai après plusieurs essais choisi de ne pas mettre de ponctuation.

7. un passé pas simple


proposition de départ

Et elle partit, et elle quitta Paris. La vue sur les toits d’ardoises, le canapé rouge du bel appartement troisième étage sans ascenseur, terminé. L’escalier est en bois, un vieux bois. Sur chaque marche elle regarde une dernière fois les esquisses tracées par le temps, patinées par les emprunteurs quotidiens. Elle photographie cette exposition d’œuvres naturelles à ses pieds. Peut-être pourra-t-elle les mettre en aquarelles un jour. Elle a quarante ans. À quarante ans elle n’a pas le temps, pas le temps de vivre pour rien. Et elle se mit à jouer nerveusement avec l’anneau qu’elle porte au doigt, le tourne, le change de doigt et se répète à mi-voix l’inscription qu’il y fit graver : « Tout est possible ». Tous ses souvenirs, toutes ses images sont liées au soleil, à la chaleur, à la mer. Il avait insisté, et une fois de plus il avait fini par gommer ses incertitudes. Et elle reprit ses pas dans une ville qu’elle ne connaît plus. Et elle se donna du courage en continuant de murmurer la phrase de l’anneau « Tout est possible ». Finalement il avait eu raison d’insister pour que ce soit ces mots là et pas d’autres. En cette mi-novembre les cimes des érables sont encore rouges et quelques feuilles couvrent partiellement les trottoirs. Elle meurt de faim. Levée tôt, sa décision prise de partir, elle n’avait rien avalé. Surtout ne pas perdre de temps. Elle passa devant une boulangerie. Ne s’arrêta pas. Au loin les sirènes des voitures de police.

Une suite possible au texte « Quitter Paris » version roman. À l’emploi du passé simple j’ai pris parfois le parti d’ajouter la conjonction « et » ce qui donne un texte différent dans la musicalité, et dans le donner à voir de ce départ. Un état d’âme particulier. J’ai essayé !

6. trois prénoms


proposition de départ

– La belle inconnue à qui je n’ai pas encore donné de prénom pourrait s’appeler Diane. Je réalise que ce prénom revient fréquemment dans mes écrits. Je ne connais pas de Diane. C’est un prénom qui n’est pas trop courant. Il évoque pour moi une certaine noblesse, une prestance. Référence à l’Histoire Diane de Poitiers. La belle inconnue est mystérieuse, quelqu’un de remarquable, avec également un côté amazone, une femme libre, indépendante. Elle est lumineuse, et très volontaire. En tout cas c’est un prénom intemporel qui lui convient tout à fait.

– Hubertine. J’ai remarqué ce prénom dans un livre ou une revue la veille de l’écriture de mon texte. Je l’ai trouvé original. J’ai déjà rencontré des Léontine, des Albertine, des Augustine, mais jamais encore des Hubertine. Actuellement ce n’est pas un prénom qui est donné. La terminaison "Tine", ce féminin accordé, accolé au prénom masculin m’interroge particulièrement. Cela peut être une perspective intéressante pour le caractère du personnage. La part du masculin, celle du féminin. Je me rends compte en écrivant que toutes ces terminaisons en Tine évoquent sans doute mon enfance. J’appelais ma grand-mère, grand-mère Tine, alors qu’elle s’appelait Mathilde. En fait la terminaison c’est Ine ou Tine selon le prénom masculin. Je n’exclus pas finalement un personnage dont le surnom, voire le prénom serait Tine.

– Raymond, le vieil homme prétendu muet. Ce prénom est venu naturellement se coller à l’adjectif vieux pour identifier mon personnage. Actuellement c’est un prénom qui n’est pas donné. C’est un prénom du passé. Si je fais le lien avec mon récit, je pressens que Raymond détient un secret lié au passé de la belle inconnue. D’origine germanique ce prénom signifie "celui qui protège par son conseil éclairé". Je vais je pense me servir de cette « mission » dans le récit. Il est courageux, réservé et il garde son sang froid en toutes circonstances.

Au fur et à mesure de mon écriture, de mes recherches sur les prénoms de mes personnages j’ai vu leur caractère s’étoffer, et même eu la révélation de leur raison d’être dans mon récit. Je pourrais bien encore « pousser » l’exercice. Le choix du prénom est très important. J’en parle en connaissance de cause ayant moi-même à répondre à trois prénoms selon les lieux, les personnes qui m’interpellent. Je sais que leur musique influe sur la personnalité. Ils sont tous générateurs d’émotions particulièrement différentes. Cela peut être parfois déstabilisant mais aussi enrichissant dans ce que cela nous révèle à nous-même. À creuser pour un autre personnage. Pour l’instant je n’en ai que trois.

5. sur la terrasse


proposition de départ
1

Sur la terrasse avant de s’asseoir elle arrange le fauteuil, elle bouge les coussins. Elle voit l’herbe entre les dalles.

2

Sur la terrasse elle prend son mouchoir. Avant de s’asseoir dans le fauteuil elle essuie les gouttes de pluie.

3

Sur la terrasse avant de s’asseoir dans le fauteuil, elle s’arrête, prête l’oreille. Elle se laisse bercer par le chant de l’océan, souvenir d’enfance.

4

Sur la terrasse elle veut se reposer. Deux fauteuils identiques. Elle en choisit un, considère l’autre, ne lui dit pas mais pense fortement "ne m’en veux pas si je ne te choisis pas".

5

Sur la terrasse, le soleil tourne, elle bouge son fauteuil. Il faudra qu’elle dise à la réception de laisser un parasol.

6

Sur la terrasse elle imagine d’autres terrasses, elle voudrait attendre quelqu’un. Elle n’a pas de téléphone portable. Elle l’a laissé dans sa chambre. Elle ne pensait pas qu’elle aurait envie de prendre une photo de l’autre fauteuil, en souvenir du sien.

7

Sur la terrasse, elle respire, elle est vivante, elle avance vers le fauteuil où elle a pris l’habitude de s’asseoir. Aujourd’hui elle ne s’occupe pas des nuages du ciel, elle se laisse aller à elle-même. Elle a envie d’être elle. Il lui disait toujours : "Tu as une drôle de façon de t’asseoir".

8

Sur la terrasse en s’asseyant dans son fauteuil, elle le voit lui qui l’attendait déjà dans l’autre fauteuil. Elle ne sait pas encore si elle le connaît, elle ne sait plus. Elle ne veut pas résister. Elle se dit que tout est possible. Elle ne sait pas si elle croit au hasard. Quelque chose en lui la dérange, l’attire aussi. Elle met ses lunettes de soleil. Elle est inquiète. Subitement une sensation d’étrangeté qu’elle avait oubliée l’oppresse. Elle se sent observée au delà des apparences. Il y a des êtres qui vous transpercent jusqu’à vous anéantir le cœur.

10

Sur la terrasse, assise dans son fauteuil elle se réveille. Étonnée elle se demande où elle est. Un instant elle a perdu son présent, son passé, reste juste la peur : Où suis-je ? Qu’est-ce que je fais là ?

Codicille : Toujours dans la continuité de mes personnages, j’ai imaginé la belle inconnue sur la terrasse de l’hôtel.

4. seul derrière la porte


proposition de départ
doux

Enfin j’ai réussi se dit-il. Il ouvre sa porte, prend le temps de quitter son gilet, le pose doucement sur le dossier de sa chaise. Il se sent bien vieux, bien seul. Personne à qui parler. Parler de toute façon il ne sait plus. Par la fenêtre ouverte, la nuit avec ses bruits avance jusqu’à lui. Il ferme la fenêtre. Ce n’est pas pour la nuit, mais il ne veut plus les bruits. Aller à l’hôtel l’a épuisé. Des mois qu’il n’était pas sorti. Le chemin du retour lui a accaparé entièrement la tête. Maintenant, il veut juste respirer le silence de ses pensées, les laisser venir, les apprivoiser. Il est inquiet, il se pose encore des questions, a-t-il bien fait ? Sur la table, le carton de photos est encore ouvert. Il en avait mis du temps pour la retrouver cette photo. Demain il rangerait, il tenterait l’ordre dans ce carton, il prendrait son temps, même s’il se dit qu’il n’y a pas d’ordre dans la mémoire photographiée. Il pense que même dans cette vérité capturée tout est relatif.

dur

Ouf ! ça y est, c’est fait. Il ouvre brusquement sa porte, enlève son gilet, le jette lourdement sur le dossier de sa chaise. Trop vieux, trop seul. Personne à haranguer. Gueuler de toute façon il ne sait plus. La nuit et ses bruits l’envahissent par la fenêtre ouverte. De la nuit il s’en moque mais les bruits il ne les supporte plus. Il claque la fenêtre. Se propulser à l’hôtel l’a complètement saoulé. Des lustres qu’il n’était pas sorti. Le chemin du retour une vraie prise de tête. Maintenant il veut impérativement qu’on lui fiche la paix. Tout à coup en proie à une sombre terreur, il se demande s’il n’a pas fait de connerie. Sur la table un carton de photos éventré crache tout son contenu. Il en avait assez perdu du temps pour la récupérer cette photo. Demain il finirait bien par le refermer ce foutu carton en le compressant de toutes ses forces. La mémoire photographiée il s’assoirait dessus et qu’il n’en entende plus jamais parler.

J’ai trouvé intéressant de travailler le personnage du vieil homme (P1 et P2) prétendu muet. J’ai tenté de donner de la voix à ses gestes et pensées. J’ai commencé par le ton doux, pour le calme, le juste épuisement, l’envie d’apaisement, une sorte de sagesse. Pour le ton dur j’ai essayé de donner à entendre et à voir, la vivacité, la véhémence, la colère, le ras-le-bol !

3. pourquoi quitter Paris


proposition de départ
rythme roman

Le bar spacieux et confortable est immédiatement accessible dès la terrasse de l’hôtel. La salle de restaurant est située plus au fond avec ses fenêtres donnant sur l’océan. Elle n’ose plus regarder par la fenêtre. Elle passe beaucoup de temps assise à son chevalet. Il lui faut tenir son chagrin à distance. Elle ne sait plus qui elle est et cherche désespérément à se retrouver. Plus elle avance en âge, plus sa ressemblance avec sa mère s’accentue. Le jour de sa mort, les poules et les coqs chantaient. Il n’avait pas supporté. Il avait trouvé ça indécent. Elle lui en garde toujours rancune. Elle a beau chasser cette image, elle lui revient au galop. De son voyage autour du monde elle garde le souvenir de la mer qui frappait le bateau, et elle à l’intérieur. À Paris dans le Jardin Anne Frank elle avait lu cette phrase écrite sur un banc : "Voir Paris en cendres et mourir". Elle en avait été bouleversée durant plusieurs jours. Place de la République elle avait vu aussi cet homme avancer vers elle. Il tenait un carton au dessus de sa tête. Elle avait lu le mot "Paix". D’autres mots étaient écrits sur le carton, elle n’avait vu que celui là. C’est peut-être dans ce rassemblement de couronnes de bougies posées à terre et allumées vers le ciel qu’elle avait compris. Il lui faudrait quitter Paris pour retrouver la paix. — C’est bien ce que vous faites, lui avait dit la petite fille penchée sur son épaule. — Toi aussi tu peux venir t’asseoir sur un banc avec un carnet et dessiner. — Oui mais mais moi je n’habite pas Paris, lui avait répondu la petite-fille. — Moi non plus et tu vois je dessine. Elle dessinait le jardin Anne Frank. Elle dessinait aussi le souvenir de ses autres jardins. Dans ses voyages elle cherchait toujours d’autres jardins pour rêver des siens. Quand elle avait vu l’inscription sur le banc c’était deux jours après les attentats. Elle pleurait, tout se mélangeait dans sa tête. Il y avait eu d’autres Paris. Cet homme dans le ventre de cette femme qu’elle voyait encore dans la vitrine. Le vin renversé sur le costume d’un autre homme, les roses jetées sur l’eau coulée de la fontaine dans la cour de l’immeuble où avait vécu George Sand. Elle était terrifiée. Sur les étalages les fruits étaient rouges. Elle pensait au sang. Ça ne regardait personne d’autre qu’elle. Elle aimait Paris, elle s’enivrait de cette vie, elle avalait les odeurs, respirait ses bruits. Il était au stade de France, elle avait attendu, elle ne savait plus, à la télé Henri Salvador chantait une chanson douce. Avidement elle s’était mise à scruter la foule sans plus jamais y trouver la paix. Aujourd’hui loin de Paris, devant son chevalet elle tente de s’apprivoiser.

rythme nouvelle

À Paris dans le Jardin Anne Frank elle lit cette phrase écrite sur un banc : "Voir Paris en cendres et mourir". Elle en est bouleversée durant plusieurs jours. Place de la République elle voit cet homme avancer vers elle. Il tient un carton au dessus de sa tête. Elle lit le mot "Paix". D’autres mots sont écrits sur le carton, elle ne voit que celui là. C’est peut-être dans ce rassemblement de couronnes de bougies posées à terre et allumées vers le ciel qu’elle comprend. Il lui faut quitter Paris pour retrouver la paix. L’inscription sur le banc c’était deux jours après les attentats. Sur les étalages les fruits sont rouges. Elle pense au sang. Elle est terrifiée. Il était au stade de France, elle avait attendu, elle ne savait plus. Elle pleurait, tout se mélangeait dans sa tête. Elle avait aimé Paris, elle s’enivrait de cette vie, elle avalait les odeurs, respirait les bruits. Avidement elle scrute la foule, elle n’y trouve plus la paix. Prendre le train. Partir.

Codicille :

Dans la version longue j’ai tenté de préserver un lien avec un personnage des textes précédents. La version courte s’est imposée en se concentrant uniquement sur pourquoi « Quitter Paris ».

2. bizarre


proposition de départ

Dans le quotidien de ses promenades matinales, Hubertine observe toujours la terrasse de l’hôtel avec les jumelles dont elle ne se sépare jamais. Enfin, se réjouit-elle ce matin, un peu de changement dans le paysage. Un homme, une femme, assis chacun dans un fauteuil semblent discuter. L’homme paraît assez âgé. Qu’est-ce qu’il fait là ? Non, elle ne rêve pas. C’est bien lui : le vieux Raymond. Bizarre, on dit dans le village qu’il ne sort jamais de sa maison. La femme, plutôt pas mal d’apparence, bon chic, bon genre, la quarantaine, est une belle inconnue. Que peuvent-ils bien se raconter ? En plus soi-disant que Raymond il serait devenu muet. Vraiment bizarre. Mais qu’est-ce qu’il fait ? Il lui tend un papier. Non, on dirait plutôt une photo. Décidément ce matin n’est pas comme les autres matins. Hubertine pressent une sombre histoire.

Du dehors Hubertine observe. Sur un personnage, elle sait des choses tout en ne les sachant pas vraiment (on dit que, soit-disant, il serait) En lien avec mon texte de la proposition de départ, marche d’approche, c’est ce qui s’est imposé. J’ai pris le point de vue extérieur au premier degré en donnant des jumelles à Hubertine.

1. mise en scène


proposition de départ

La tension est à son comble. Trouver le bon équilibre. Elle, elle sait l’intrigue, la trajectoire le point de vue adopté. Si la séquence est sublime c’est qu’elle fusionne le calme et le bruit, la terre et la mer. C’est exactement son rôle de savoir. Elle ne peut accepter qu’ils restent tous bloqués sur la ligne de départ. Elle lâche son carnet, renonce à son crayon. Dans cet hôtel où elle est descendue, le seul hôtel ouvert en cette saison, un vieillard muet semble la reconnaître. A part lui pas de voisinage accueillant. C’est un village où plus personne ne s’aventure en hiver. Elle l’a choisi. Elle n’en pouvait plus des rues étouffantes, des horizons bouchés, il lui fallait du ciel bleu dans son champ de vision. Elle est assise là dans ce fauteuil sur la terrasse de cet hôtel. Le vieillard muet lui aussi est assis dans un fauteuil. Il la regarde. Le charme d’une aquarelle, la rumeur des oiseaux de la mer, les veillées d’automne, un jour ce serait son miroir. Elle se sentait libre pour ce voyage enchanté. En pleine déroute, il lui avait fallu un certain culot pour arriver là, pour brouiller les pistes s’affranchissant des contraintes et des exigences reléguées au passé. Vibrante de liberté elle renonçait à vouloir être éperdument aimée. Il n’y aurait plus aucun contrôle ni enfermement. Elle sait que les êtres ont un destin. Le vieillard muet lui sourit avec pudeur. Il est sa seule rencontre de la journée, deux fauteuils qui se croisent. Elle pourrait lui raconter le décès de sa mère, elle sent qu’il l’écouterait. Il y a dans son regard beaucoup de vitalité, d’échanges, de rires. Il n’y a rien de disparu. Elle devine en lui une réserve naturelle de douceur spontanée et chaleureuse. Mais « question d’équilibre » se dit-elle, ne pas faire rentrer des témoins éventuels, ne pas les laisser se signaler même des années après. Pourtant elle sait, même si elle ne veut pas se l’avouer que rien n’est classé, rien n’est oublié. Elle sait combien les systèmes peuvent se reconstituer, combien la nature peut reprendre ses droits. Aura-t-elle la force de résister à la dictature des apparences ?

Premier jour d’écriture : « un narrateur omniscient » je me laisse impressionner ! Aucune idée d’histoire à mettre en route. Alors écrire le début d’un roman en utilisant la forme de l’auteur omniscient : j’abandonne le projet avant même d’avoir commencé. Pourtant je sais que je dois persévérer. Me viennent en mémoire les précédents ateliers avec ce sentiment de m’être agrandie en écriture dans une aventure imprévisible. Je n’ai pas envie de me priver de cette nourriture nécessaire à mes propres ateliers. Jalonner mon été de rendez-vous d’adrénaline m’enchante. Alors j’y vais : Chercher du matériel, des mots, leur faire confiance. Journaux, revues, livres, je glane, je fais une cueillette de mots. Je les mets en lien, je les explore. Au départ rien de prémédité. Un mouvement s’amorce, ils s’échappent, je les rattrape, je les mets en marche en espérant que ça marche ! Un premier texte se révèle. Suis-je dans la proposition ? Pas sûre ! Je laisse reposer. Deuxième jour : les matins c’est dehors, marche matinale et jardin à magnifier. L’après-midi écriture dans la pénombre des volets fermés. Relire le texte de la veille. Évident : suis pas dans la forme du narrateur omniscient, mais je me rassure je suis en marche d’approche ! Il faut bien commencer ! Je retravaille un peu, hésite à supprimer les premières phrases, les laisse pour le souvenir d’un début de tentative de narratrice omnisciente. C’est parti.

 



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1ère mise en ligne 25 juin 2020 et dernière modification le 2 novembre 2020.
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